UNE VENGEANCE À LONGUE DISTANCE
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Plan-Crépin et les diamants
— Il faut avouer que c’est une belle chose ! soupira Marie-Angéline du Plan-Crépin en approchant du tableau au plus près pour mieux distinguer la signature.
— De quoi parlez-vous ? s’enquit Mme de Sommières dont le face-à-main serti d’émeraudes était, lui, fixé sur le visage du modèle. Du portrait ou du diamant ?
— Les deux ! Avec un avantage pour le talent du peintre. Le diamant, ce n’est pas le premier qu’on remarque ! Il est magnifique, il est superbe, mais cette dame ne semble pas heureuse de le porter !
— Il a eu tellement d’aventures qu’on peut la comprendre et elle est encore assez belle pour pouvoir s’en dispenser !
— Mais elle le porte, ce qui lui vaut d’être enviée par la quasi-totalité des autres femmes !
— Pas toutes ! Certaines comme Lisa n’y attachent pas autrement d’importance. Ils n’ont pas le pouvoir de la faire délirer comme Aldo !
— N’exagérons rien ! Elle les aime quand même ...
— Elle aime ceux qu’Aldo lui a offerts. Pas les autres, et surtout pas ceux qui traînent derrière eux une réputation, illustre sans doute, mais plutôt contestable. Et je crois que la passion de son époux ne fait que renforcer cette méfiance. Quant à celui-ci en particulier, ce magnifique Sancy, on peut assurer qu’elle a contre lui une dent solide !
— Le contraire serait étonnant ! Depuis que cette Ava leur est tombée dessus à Venise en réclamant cette pierre qu’il serait allé voler – voler ! Je vous demande un peu ! –, pour elle, la vie tourne au cauchemar. Qu’elle ait consenti à laisser les enfants partir seuls chez leur grand-mère, cela donne la mesure de son angoisse ! Mais que vient-elle chercher ici ?
— Ça, Plan-Crépin, j’aimerais bien le savoir ! Depuis qu’elle nous sait à Londres, elle nous évite, et Mary elle-même n’y comprend rien. On dirait qu’elle a choisi de reprendre le personnage de Mina qu’elle y avait abandonné quand son père l’avait reconnue6.
— En moins « moche » tout de même !
— Plan-Crépin ! Il y a des expressions que je n’aime pas et vous le savez ! D’autant qu’elle n’a jamais été vraiment « moche », pour employer votre vocabulaire ! Je n’en dirais pas autant de son époux. Si elle voyait dans quel état l’a mis le cher Langlois. Mais pour en revenir à sa présence...
Elle avisa l’un des canapés circulaires en velours rouge disséminés dans les salles d’exposition pour le repos éventuel des visiteurs – toujours aussi nombreux, le succès ne se démentant pas ! – et alla s’asseoir de manière à garder l’œil sur le portrait vedette avec un petit soupir de soulagement. Bien entendu, Plan-Crépin avait suivi et, comme Mme de Sommières se contentait de s’éventer avec le programme :
— Aurions-nous une idée ?
— Ne vous mettez pas à poser des questions idiotes, Plan-Crépin ! Naturellement, j’ai une idée ! Pas vous ?
— Eh bien, pas tellement ! L’Angleterre n’a jamais été ma « tasse de thé », si je peux m’exprimer ainsi, étant donné que, tout comme nous-même, je déteste cette tisane dont les Britanniques se croient obligés d’arroser la majeure partie de leurs journées. Ça commence au réveil, ça continue au breakfast, puis au lunch puis, naturellement, au five o’clock. Il n’y a guère qu’au dîner où on a droit à des boissons civilisées sans se faire regarder de travers !
— N’exagérons rien ! Aucun hôtel digne de ce nom ne refuse de servir mon cher champagne du soir, sinon on ne m’aurait jamais vue – ni vous non plus d’ailleurs ! – de ce côté du Channel.
— Ça c’est un fait acquis depuis longtemps, mais voyons notre idée concernant Lisa ?
— Je me demande si elle ne souhaiterait pas entrer en relation avec lady Astor, puisque Aldo aurait commis son forfait dans son château.
— Je ne vois pas en quoi cela concernerait une certaine Mina van Zelten.
— Je n’ai jamais rien dit de semblable. Après avoir contemplé ce portrait et surtout après avoir interrogé Mary à son sujet, Lisa pourrait penser qu’il doit être possible de parler à visage découvert avec cette femme. Donc se présenter sous sa véritable identité et tenter de lui faire comprendre que la pseudo-culpabilité n’est en réalité qu’un coup monté pour détruire la vie d’Aldo ou même pour l’éliminer définitivement d’une profession dont il a atteint les sommets ! Dès qu’il s’agit de trésors ou de haut luxe, tous les coups sont permis et, condamné pour vol, emprisonné peut-être pour de longues années, il serait non seulement ruiné mais anéanti... on peut dire physiquement !
— Ruiné ? Cela m’étonnerait ! Lisa ne cesserait pas pour autant d’être la fille de Kledermann... que celui-ci n’a aucune raison de déshériter !
— Au fond, la cause première de ce drame, c’est bien Moritz et la manie qu’il cultive de plus en plus pour le secret. S’il était là, rien de tout cela ne serait possible. Seulement il n’y est pas et il s’est arrangé pour que l’on ne puisse savoir où il est passé. Direction, l’Amérique du Sud, et dernier domicile connu : Rio de Janeiro. Il serait sur une affaire tellement importante – pour lui, bien sûr ! – que même son très fiable secrétaire en ignore à peu près tout. La seule chose qu’il sache est qu’il s’agit, cette fois, d’émeraudes. En attendant, cela ne nous avance pas de rester là à discourir au milieu de cette foule...
