— Qu’est-ce qu’on fait de tout cela ? demanda Winkleried en désignant les trois prisonniers.

— On les ficelle et on les porte dans le jardin, assez loin de la maison à laquelle on va mettre le feu. Tenez, fit-il encore en raflant l’argent que Mariani comptait tout à l’heure, mettez ça dans les poches de ce misérable ! Au moins il aura les moyens de prendre le large. Cela lui évitera la vengeance de Monsieur. C’est un homme qui a horreur des maladroits…

Comme Pongo revenait armé d’une pelisse doublée de renard il en emballa soigneusement Judith avant de la reprendre dans ses bras et de la porter jusqu’à la voiture que Malavoine avait été chercher en courant et avait fait entrer dans le jardin après avoir envoyé le concierge abasourdi au pays des rêves grâce à un magistral coup de poing.

Un quart d’heure plus tard, tandis que les voitures redescendaient vers les boulevards, le quartier s’éveillait au crépitement des flammes qui s’envolaient par les fenêtres grandes ouvertes de l’ancienne folie Richelieu. La tête de Judith appuyée à son épaule, Gilles regardait sans le voir défiler le Paris nocturne. Tant de fois il avait rêvé de ce départ à deux pour une vie nouvelle, pour un véritable bonheur ! Et, cette nuit, il n’éprouvait rien de ce bonheur qui aurait dû normalement être le sien.

Une phrase, que lui avait dite un jour, il y a bien longtemps, la vieille Rozenn sa nourrice lui trottait dans la tête.

— Quand on veut quelque chose très fort et que l’on s’est honnêtement battu pour cette chose, presque toujours la vie la donne, un jour ou l’autre. Le malheur, c’est qu’elle vient quelquefois trop tard…

Trop tard ! Était-il vraiment trop tard pour Judith et pour lui ? Qu’y avait-il au bout de ce chemin qui allait s’ouvrir demain sous l’étrave du Gerfaut dans la longue houle grise de l’Atlantique ? D’autres batailles, d’autres joies, d’autres soleils… ou la nuit éternelle ou ce que l’on appelle la vie, tout simplement ?