Il s’empressa de glisser le billet dans sa poche, regagna sa chambre où, comme il s’y attendait, le feu crépitait encore dans la cheminée. Il relut les deux lignes puis fut tenté de brûler le billet, y renonça, le replia et le mit dans son agenda…
Au fond ces quelques mots ne faisaient que confirmer ce qu’il pensait sans se résigner à l’exprimer – comme aussi Adalbert certainement ! Conclusion : Plan-Crépin était amoureuse de cet inconnu ! Séduisant, si l’on considérait les deux portraits si étrangement ressemblants. L’énigme de ce visage réapparu du fond des âges par un de ces dangereux caprices de la nature n’arrangeait rien puisque l’auréole du malheur l’agrémentait de sa pincée d’épices.
Naturellement, il ne dormit qu’en pointillés, fit sa toilette au lever du jour, constata que le temps n’avait rien d’enchanteur. Il ne pleuvait pas mais il faisait froid. Il descendit à la cuisine boire une tasse de café dès qu’il eut entendu Marie-Angéline partir pour la messe, en prévenant qu’il petit- déjeunerait plus solidement chez M. Vidal-Pellicorne. Ensuite, il prit un parapluie – au cas où… – et partit au pas de promenade à travers le parc Monceau où les jardiniers étaient déjà à l’œuvre. Il ne se pressait pas, sachant que son ami n’était pas aussi lève-tôt. Il s’assit même un moment pour écouter chanter les oiseaux et gratter la tête d’un griffon que cornaquait une solide femme de chambre et qui vint lui dire bonjour. Enfin il se remit en marche vers la rue Jouffroy.
Il trouva son ami en négligé du matin – robe de chambre à carreaux et charentaises assorties ! –, prêt à s’installer devant une corbeille de « viennoiseries », du beurre, du miel, de la confiture d’oranges et un grand pot de chocolat qu’on l’invita aussitôt à partager :
— Toi, pour être aussi matinal, c’est que tu as quelque chose à me dire !
— Et surtout je ne voulais pas que Plan-Crépin me voie sortir. C’est d’elle dont je veux te parler… Mais d’abord, lis ça ! fit-il en lui tendant la mise au point de Tante Amélie.
Adalbert jeta un coup d’œil, puis reposa le billet sur la table pour se verser une généreuse ration de chocolat mousseux que son invité considéra avec un léger dégoût :
— Si ça ne te gêne pas, je vais demander du café à Théobald ! J’adore le chocolat, et en particulier celui-ci, mais pas si tôt le matin !
Il achevait tout juste sa phrase que Théobald posait devant lui le breuvage réclamé :
— Il ferait beau voir que j’oublie les goûts de Monsieur le prince ! déclara-t-il dignement avant de retourner dans sa cuisine.
— Alors ? reprit Aldo quand il eut disparu. Qu’en penses-tu ?
— Que c’est clair comme de l’eau de roche même si c’est bougrement embêtant : Plan-Crépin est amoureuse de ce type ! Ce qui ne va pas nous simplifier la vie…
— Comment l’entends-tu ?
— Si on sort vivants des griffes manucurées des femmes Timmermans j’aimerais assez retourner en Franche-Comté. Outre que je ne connais pas la région, on devrait y découvrir des choses passionnantes ?
— J’en pense autant mais on pourrait aussi se marcher sur les pieds avec la PJ ? Ou je le connais mal, ou Langlois ne connaîtra pas la paix tant qu’il n’aura pas coffré l’assassin… ou les assassins de Sauvageol. Ce sont sûrement les mêmes qui ont tué Mme de Granlieu et le maître d’hôtel de sa belle-fille !
— Rien de plus normal ! Si on sait s’y prendre, on pourrait peut-être cohabiter ! La difficulté – et j’en reviens à mon propos de tout à l’heure ! – ça va être Plan-Crépin. Si elle est vraiment éprise, il est à parier qu’elle pourrait nous mettre les bâtons dans les roues et au lieu de nous aider…
— Je refuse de croire qu’elle pourrait jouer contre nous ? Ça ferait une sacrée différence !
Afin de chasser l’impression pénible, il reprit une tasse de café et alluma une cigarette.
1 Voir, du même auteur, Le Rubis de Jeanne la Folle.
2 Voir, du même auteur, Le Boiteux de Varsovie, tome 1 : L’Etoile bleue.
7
Où l’on retrouve de vieilles connaissances…
Le coup de téléphone de Bruxelles vint aux environs de sept heures du soir. Ce fut Cyprien qui le reçut, Plan-Crépin n’ayant pas pu le prendre de vitesse. Aldo et Adalbert se précipitèrent dans le vestibule.
— Elles ne veulent rien entendre, dit Kledermann. Il faut que vous soyez là tous les deux !
— Mais enfin pourquoi ?
— Elles refusent d’expliquer. Alors, écoutez : l’avion vous attendra à dix heures au Bourget et nous nous retrouverons pour déjeuner au Métropole…
Aldo n’eut pas droit à la parole, Adalbert lui enlevait le combiné :
— Désolé, cher ami, mais moi je refuse avec la dernière énergie de vous rejoindre par la voie des airs. Ne cherchez pas : ce moyen de locomotion me rend malade…
— Malade ? Vous ? Allons donc ! Je peux vous certifier que vous ne le serez pas dans mon Potez ! Il est très stable !