— Vous avez tout à fait raison, approuva Plan-Crépin en se relevant. On rentre à l’hôtel !
Le Ritz n’était pas loin et, le ciel s’étant enfin décidé à la clémence, on s’y rendit en flânant. Cette allure paisible leur permit de reconnaître sans hésitation l’inspecteur Lecoq – le bras droit de Langlois ! – qui venait vers elles mais ne s’arrêta qu’à peine : juste pour les saluer et leur dire qu’il venait de déposer un mot chez le portier, puis il reprit son chemin.
— Qu’est-ce que cela signifie ? souffla Mme de Sommières, sidérée. Langlois fait traverser la Manche à l’un de ses meilleurs hommes pour nous porter une lettre ? Ou il a perdu la tête ou il ne fait plus confiance à la poste ? Et puis, écrire ? S’il a envoyé Lecoq celui-ci n’avait qu’à nous délivrer verbalement son message ?
— Le meilleur moyen de savoir, c’est encore d’aller chercher ledit message. Mais j’avoue que c’est bizarre !
— À moins qu’il n’y ait pas de réponse ! Se parler, cela signifie aussi discuter ! Là, pas de discussion possible ! Autrement dit, ce qui nous attend pourrait fort ressembler à un ordre !
— Un ordre ? exhala Marie-Angéline, choquée. De lui à nous ? Oh !
— Des plus courtois, rassurez-vous ! Il n’y manquera aucune des fleurs de rhétorique usitées dans la bonne société !
En fait c’en était bel et bien un :
« Ne croyez pas, écrivait le patron de la PJ, que je veuille faire peser sur vous une quelconque autorité, mais c’est à la prudence que j’obéis en ne vous accordant que deux jours. Vous savoir seules dans un hôtel ouvert à tous les vents m’inquiète. Vous êtes trop proches de M. pour ma tranquillité d’esprit. Ici, au moins, je peux vous faire protéger jour et nuit... »
— On n’a jamais dit qu’on resterait plus longtemps ? émit Plan-Crépin qui lisait par-dessus son épaule...
— Non, mais il nous connaît trop ! Qu’est-ce qu’on décide ? Je n’ai aucune envie de rentrer, moi ! ronchonna la marquise. On n’a même pas eu le temps de rencontrer Lisa... si c’est réellement elle ?
— Ma tête à couper ! D’autre part, Langlois n’a pas complètement tort et son inquiétude vient de son amitié pour nous !
L’œil vert de Mme de Sommières s’arrondit en se posant sur son « fidèle bedeau » :
— Comme vous voilà prudente tout à coup ! Vous, Marie-Angéline du Plan-Crépin, dont les ancêtres ont « fait » les Croisades ?
— Je pense à Aldo plongé dans les ennuis jusqu’au cou. S’il nous arrivait quoi que ce soit, il ne s’en remettrait pas !
— Moi non plus ! Mais il faudra bien que cela arrive un jour...
Le dialogue s’arrêta là. C’était l’heure du thé au Ritz – comme un peu partout dans les îles Britanniques. Un cortège de femmes élégantes et d’hommes impeccablement habillés se dirigeait presque cérémonieusement vers le grand salon où allait se dérouler cet important événement. Mme de Sommières, pour qui cela se traduisait par « l’heure du champagne », pressait le pas et « mettait le cap » en direction des ascenseurs, quand une dame lui barra pratiquement le passage :
— Madame la marquise de Sommières, ici et en hiver ? Mais c’est à n’y pas croire !
Ce que la vieille dame détestait le plus, c’étaient les rencontres fortuites dont on ne sait pas toujours comment se dépêtrer. Pourtant, là, son sourcil se défronça pour faire place à un vrai sourire :
— Lady Clementine ? Et en hiver ? plaisanta-t-elle. Mais quelle heureuse rencontre. Comment se fait-il que vous ne soyez pas en Égypte comme les autres années ?
— C’est moins tentant depuis que vous et les vôtres n’y êtes plus pour pimenter la monotonie de la vie quotidienne ! Assouan devient de plus en plus touristique et de moins en moins drôle !
— Le colonel a renoncé à ses chevauchées dans le désert ?
Alors que les « frères de la côte », comme disait Plan-Crépin, traquaient les traces de l’Atlantide dans la région des Cataractes et que Tante Amélie était venue y réchauffer les débuts de rhumatismes qu’elle soignait chaque hiver au soleil d’Afrique, ils avaient fait la connaissance de l’Old Cataract d’Assouan, de sir John et lady Clementine Sargent, aussi charmants l’un que l’autre, lui étant un colonel en retraite du 17e Gurkha. Ils avaient passé une grande partie de leur vie dans la région de Peshawar, à la frontière nord-ouest des Indes, mais pas seulement à cet endroit : parlant sept langues dont le mandarin, John Sargent s’était vu confier nombre de missions dans diverses parties de l’Empire britannique, ce qui en avait fait, outre un compagnon agréable, un personnage des plus intéressants. Voire un peu mystérieux, et Aldo, comme Adalbert, aurait juré qu’il occupait – oh, très discrètement ! – un poste important au Foreign Office. Quant à Clementine, elle joignait à son charme personnel, contre lequel l’âge ne semblait guère avoir de prise, toutes les qualités d’une parfaite épouse et d’une véritable lady douée en plus d’un sens de l’humour qui lui avait souvent rendu de grands services. Enfin, pour compléter le tableau, si le couple n’avait pas d’enfants, il comptait dans leur famille un personnage aussi formidable qu’elle puisqu’elle était la sœur de Gordon Warren, le patron de Scotland Yard actuellement hors service. Sans lui ressembler le moins du monde. Personne n’aurait eu l’idée de la comparer à un oiseau préhistorique !
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