— Il est certain, dit Mme de Sommières, que cela commence à faire beaucoup ! Et le plus étonnant dans tout cela, c’est son fils qui semble très différent. N’a-t-il aucun pouvoir sur lui ?
— Du pouvoir ! s’emporta Vaudrey-Chaumard. Je ne sais ce que pense ce misérable mais je peux vous assurer qu’il déteste un rejeton qui, naturellement, est plus jeune que lui et, selon moi, infiniment plus séduisant, d’autant qu’il porte cette auréole étrange que lui confère sa ressemblance avec le Téméraire.
— Soit, dit Adalbert, mais Hugo ne peut-il vraiment rien pour mettre un frein aux entreprises de son géniteur ?
La colère qui empourprait le large visage de Lothaire disparut d’un seul coup pour faire place à une tristesse où se décelait de la compassion :
— Même criminel – et le pire est que personne n’en a la preuve ! – il est son père… et Hugo craint Dieu ! Ce qui lui interdit toute démarche pour le livrer à la Justice en admettant qu’il en ait les moyens, et plus encore de l’abattre lui-même. Pourtant…
Lothaire hésita un instant avant de livrer le fond de sa pensée.
— Pourtant ? souffla la marquise.
— Je jurerais que ce monstre a tué sa mère quand Hugo avait une douzaine d’années ! Il y avait trois ou quatre ans d’ailleurs qu’il était interne d’un sévère collège d’où il ne sortait qu’aux vacances. Et encore était-ce sur les instances de son parrain que vous avez rencontré, je crois, Morosini ?
— Alors qu’il était proche de sa fin. Il tenait à me remettre une pierre précieuse… un rubis ayant appartenu au Téméraire – du moins il en était persuadé – pour effacer, si peu que ce soit, le crime commis sur l’un des miens par son grand-père. Le prix du sang en quelque sorte !
Après un regard sur Adalbert qui approuva d’un battement de paupières, il sortit son portefeuille pour en extraire le sachet de daim noir, puis laissa le rubis glisser sur la paume de sa main :
— Voilà !
— Quelle merveille ! exhala Mlle Clothilde.
— J’ai pensé d’abord que c’était l’un des « Trois Frères », ce qui me surprenait fort parce que je savais où ils sont et que je suis allé vérifier, mais c’est votre frère qui m’a éclairé en m’apprenant qu’à l’origine ils étaient six quand le duc Philippe les a achetés, qu’il en a gardé trois pour lui et offert les autres à la mère du Grand Bâtard Antoine dont il était alors très amoureux.
Tandis que le joyau passait de main en main, Hubert remarqua :
— Ce qui m’étonne, c’est que votre Karl-August, sachant sans doute où il était, n’ait pas fait assassiner le vieux gentilhomme avant qu’il ne vous le donne ?
— Je pense qu’il devait l’ignorer. L’héritage revenant à son fils, il a dû penser qu’il pouvait au moins faire l’économie d’un meurtre. Il croyait certainement n’avoir aucune peine à le lui reprendre, de gré ou de force ! Seulement, c’est vous qui l’avez…
— Et il n’a aucune chance de devenir mon gendre, dit Aldo quand, le tour de la table terminé, le rubis lui revint. Ma fille n’a que six ans ! Eût-elle l’âge d’ailleurs que je n’aurais aucun scrupule à débarrasser la planète d’un individu, de cet acabit.
— Quelles qu’en soient les conséquences ? demanda Lothaire.
— Quelles qu’en soient les conséquences ! Avec ce genre d’individu un bon avocat n’aurait aucune peine à invoquer la légitime défense !
— Encore faudrait-il qu’il vous attaque ! Or justement, il s’arrange pour être absent au moment où tombent ses victimes !
— Je suis persuadé qu’il existe une solution à cela. Mais laquelle ? Il y a peu d’années Vidal-Pellicorne et moi avons eu affaire à un type de ce genre ! Pire encore parce qu’il usait d’une bestialité peu ordinaire. Disons qu’il détenait un monstre dans sa poche, mais je vous raconterai cette aventure plus tard. Pour l’instant, tenons-nous en aux dernières nouvelles de Langlois.
— Ce qui est curieux d’ailleurs, dit Plan-Crépin, c’est qu’il soit encore question d’un rubis dans un pays où règne la légende d’une pierre beaucoup plus grosse que celle-ci !
— C’est Clothilde, au moins, qui vous a relaté l’histoire de la Vouivre ? s’enquit son frère.
— Naturellement ! répondit-elle. Pourquoi ne t’en es-tu pas chargé ?
— Oh, moi, les histoires de bonnes femmes ! Vas-y ! Tu adores cela !
Elle rosit sous les regards tournés vers elle :
— C’est vrai ! J’aime cette histoire qui n’est en réalité qu’un conte de fées. Il y a très, très longtemps vivait au pays la plus belle jeune fille qui soit. On ne savait au juste si c’était une dryade ou une naïade car elle vivait au fond des forêts entre une source et une cascade. Elle était d’une beauté fabuleuse et portait au front un diadème où brillait un énorme rubis. Le plus gros, le plus pur qui se puisse voir. Les hommes en rêvaient presque autant que de sa beauté mais on ne savait rien d’elle, sinon qu’elle aimait se baigner dans les sources, les cascades, les lacs, toutes les eaux qui jaillissent de notre beau pays comtois. Toutefois, avant d’entrer dans l’eau, elle prenait soin d’ôter sa tunique scintillante et de poser dessus son diadème…
— Elle se laissait voir et approcher ? s’étonna Aldo. C’est plutôt rare dans les légendes ?
