— Ceux du château ? Ma foi, je l’ignore. Il doit exister quelque part un bâtiment qui leur est réservé.

— Sans doute pour ceux qui ne sont pas chargés de la personne du ou des châtelains, comme le personnel des cuisines, les valets de pied, les gens du nettoyage, mais le valet de chambre d’un lord ou la camériste d’une lady ne sauraient aller loger à des kilomètres, parce que l’on peut avoir besoin d’eux à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ! C’est impensable !

Peter, qui avait commencé de se ronger les ongles, ce qui était chez lui le signe certain d’une intense réflexion, entreprit de faire des boulettes de mie de pain.

— Peut-être, mais ces gens ne font jamais rien comme les autres. À quoi pensez-vous ?

— À entrer au service de lady Astor. Pas pour longtemps, évidemment, mais suffisamment pour essayer d’en savoir un peu plus sur les fantômes de la maison.

— Moi, je vois à ce beau projet deux obstacles de taille, intervint Mary. Un, vous ignorez tout du métier de femme de chambre et ça ne s’apprend pas en cinq minutes...

— J’en sais plus que vous ne pouvez l’imaginer. Je sais coudre, repasser, coiffer, manucurer, entretenir le linge fragile et cent autres choses, sans oublier que je parle huit langues... avec ou sans accent.

— Bon. Admettons ! concéda Mary du ton patient que l’on emploierait avec un enfant, mais Nancy Astor doit avoir une femme de chambre qui lui donne entière satisfaction. Voulez-vous me dire comment on pourrait s’y prendre pour la convaincre de la remplacer par vous ?

— ... en rendant la camériste indisponible pour quelques jours ? suggéra Peter que l’idée semblait séduire. D’autre part, il faut nous procurer des certificats. Ma mère m’en donnera un sans problème et j’en obtiendrai un autre aussi impressionnant d’une dame d’honneur de la reine.

— Comment allez-vous vous débrouiller pour écarter celle qui est en place ?

— Je ne sais pas encore, il faut que j’y réfléchisse !

— Encore un détail ! reprit Mary. Nancy n’est pas si souvent à Hever mais plutôt à Cliveden, chez sa cousine Violet, où se déroule le plus important de la vie mondaine de la famille.

Peter avala la tasse de café que l’on venait de lui servir, obtint la permission de fumer et se mit à marcher de long en large. Ce qui agaça Lisa qui, d’ailleurs, avait les larmes aux yeux.

— Vous vous donnez un mal fou pour me venir en aide, pourtant il est peut-être déjà trop tard...

— Trop tard ? Pourquoi ?

— Mais parce qu’à cette heure Adalbert et Aldo ne sont peut-être déjà plus de ce monde et que...

— Pas d’accord ! asséna Peter. S’ils étaient morts, on aurait retrouvé leurs cadavres... ou rien du tout ! Même la voiture serait au fond de l’eau. Là, aucun doute, ils ont été enlevés, et on n’enlève les gens que dans un but bien précis : obtenir une rançon quelconque en articulant une menace suffisamment effrayante pour amener ceux qui les aiment à satisfaire les pires exigences. Or, aucune demande n’est encore arrivée chez qui que ce soit et la presse est muette ! Alors, assez ergoté ! L’idée de Mlle du Plan...

Il avait oublié l’autre moitié du nom et devint rouge comme une écrevisse.

— ... Crépin ! compléta l’intéressée d’un air offensé. Tâchez à l’avenir de ne plus l’oublier !

Elle sortit de son sac une petite carte de visite qu’elle lui tendit, mais il la refusa :

— Inutile ! Moins on a de papiers sur soi et mieux cela vaut ! Et j’ai une mémoire d’éléphant.

— Pauvres éléphants ! soupira-t-elle, les yeux au plafond...

7

Où l’Honorable Peter a une idée...

Si Marie-Angéline pensait soulever l’enthousiasme de Mme de Sommières, pourtant habituée à ses idées grandioses, elle en fut pour ses frais : non seulement elle ne cria pas au miracle mais se fâcha :

— Vous n’êtes pas un peu folle ? Vous faire engager comme femme de chambre dans un château anglais ? Cela tient du délire !

— L’idée ne m’était pas apparue si mauvaise à moi, murmura Peter qui, naturellement, avait ramené à Chartwell celle qu’il considérait à présent comme sa nouvelle alliée, bien qu’il ne débordât pas de sympathie pour elle.

En homme de goût, il les préférait plus jolies, mais de toute évidence celle-ci ne manquait ni d’intelligence ni de détermination. Elle le prouva sur-le-champ. Au lieu de se vexer ou de sortir en claquant la porte, elle se contenta de déclarer :

— De quelque façon que ce soit, il faut pouvoir visiter ce château de fond en comble. C’est de là qu’Aldo et Adalbert ont disparu, il faut savoir comment et pourquoi. Or, qui connaît mieux une demeure que sa domesticité... et je peux faire une très honorable femme de chambre !

— Je n’en doute pas un seul instant. Je sais que vous êtes capable de tout et de n’importe quoi...

