— Si je vous lâchais dans la nature, que feriez-vous ?
Ils avaient répondu d’une seule voix :
— Filer en Angleterre voir de plus près !
— Droit dans la gueule du loup, autrement dit ?
— Pas obligatoirement, fit Adalbert. Tout dépend de la façon de s’y prendre !
— Et alors ?
— Je ne peux pas attendre indéfiniment que mon beau-père reparaisse. Il n’est plus si jeune et il est toujours à la merci d’un accident. Je pense qu’il faudrait reprendre l’histoire par le début : je suis parti là-bas sur l’invitation de lord Allerton. Or, en arrivant chez lui j’ai appris non seulement qu’il ne m’attendait pas, mais qu’il avait disparu. Donc la première chose est d’essayer de savoir ce qu’il est devenu.
— Logique ! Et vous pensez vous y prendre comment ?
— On pourrait ressusciter Michel Morlière et Lucien Lombard, ces braves journalistes passe-partout qui nous ont déjà rendu quelques services, fit Adalbert. L’un comme l’autre nous parlons parfaitement l’anglais, même avec l’accent belge ou américain, selon les besoins...
— À votre place, j’essaierais un autre style ! émit Plan-Crépin. Une carte de presse ne change pas beaucoup l’aspect physique...
— C’est exactement mon avis ! approuva le policier, et j’ai pensé à avancer une suggestion : il est de quelle époque, le château de lord Allerton ?
— Tudor pur jus ! assura Aldo. C’est même de là que lui est venue sa passion pour les joyaux de cette époque, et sa collection vaut... ou valait le déplacement... même avec une bronchite carabinée ! En outre, c’est un si charmant vieux monsieur ! Il vous plairait, Tante Amélie !
— Je n’ai pas une passion particulière pour les vieux messieurs, bougonna celle-ci. J’ai toujours préféré le style...
— Morosini ? insinua Langlois. C’est là justement que le bât blesse. Il se promène déjà quelqu’un qui lui ressemble, alors qu’est-ce que ce sera si on lâche l’original. Il va falloir changer d’aspect physique tous les deux, messieurs !
— Voyons toujours votre idée ?
— Voilà ! La presse, internationale ou non, étant devenue beaucoup trop dangereuse ces temps-ci, on pourrait vous transformer en cinéastes à la recherche de documentation et de lieux de tournage pour un film se passant à l’époque des Tudors.
— Quelle nationalité ? s’enquit Aldo.
— Pourquoi pas américains ? Il en vient tellement en Europe, et ils ont une passion pour les films historiques à grand spectacle. J’ajoute, pour parfaire le tableau, qu’Hever Castle, où fut élevée Anne Boleyn, est assez proche de celui d’Allerton, d’après votre récit, Aldo.
— En effet ! Un joli château, assez simple. La famille n’était pas très fortunée.
— L’idée me paraît excellente jusqu’à présent, approuva la marquise. Mais il y a les pièces d’identité !
— Elles ne me poseront pas de problèmes, asura Langlois. Reste l’aspect physique de ces messieurs, et là, c’est une autre histoire, mais ne vous tourmentez pas ! Ce soir, je vous amène l’homme de l’art !
— Vous avez cette rareté sous la main ?
Le commissaire principal eut l’un de ses rares sourires qui n’en avaient d’ailleurs que plus de charme.
— Je crois que vous serez surpris ! précisa-t-il, narquois.
Quand il revint, il était accompagné d’un petit homme aimable, rond de partout, dont le sourire semblait être l’expression habituelle, pourvu en outre d’une parfaite éducation ainsi qu’en témoigna sa façon de s’incliner sur la main de la marquise de Sommières et de saluer Marie-Angéline. On l’annonça sous le nom d’Albert Duval, ce qui ne tirait pas à conséquence, que ce soit vrai ou non. Il transportait avec lui une valise dans laquelle, après avoir examiné soigneusement ceux que Plan-Crépin surnomma ses cobayes, il fit un choix :
— On va commencer par monsieur ! dit-il en souriant à Adalbert. C’est le plus facile !
Ce qui arracha une légère grimace à l’intéressé, mais sans autre commentaire. La transformation exigea tout de même une bonne heure. Quand ce fut fini, le blond Adalbert était devenu rouquin par la vertu d’une teinture capillaire et de l’adjonction d’une barbe et de moustaches follettes qui moussaient agréablement autour de sa bouche et sur ses joues. Pour Aldo, ce fut une tout autre histoire, et pourtant cela alla plus vite.
Après quelques essais, son beau visage ne se ressemblait plus guère par l’adjonction de tampons de caoutchouc assez judicieusement disposés pour n’être pas gênants, des petites plaques de collant invisible ajoutant quelques rides, une pellicule jaunâtre artistement étalée sur ses belles dents blanches et, côté pileux, on décida que le style « mal rasé » serait des mieux adaptés cependant que les tempes à peine grisonnantes « prenaient un coup de vieux », selon l’expression.
Restait la silhouette, et là, il y avait un problème. Grand et bien bâti, Aldo s’habillait à Londres et ne portait – avec quelle désinvolture ! – que des habits admirablement coupés. Après lui avoir fait retirer son veston et son gilet, M. Duval considéra un moment ses hanches étroites et sa taille mince :
— Veuillez retirer votre pantalon ! fit-il en corrigeant d’un aimable sourire le côté un peu choquant de l’injonction.