— Elle n’avait rien à craindre. Quiconque eût tenté de la toucher ou de s’emparer du rubis aurait eu à affronter tous les serpents de la contrée mystérieusement rassemblés…
— Pouah ! s’écria Adalbert. J’ai ces bestioles-là en horreur ! Je crois que je tomberais raide mort si l’un d’eux s’approchait de moi !
— Il y en a pourtant une flopée en Égypte, ironisa Aldo. Comment t’en arranges-tu ?
— J’ai le choix entre prendre mes jambes à mon cou ou lui tirer une balle de revolver… à condition que j’en aie le temps ! Et ne rigole pas bêtement ! Rien qu’à son contact, le cœur pourrait me lâcher. Le seul dont je supporte la vue est l’uræus d’or du « pschent », la coiffure des pharaons, et encore ! Pourvu qu’il soit convenablement stylisé et point trop réaliste !
Un éclat de rire général salua cette confession. Seul Hubert de Combeau-Roquelaure n’y prit pas part et grommela :
— Il n’y a vraiment pas de quoi se moquer. C’est comme le vertige, on n’y peut rien ! Sans aller jusqu’au boa constrictor, ils sont universellement présents principalement dans les coins humides de nos campagnes, et j’ai eu un élève en Fac, un garçon de vingt ans, solide et tout, qu’une crise cardiaque a emporté en moins de deux parce que, au cours d’une partie de campagne, il s’était endormi et qu’au réveil il a vu ramper sur ses jambes une innocente couleuvre !
On pouvait difficilement exploser de joie devant cette conclusion et Mlle Clothilde, en bonne maîtresse de maison, se hâta de changer de conversation en interrogeant Adalbert sur ses dernières fouilles en Égypte.
— Pour l’instant, je ne fouille pas, ayant entrepris d’écrire un livre sur les reines-pharaons, mais c’est comme un fait exprès, il suffit que je veuille me mettre à l’ouvrage pour qu’une affaire quelconque…
— Quelconque ? coupa Aldo. Je te trouve bien dégoûté touchant nos agissements communs !
— Une affaire sérieuse, là ! Tu es content ? Si j’osais, Mademoiselle Clothilde, je reprendrais volontiers de ce gâteau au chocolat ? Il est divin !
— Mais comment donc !
Noblesse oblige, c’est à la Sous-Préfecture qu’ils retrouvèrent Langlois, la maîtresse des lieux ne supportant pas qu’une notabilité quelle qu’elle soit descende à la Poste alors qu’elle disposait d’une demeure aussi ancienne qu’élégante. Comme en dépit de son snobisme, c’était une charmante femme, il se contenta de préciser qu’il s’agissait d’un aller-retour et qu’il ne pourrait être question d’organiser un dîner ou autre festivité en son honneur : il était en service. Du coup, il eut droit non seulement à la plus belle chambre mais aussi à un bureau où tout était capitonné de cuir et les portes munies de bourrelets.
— Seigneur ! admira Adalbert en y pénétrant. On serait au Deuxième Bureau qu’on ne serait pas mieux protégés !
— Cela vient d’un Sous-Préfet d’il y a quelques années qui tenait à ce que rien ne transpire des entretiens qu’il pouvait avoir avec diverses personnalités. On était alors en guerre et Pontarlier, ville frontière, était plus importante que jamais.
Le patron de la PJ reçut les deux amis avec une cordialité… soucieuse :
— J’espère que vous avez de bonnes nouvelles pour moi, car en ce qui me concerne, celles que j’apporte ne sont pas des meilleures.
— L’ex-baronne Waldhaus est morte ? s’inquiéta Aldo.
— Non, mais les médecins ne sont guère optimistes. Il se peut qu’elle survive à l’accident mais, blessée surtout à la tête, il est possible qu’elle reste très amoindrie. Quand elle parle, ce sont des mots sans suite qui résonnent parfois bizarrement.
— Que disent les médecins ?
— Ils sont dans le bleu. Elle peut retrouver un langage intelligible du jour au lendemain, mais rien n’est moins certain !
— Il faudrait quand même prévenir sa mère et si vous voulez…
— C’est fait. Votre beau-père qui semble se plaire décidément à Rudolfskrone propose de l’amener à son chevet en deux coups d’avion, puisque apparemment c’est devenu son moyen de locomotion préféré. En outre, il semble s’être pris d’amitié pour elle, ce qui n’a pas l’air de déplaire à ses hôtesses. À ce propos, ajouta-t-il avec un sourire, votre épouse aimerait savoir si elle a une chance de vous revoir avant Noël ? Je me demande bien pourquoi ?
— Elle aime les coups de vent ! fit Adalbert.
— Eh bien, elle est servie ! Ne le prenez pas mal, Morosini, ce n’est qu’une plaisanterie ! Elle comprend parfaitement quelle tranquillité d’esprit représente Rudolfskrone pour vous comme pour ses habitantes. D’ailleurs, j’ai une lettre à vous remettre.
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