— Vous devez vous douter que je ne serais pas venue sans une raison extrême ? Monsieur Vidal-Pellicorne, dites-moi où est ma mère, s’il vous plaît ?
— Comment voulez-vous que je le sache ? Quand elle nous avait réunis chez elle l’autre soir, je ne me suis pas attardé ! D’ailleurs pourquoi vous adressez-vous à moi ?
— De préférence au prince Morosini ? Mais parce que vous étiez son ami, qu’elle vous a toujours voué une admiration sans bornes et qu’à Biarritz on vous voyait rarement l’un sans l’autre.
— Pendant quelques jours tout au moins et je reconnais que sortir en sa compagnie était très agréable ! J’ai dû la quitter brusquement rappelé par le Musée du Louvre et j’espère qu’elle me l’a pardonné ?
— À vous, mais pas à cet abominable Morosini qui vous mène par le bout du nez…
— Hé là, doucement ! Personne ne me mène par le bout du nez et surtout pas Morosini qui est mon plus cher ami ! Il nous arrive de nous retrouver au cours de certaines affaires, mais nos chemins divergent la plupart du temps. Il est expert en joyaux historiques et moi égyptologue, ce n’est pas pareil ! Maintenant revenons à ce qui vous a conduite chez moi : Mme Timmermans aurait disparu ?
— Complètement. Je ne la trouve nulle part ! Et j’ai besoin d’elle ! Comprenez donc que je vais me marier et je ne supporte pas l’idée qu’elle ne soit pas présente à la cérémonie ! Cela devrait vous paraître évident ?
— Oui, évidemment, et si je savais où se trouve votre mère à cet instant, je vous le dirais. Puis-je vous demander qui vous épousez ?
— Le baron von Hagenthal, voyons ! On vous a présentés l’autre soir.
— En effet ! Je ne vous cacherai pas que j’ai éprouvé quelque surprise. Peu de temps auparavant, on le disait fiancé à l’une de nos charmantes voisines, la comtesse de Granlieu qui vient de nous quitter prématurément et…
— Ce n’était pas lui, vous devez vous en douter ? mais son fils Hugo qui est un assez mauvais sujet. Alors, vraiment, vous ne voulez pas me dire où est ma mère ?
— Désolé de vous servir la même réponse ! Pourquoi pas dans sa villa de Biarritz ? La semaine de Pâques arrive et, comme elle aimait y assister, il y a une forte chance pour qu’elle s’y soit rendue ? Cela dit, croyez que je suis sincèrement navré de ne pouvoir vous être d’aucune utilité. Comment êtes-vous venue ici ?
— En taxi !
— Et vous ne l’avez pas prié de vous attendre ? Mais je vais vous en appeler un autre. Où logez-vous ?
— Au Royal Monceau ! C’est la porte à côté et j’ai pensé que vous pourriez me raccompagner ?
Le sourire innocent dont elle accompagna sa requête fit jouer une sorte de déclic dans la tête d’Adalbert. Quelle idée d’avoir renvoyé son taxi ! Et de nuit ! Elle ne prétendait quand même pas s’incruster chez lui ? Indéniablement jolie – ses couleurs étaient celles du miel le plus doré ! –, elle ne lui inspirait aucune confiance !
— J’ai honte de vous avouer que je souffre de crampes assez douloureuses dans le mollet, s’excusa-t-il. Je vous appelle un taxi…
— Bon ! Si vous y tenez !
Boudeuse, elle s’était approchée d’une fenêtre dont elle souleva le voilage de mousseline :
— Oh ! Il y en a un qui vient de s’arrêter devant l’immeuble !…
Aussitôt elle ouvrit le vitrage, se pencha pour interpeller l’homme :
— Attendez-moi, si vous êtes libre ! Je viens !
Puis, se tournant vers Adalbert avec un sourire mutin, elle pria :
— Vos « vieilles jambes » m’accompagneront-elles jusque-là ?
Adalbert avait été trop bien élevé pour refuser de descendre quelques marches. Pourtant cette obstination à le sortir de son trou lui paraissait suspecte. Aussi, avant de franchir sa porte palière, s’arma-t-il au passage d’une solide canne en bambou sous le regard intéressé de Théobald.
L’ascenseur déposa le couple dans le vestibule. On descendit les trois marches menant à la chaussée. Un taxi attendait… tous feux éteints d’ailleurs. Un homme était au volant mais deux autres sortirent aussitôt de l’habitacle arrière pour se ruer sur Adalbert. Comme celui-ci avait prévu quelque chose d’approchant, il en assomma un, tandis qu’Agathe se précipitait à l’intérieur en hurlant. L’autre homme n’eut pas temps de voir venir le coup que Théobald – qui naturellement avait dégringolé l’escalier plus vite que l’ascenseur – lui asséna.
— Démarrez ! cria Agathe en s’installant près du chauffeur. Ils sont assez grands pour se débrouiller tout seuls !…
La voiture disparut dans la nuit, pendant que le concierge d’Adalbert courait appeler la Police. Quand elle apparut avec une remarquable célérité, Adalbert et Théobald étaient assis chacun sur sa victime au milieu du trottoir et fumaient voluptueusement, sous l’œil effaré du concierge et des quelques domestiques de la maison égrenés le long de l’escalier.