Pendant qu’Aldo s’exécutait, les deux femmes s’éclipsèrent aussitôt. Duval sortit de sa valise une large bande de tissu qu’en homme habitué il lui enroula autour de la taille à une vitesse de courant d’air. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, Morosini était passé d’une élégante sveltesse à un aspect légèrement bedonnant qui amena un large sourire sur les lèvres d’Adalbert :
— Si tu oses rigoler, je te flanque mon poing sur la gueule ! gronda le « cobaye » qui suivait dans une des glaces du salon les progrès de sa transformation. Si ma femme me voyait comme ça, elle demanderait le divorce...
— Mais elle n’a aucune raison de te rencontrer sous cet aspect ! D’abord elle ne te reconnaîtrait pas !... et puis, pour une fois que c’est moi le plus beau !
— Le plus beau, c’est vite dit ! commenta Langlois, qui s’amusait franchement. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’il va vous falloir d’autres vêtements. Je ne sais pas si vous êtes plus beau, monsieur, mais vous êtes aussi trop élégant ! Je vais noter les tailles puis je vous trouverai ce qu’il vous faut et vous aurez cela demain ! Quoi qu’il en soit, ajouta-t-il, il ne s’agit pas de reconstituer votre garde-robe au complet ! Des cinéastes en tournée d’inspection ont surtout besoin de tenues pratiques et plutôt passe-partout ! Un peu comme les journalistes, et cela ne vous changera pas énormément. Et si nous faisions rentrer les dames pour avoir une première impression ?
— Vous m’en voulez ? grogna Aldo.
— Du tout, mais je vous propose un pari : Plan-Crépin va éclater de rire et Mme de Sommières déplorer de vous voir ainsi arrangé !
— C’est trop facile !
Or ce fut le contraire qui se produisit. La marquise se mit à rire de bon cœur et Marie-Angéline à pleurer !
— Qu’est-ce qui vous prend, Plan-Crépin ? s’étonna la première. C’est vraiment du très beau travail ! Aldo est méconnaissable !
— Nous voulons dire qu’il est affreux ! Quelle tragédie !
— Et quoi encore ? Comme rien ne l’empêchera d’aller traîner ses guêtres en Angleterre, vous préféreriez que le premier pékin venu le reconnaisse et le livre à la police ?
— N... on ! Mais il y a tout de même des limites ! Je ne suis même pas sûre de pouvoir le reconnaître, et au cas où...
— Où quoi ? fit Langlois, soudain exaspéré. Vous n’auriez pas dans l’idée de passer la Manche, vous aussi ?
— Et pourquoi pas ? se rebiffa-t-elle. Nous aimons beaucoup Londres où nous avons des amis dont Mary Windfield, et la presse britannique ne cesse de délirer sur sa nouvelle exposition ! Je crois que nous aimerions la voir, l’une comme l’autre ?
Mme de Sommières, elle, ne dit rien, se contentant de répondre au regard interrogateur du policier par un demi-sourire et un haussement d’épaules fataliste.
— Je vois ! Et je vous connais assez pour savoir que rien ne vous en fera démordre. Alors écoutez-moi bien ! Vous allez y faire un tour si vous voulez, mais selon un parcours bien défini ! Moi aussi, je connais Londres !
— Lequel ?
— Entre l’Académie royale de peinture et l’hôtel Ritz, la distance n’est pas longue : c’est tout ce que je vous accorde... et pas trop longtemps.
— Et si Mary nous invite ? Elle habite Chelsea, elle !
— Sincèrement, plaida Aldo, j’aimerais mieux que vous restiez ici ! Vous êtes en quelque sorte notre quartier général et...
— Taratata ! À quoi peut servir un quartier général quand tous ceux qu’il intéresse ont jugé bon de franchir le Channel ? Allez nous retenir des chambres au Ritz, Plan-Crépin ! Et je promets qu’on ne restera pas longtemps, précisa-t-elle à l’intention de Langlois. Cela dit, c’est facile à entretenir, cette espèce de maquillage, ou sont-ils condamnés à ne pas se laver pendant tout le temps de leur voyage ?
Duval se chargea de la réponse :
— Pas de problèmes pour les postiches ! Faciles à poser, facile à ôter. Le seul ennui sera je pense pour monsieur, poursuivit-il en désignant Adalbert. Il faudra le décolorer pour retrouver sa couleur d’origine... mais nous le ferons quand on n’en aura plus besoin. Le plus délicat sera d’entretenir une barbe de deux ou trois jours sur le visage de monsieur, ajouta-t-il pour Aldo, mais je vous fournirai un rasoir spécial. Et maintenant je vous rends votre aspect normal... ou presque !
Ce fut vite fait au grand soulagement d’Aldo qui cracha ses tampons avec enthousiasme... tout disparut en peu de temps, sauf évidemment pour Adalbert qui alla se poster devant une glace :
"Le vol du Sancy" отзывы
Отзывы читателей о книге "Le vol du Sancy". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Le vol du Sancy" друзьям в соцсетях.