Dès ce moment, le cardinal était pris et prêt à croire tout ce que son amie Jeanne lui dirait. Celle-ci commença par lui soutirer quelques sommes d’argent puis trouva enfin son idée de génie quand, par curiosité féminine, elle se fut fait montrer le fabuleux collier de diamants jadis commandé par le roi Louis XV pour la du Barry et que la reine avait déjà refusé deux ou trois fois.
L’aventurière persuada alors Rohan du désir secret de Marie-Antoinette d’acquérir cette extraordinaire parure que « le roi lui refusait » et de la faveur extrême qui récompenserait l’homme assez habile pour lui permettre de se passer cette folie. Le cardinal n’hésita pas. Pourquoi l’aurait-il fait d’ailleurs ? Depuis plusieurs semaines il recevait de la reine les lettres de plus en plus tendres que lui distillait savamment la comtesse. Il entra donc en rapport avec les joaillers, Boehmer et Bassange, et acheta le collier au nom de la reine, se portant garant pour Marie-Antoinette, dont il croyait posséder l’ordre écrit, de la régularité des paiements échelonnés et versant même un premier acompte. Le collier fut remis par lui, chez Mme de La Motte, à un faux envoyé de la reine qui était en réalité le chevalier Reteau de Villette, amant de Jeanne et auteur des fausses lettres de Marie-Antoinette. Le soir même la comtesse et ses complices dépeçaient le merveilleux joyau dont les pierres prenaient divers chemins, mais principalement celui de l’Angleterre.
Le pot aux roses fut découvert quand les joaillers, inquiets de ne recevoir aucun des paiements annoncés, allèrent innocemment à Versailles en réclamer le solde à la reine. C’était le 15 août 1785. Une heure après le cardinal de Rohan était arrêté sous l’inculpation de vol…
Cela, c’était la vérité de l’Histoire mais une vérité incomplète à laquelle Gilles pouvait ajouter bien des incidences qu’il était impossible de livrer à la publicité d’une salle d’audience. Bien rares, et bien muets heureusement, étaient ceux qui, comme lui, savaient que, grâce au comte Valentin Esterhazy, ami de la reine, Mme de La Motte avait bel et bien eu accès aux appartements de la souveraine, que Marie-Antoinette la trouvant amusante et touchante avait permis qu’elle montât, pour elle, la mascarade du bosquet de Vénus à laquelle la reine et quelques intimes avaient assisté cachés derrière une charmille. Mais lui seul savait les liens secrets qui unissaient l’aventurière au comte de Provence et aussi comment, avertie par lui, Marie-Antoinette s’était enfin décidée à fermer ses portes devant la trop entreprenante comtesse1. À présent qu’allait-il advenir des protagonistes de cette fabuleuse escroquerie auxquels la vindicte de Mme de La Motte avait fait ajouter Cagliostro (et sa femme !) coupable à ses yeux de n’avoir pas secondé ses desseins et même d’avoir averti le cardinal de se méfier d’elle ?…
— Sacrebleu ! grogna Beaumarchais qui venait de trébucher sur un trognon de chou et qui s’accrochait au bras de son ami avant de repousser l’obstacle du bout de sa canne, quand donc un urbaniste de génie trouvera-t-il un moyen de faire enlever régulièrement les ordures de cette sacrée ville ! Sans vous j’aurais pu me rompre le cou ! Mais aussi quelle damnée idée avez-vous eue de refuser que nous prenions la voiture pour aller au palais ? Nous avons l’air de deux merciers et si, comme je le crains, il y a foule, nous serons noyés dedans et sans possibilité d’utiliser les « entrées » que l’on m’a données.
— Avec une voiture nous ne pourrions même pas approcher. Et puis la distance est courte… et puis vous ne marchez pas assez. Les promenades sont excellentes quand on commence à prendre du ventre… Mais, Seigneur !… qu’est-ce que c’est que cette odeur abominable ? Même sur les champs de bataille, même dans les camps indiens je n’ai jamais senti pareille puanteur.
En effet, depuis que les deux hommes avaient atteint les abords de l’hôtel de ville, ils plongeaient dans une atmosphère nauséabonde, un monde d’effluves de pourriture végétale et de décomposition animale, une effroyable odeur de mort qui obligea Gilles à sortir précipitamment son mouchoir.
Beaumarchais se mit à rire, souleva tranquillement un petit couvercle dans le pommeau d’or de sa canne et se mit à humer le parfum qu’il contenait.
— Cela fait partie des joies de ces promenades à pied que vous appréciez tant, mon ami, dit-il.
— Mais cela vient d’où ? Des Halles ?
— De ça !
Sortant de la rue des Arcis et se dirigeant vers le pont Notre-Dame, trois tombereaux venaient d’apparaître, tirés par de gros chevaux de labour. À la lumière fumeuse des torches que portaient des hommes en sarraus de toile dont le visage était en partie masqué de chiffons, on pouvait voir les draps mortuaires, noirs barrés de croix blanches qui recouvraient le contenu, bizarrement bossué de ces tombereaux. Un prêtre en surplis et un acolyte armé d’un encensoir suivaient chacun des véhicules que Tournemine considéra avec dégoût.