Le Commissaire Principal Langlois avait dû donner des ordres tout particuliers touchant le parc Monceau et ses alentours immédiats. Ce fut l’inspecteur Lecoq en personne qui vint prendre livraison :
— Savez-vous que je commence à trouver amusante cette histoire de fous ? lui confia Adalbert en lui remettant son gibier.
— Pas moi ! riposta le jeune homme. J’aime autant qu’un autre la fréquentation de mon lit… et je ne l’ai pas vu depuis quarante-huit heures !
10
La rencontre
Le soir suivant la capture réalisée par Adalbert et Théobald, Vaudrey-Chaumard repartit pour son pays afin d’y préparer l’arrivée de ses hôtes inattendus. Au surplus les conférences du Collège de France étaient terminées et il ne fallait à aucun prix que Mlle Clothilde eût à s’inquiéter du moindre retard. Les préparatifs de la fête l’agitaient suffisamment comme cela… Il partit donc, emmenant Hubert avec lui afin de lui tenir compagnie pendant la durée du voyage. C’était amical sans doute, mais ne procura aucun plaisir au chef des druides de l’Indre-et-Loire qui avait espéré un long tête-à-tête dans un wagon confortable avec l’ex-vieux chameau qui était redevenue la dame de ses pensées. D’autant qu’il n’avait rien contre Marie-Angéline plutôt rêveuse ces temps derniers, mais dont la vaste culture lui permettrait, à lui, de briller de mille feux.
Or, au lieu de ce doux fantasme il allait « parler boutique » avec son confrère durant quelque cinq cents kilomètres, alors que le privilège de conduire les dames reviendrait à l’agréable voiture d’Adalbert. Seuls les bagages seraient acheminés par le train. Affligeant, en vérité ! Surtout si le Paris-Dijon-Lausanne via Pontarlier n’était équipé que d’un wagon-restaurant de seconde zone !
Il avait bien tenté de s’en ouvrir à son ancienne ennemie, mais celle-ci lui ayant fait remarquer, entre haut et bas, que c’était déjà gentil à Vaudrey-Chaumard de l’avoir invité à son tricentenaire, il enterra définitivement la question et s’en alla voir son tailleur !
Pour en revenir à la capture des deux truands de la rue Jouffroy et dont Adalbert se montrait légitimement fier, elle se révéla décevante. Le troisième homme resté au volant s’était enfui, emmenant l’ex-baronne Waldhaus, et tous deux s’étaient volatilisés : Agathe pour une destination inconnue – pas la Belgique en tout cas ! Il en fut de même pour le chauffeur qui portait à n’en pas douter un masque ! Et sur le compte duquel les prévenus se montrèrent remarquablement discrets. Ils ne le connaissaient ni d’Ève ni d’Adam et ne savaient même pas à quoi il ressemblait.
— Comme je n’ai pas l’intention de les repasser à la Belgique, déclara le Commissaire Principal Langlois, j’arriverai peut-être à les rendre un peu plus loquaces… à force de persuasion !
Enfin, pour ce qui était du taxi, qui n’appartenait pas à la G7, une fois débarrassé de son drapeau et de son enseigne, il avait dû redevenir une Citroën noire comme tant d’autres, le numéro appartenant à un marchand de fromages dont le véhicule personnel n’avait pas quitté le garage où l’avait conduit depuis deux jours un problème de mécanique.
— À présent, c’est la frontière suisse qui redevient le centre d’intérêt prioritaire, conclut Langlois. Votre tricentenaire m’intéresse particulièrement, étant donné la personnalité du Professeur Vaudrey-Chaumard. L’inspecteur Durtal s’est découvert un lien de parenté avec Mme Verdeaux, la femme du capitaine de la Gendarmerie sera là-bas. N’hésitez pas à l’appeler en cas de besoin. Il y aura aussi plusieurs sous-ordres … et les gendarmes évidemment !
— Et dire que nous sommes censés participer à une fête d’un caractère exceptionnel ! soupira Aldo. Ça va être d’un réjouissant !
— Peut-être plus que vous ne l’imaginez ! les gens de Franche-Comté ont toujours cultivé le sens de l’hospitalité la plus généreuse avec celui de la fête et, pour une circonstance aussi exceptionnelle qu’un tricentenaire, vous serez reçus comme des rois ! N’en restez pas moins sur vos gardes ! Il y aura certainement tout le gratin du pays, mais des indésirables pourraient bien s’en mêler !
— Comment cela ?
— Le mendiant inconnu qui vient frapper à la porte l’un de ces jours bénis ne repart jamais les mains vides !
— On ne l’invite quand même pas à ouvrir le bal avec la Sous-Préfète ?
— Non, mais on le nourrit, le réconforte, et il repart avec un peu d’argent qui lui permet de continuer sa route !… Et malheur à qui abuse de cette hospitalité. Il trouverait le pays dressé contre lui !
— Comment se fait-il que vous les connaissiez si bien ? demanda Aldo.
— Question de sang ! Ma grand-mère était comtoise ! Cela vous expliquera au moins pourquoi je suis si têtu ! conclut-il avec un sourire en coin.
— Que ne venez-vous y faire un tour vous-même puisqu’il y aura tant de personnalités, selon vous ?
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