— Je n’en doute pas mais au moindre trou d’air je rends mes tripes ! Et ne parlons pas de la descente !… J’atterris verdâtre…
Peu désireux de le laisser s’étendre sur ses malaises, Aldo reprit possession de l’appareil :
— C’est à quelle heure le rendez-vous ?
— Quatre heures mais…
— Il y a un train parfait à huit heures et on vous rejoindra à midi et demi au Métropole. Pas question d’affronter ces harpies avec un Vidal-Pellicorne flageolant ! C’est à prendre ou à laisser !
— Faites comme vous l’entendrez, mais soyez ponctuels ! Je vous attendrai à l’hôtel.
Et il raccrocha.
— Pas content ! commenta Aldo. C’est vrai que tu ne supportes pas l’avion ?
— À être franc, je n’en sais rien. Je n’ai jamais employé ce mode de transport ! Je m’en méfie. D’instinct !
— Rétrograde ? Toi ?
— Je dirais plutôt Terrien convaincu ! Dieu sait si j’aime les voyages et tu en sais quelque chose, mais un sleeping bien confortable ou un paquebot luxueux, voilà l’idéal ! Avec ces trucs volants on ne voit passer ni le temps ni le paysage ! Mais si toi, tu préfères…
— Oh, que nenni ! fit Aldo en riant. Je pense exactement comme toi : la voie des airs ne me tente pas ! J’ajoute que je ne comprends pas la subite passion de Moritz. Que son dernier voyage à Lugano en ambulance, plus ou moins cahoteux, l’ait dégoûté de la route, je n’en disconviens pas, mais quand on a sa fortune, ce ne sont certainement pas les ennemis qui lui manquent. Or ce doit être beaucoup plus facile de saboter un avion que de faire dérailler un train ou couler un paquebot. Et puis je suis comme toi, j’ai toujours adoré le balancement des boggies. Il a le don de me bercer et de me faire dormir comme un bébé !
En réalité, ni l’un ni l’autre ne se sentait la moindre envie de renouer avec la reine du chocolat belge et son impossible fille, même si Louise Timmermans n’avait rien à reprocher à Adalbert sinon d’avoir quitté Biarritz sans lui avoir fait ses adieux autrement que par un panier de fleurs, mais, pour Aldo la seule idée de revoir Agathe Waldhaus qu’il jugeait aussi dangereuse que le poison de Borgia lui donnait de l’urticaire. Aussi le voyage du lendemain s’effectua-t-il en silence, chacun d’eux restant enfermé dans ses pensées. Pourtant leur arrivée à l’hôtel Métropole rendit quelque attrait à une journée que tous deux redoutaient.
L’un comme l’autre avait ses habitudes dans ce palace aussi douillet qu’accueillant. Adalbert y descendait quand il lui arrivait de donner une conférence à Bruxelles. Aldo quand ses affaires l’y amenaient, la dernière fois se situant quand, à la recherche des émeraudes de Montezuma, il était venu interroger au château de Bouchut l’ombre insaisissable de feu l’impératrice Charlotte du Mexique.
Une « bonne nouvelle » les y attendait : un message de Kledermann qui s’excusait de ne pas déjeuner avec eux étant retenu « ailleurs », mais maintenait leur rendez-vous pour quatre heures chez Mme Timmermans.
— On va pouvoir apprécier paisiblement la cuisine de la maison, soupira Aldo en enfouissant le billet dans sa poche.
Le ton employé éveilla l’attention d’Adalbert :
— Dis-moi un peu : tu ne serais pas en train de prendre ton beau-père en grippe, par hasard ?
— Pas vraiment, mais j’avoue qu’en ce moment il m’agace ! D’abord il a changé et tu le sais…
— Ça peut s’expliquer : après avoir frôlé la mort de si près et à la suite de semaines plus que pénibles, qu’il éprouve le besoin de vivre intensément n’a rien d’extraordinaire…
— Je ne te contredirais pas s’il n’avait entrepris de régenter ma vie et celle des miens ! Il est saisi, à nouveau, par sa passion collectionneuse tel M. Le Trouadec par la débauche1 .
— Au lieu de chercher des circonlocutions savantes, tu ferais mieux de dire que, selon toi, il a pété un plomb. Or j’ai surtout l’impression que c’est toi, mon bon, qui a joué à l’apprenti sorcier en galopant le rejoindre à Zürich après ta visite à Grandson. Réfléchis deux minutes : il vivait tranquille…
— Tranquille en s’offrant un avion, une bagatelle !
— Caprice de milliardaire qui en a peut-être assez de rester assis sur son derrière devant son solennel bureau zurichois ! Quoi qu’il en soit, je reprends mon propos : l’un des éléments principaux de ses joyaux était les « Trois Frères » et voilà que tu lui tombes dessus sans préavis en semant dans son esprit un doute – insupportable pour un collectionneur et tu ne devrais pas t’en étonner – sur l’authenticité de ses pierres…
— Qu’aurais-tu fait à ma place ? Il fallait impérativement que je compare le rubis que je venais de recevoir.
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