— Qu’est-ce que cela ?…
— Les anciens habitants du cimetière des Innocents ! Ce que c’est, soupira Pierre-Augustin, que d’habiter les beaux quartiers et de ne jamais mettre les pieds, ou peu s’en faut, de ce côté-ci de la Seine ! Sans cela vous sauriez que le lieutenant de police et le prévôt de Paris ont décidé enfin ! la suppression de cet énorme pourrissoir où l’on a entassé quelque quarante générations de Parisiens et que, depuis le 7 avril, on défonce chaque nuit les monceaux de cadavres dont la hauteur avait fini par dépasser le mur d’enceinte du cimetière pour leur faire traverser la Seine.
— Et pour aller où ?
— Dans les anciennes carrières de la Tombe-Issoire2 où on les déverse dans un grand puits de service. Je crains que nous n’en ayons pas fini de sitôt. Dans les débuts de l’opération c’était supportable mais, avec la chaleur qui vient, nous serons empuantis jusqu’à la Bastille au moins. Cet été, il va falloir que j’envoie Thérèse et Eugénie à la campagne.
— Que va-t-on faire, à la place du cimetière ?
— Un marché aux herbes et aux légumes ! Une excellente chose, croyez-en un homme qui a passé toute son enfance et son adolescence rue Saint-Denis, à deux pas des Innocents ! Ce n’était pas un voisinage agréable…
Tout en parlant, les deux hommes s’étaient engagés, à la suite des tombereaux, entre la double file de maisons vétustes et branlantes qui bordaient le pont Notre-Dame. Le Pont-au-Change, qui arrivait droit sur le palais de justice et qu’ils auraient dû emprunter était alors aux mains des démolisseurs qui abattaient ses antiques échoppes de changeurs et ses vieilles masures. La nuit commençait à céder et dessinait un bizarre paysage lunaire fait d’une chaîne de décombres blanchâtres amassés sur les grandes arches de bois plantées dans la Seine.
— Paris fait peau neuve ! remarqua Beaumarchais avec satisfaction. L’an prochain c’est ce pont-là que l’on nettoyera. Seule, la pompe qui est en son milieu subsistera. Vous savez, Gilles, nous avons un très bon roi, trop bon même. Cela lui nuit, d’autant qu’il est mal marié et qu’il lui manque la rude poigne des vieux Capétiens. Ah ! s’il l’avait, nous connaîtrions l’âge d’or.
— Vous avez écrit le Mariage de Figaro et vous me dites aimer le roi ? Votre pièce, mon ami, est un brûlot, une charge de poudre…
— Contre la noblesse et ses privilèges… mais pas contre le roi ! Qu’il ait auprès de lui un Richelieu capable d’abattre sans sourciller la tête d’un Montmorency et j’applaudirais des deux mains. Seigneur ! Vous aviez raison ! Il y a un monde fou et je vois là des voitures qui rebroussent chemin. Nous n’atteindrons jamais le palais.
En effet, une foule, qui se gonflait d’instant en instant, se dirigeait au pas de course vers le palais. Les rues de la Cité, les quais et les grèves étaient noirs de monde. Il y en avait partout en dépit du guet, à pied et à cheval, qui s’efforçait de canaliser l’invasion.
— Il faut foncer ! dit Gilles. Donnez-moi le sauf-conduit que vous a remis le procureur et suivez-moi !
Avec énergie, il entreprit de tracer, dans la foule, un passage pour lui et son compagnon. Sa haute taille lui permettant de dominer la majorité des têtes lui avait permis aussi de repérer un sergent du guet qui, en mettant son cheval en travers de la rue Gervais-Laurent, avait établi une sorte d’écluse grâce à laquelle il filtrait, le plus arbitrairement du monde d’ailleurs, ceux qui tentaient d’atteindre les grilles du palais par ce canal. Au bout de son long bras, Gilles agita le billet signé du procureur.
— Faites-nous passer, sergent ! cria-t-il. Place ! Place à M. de Beaumarchais !
C’était, peut-être, à l’époque, le nom le plus connu de tout Paris. Les grognements des gens que Gilles bousculait sans vergogne se muèrent en un murmuré flatteur et déférent. On se poussa pour faire place au grand homme et à son compagnon et, sans trop savoir comment, Pierre-Augustin, rouge d’orgueil et de chaleur, se retrouva, après une poussée violente, de l’autre côté des grilles auxquelles s’accrochaient déjà des grappes de curieux.
En effet, à l’exception du cardinal de Rohan, les accusés avaient été transférés à la Conciergerie en vue de cette dernière audience et la curiosité populaire était à son comble. On pouvait entendre flotter, sur la foule, l’écho des chansons, ces typiques expressions de la rue parisienne, que le long procès avait fait naître.
Oliva dit qu’il (le cardinal) est dindon
Lamotte dit qu’il est fripon
Lui-même dit qu’il est bêta
Alleluia !
Notre Saint-Père l’a rougi
Le roi de France l’a noirci
Le Parlement le blanchira
Alleluia
Ou encore, et celle-là était infiniment plus cruelle pour la reine :
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