— N’importe quoi, quand il s’agit de deux êtres qui nous sont les plus chers. La chance nous a donné une piste et ce serait... criminel de ne pas s’y engager.

Soudain des larmes montèrent à ses yeux avec les derniers mots et touchèrent infiniment plus la marquise qu’un long discours. Aussi ce fut avec beaucoup de douceur qu’elle répondit :

— Je sais, Plan-Crépin, je sais ! Encore faut-il savoir de quelle façon s’y prendre. Comment pouvez-vous convaincre la camériste de lady Astor de vous céder sa place ? Le coup classique de la mère malade ? Il faudrait en savoir davantage et il doit bien y avoir, dans le château même, une ou deux filles capables de la remplacer pour quelques jours...

— N’en doutez pas ! appuya Peter. La réputation des Astor, quels qu’ils soient – sauf bien sûr Ava ! –, n’est plus à établir et l’on se battrait plutôt pour avoir un emploi chez eux. Ils sont originaux, mais paient royalement leurs serviteurs.

— Vous voyez bien, Plan-Crépin ! fit tristement Mme de Sommières. J’avoue volontiers, à présent, que l’idée était excellente et que vous auriez fait une femme de chambre plus que parfaite, mais à l’impossible...

— Pour les retrouver, rien ne devrait être impossible ! D’abord le mot n’est pas français, tout le monde sait cela !

— Et pas davantage anglais ! affirma l’Honorable Peter. Mais nous en sommes toujours au même point : le mystère d’Hever Castel. Rien n’est plus simple que d’y entrer et se faire offrir une tasse de thé...

— Au fait, lord Astor n’en sort jamais ? s’enquit la marquise.

— Sauf, par exemple, pour une séance particulièrement importante à la Chambre des lords, ou alors une invitation royale, mais c’est plutôt rare. Notre bon roi George n’aime pas les cérémonies à grand spectacle. C’est, vous le savez peut-être, un timide dont on s’est demandé un moment s’il pourrait régner en raison d’un terrible bégaiement. Il a réussi à s’en débarrasser, mais il n’aime rien tant que la vie de famille... Pas grand-chose à vous proposer de ce côté-là. Il y a tout de même une idée que je peux vous proposer. Ce n’est pas facile parce que le domaine est aussi bien gardé que le château – ou à peu près ! –, mais je peux tenter de m’y introduire de nuit avec l’aide de Finch, ne serait-ce que pour explorer le cottage qu’on leur avait attribué, à condition que ce soit le bon !

— Si c’est possible pour vous, cela doit l’être aussi pour moi ? s’exclama Marie-Angéline dont les yeux se mettaient à briller comme des pièces en or. Je suis très sportive et...

— Je vous arrête tout de suite : c’est non. Vous êtes ici les invitées de lady Sargent et dans la demeure d’un haut personnage de l’empire. On ne sait jamais comment peut tourner ce genre d’aventure et il ne faudrait pas que les Sargent ou les Churchill se trouvent compromis dans ce que l’on qualifierait d’affaire louche...

— Et vous ne craignez pas de compromettre votre famille ? Votre père... le duc de Cartland ?

— Oh moi, je suis l’enfant terrible de la famille ! Une sorte de « doux dingue », comme on dit chez vous, et on ne me prend jamais très au sérieux. D’ailleurs je ne suis que le second fils et le futur duc, c’est mon frère aîné Randolph. Alors cela me laisse une assez large marge de manœuvre plutôt commode, même si ce n’est pas toujours fort agréable ! Mais je vais y réfléchir avec l’assistance de Finch qui est l’un des hommes les plus utiles que je connaisse sous son air sinistre.

— Comment vous remercier ? intervint Mme de Sommières, émue.

— Oh, rien de plus aisé ! Deux doigts de whisky pour la route !

Pendant ce temps, Lisa prenait une nouvelle décision et annonçait à Mary qu’elle partait le soir même pour Zurich :

— Je ne sers strictement à rien ici, qu’à me ronger les sangs et à poser des problèmes à tout le monde.

Alors occupée au portait de lord Gordon, le pinceau de Mary enduit de peinture verte pour retoucher le bonnet écossais orné d’une arrogante plume de coq tressaillit et vint se poser sur le front de celui que l’on avait surnommé le « Roi d’Écosse ».

— Zut ! Sois bonne de prévenir quand tu prends une décision importante ! (Elle lâcha son pinceau, prit un chiffon propre et entreprit d’effacer la verdure intempestive.) Et que vas-tu faire à Zurich ? Si ton père était rentré, on le saurait...

— Avec lui, rien n’est jamais sûr, surtout quand sa passion collectionneuse est en jeu !

— Téléphone !

— Oh, que non ! Tu ne connais pas mon père, et plus le temps passe, plus il cultive le goût du secret.

— Et tu veux interroger quoi ? Les murs, la chambre forte ?

— Simplement Birchauer, son secrétaire très particulier !

— Tant que ça ?

— Plus encore. Oh, tu n’as pas idée. S’il y a un être sur terre qui sait... au moins approximativement où il est, c’est lui, et il a reçu l’ordre formel de ne jamais rien révéler quand il part en expédition, cela à qui que ce soit !