Mais il n’est pas fou. Pas plus qu’il ne rêve… À cette horreur, il y a une explication et, bien entendu, elle est sordide mais affreusement simple. Après la mort de la duchesse, emportée par une rapide maladie, le menuisier chargé d’exécuter le cercueil a mal pris ses mesures. Si mal que l’affreuse boîte s’est révélée trop petite. Alors, comme on n’a pas le temps d’en faire fabriquer une autre, surtout de cette qualité, les serviteurs ont paré au plus pressé : le chirurgien de la maison a simplement détaché la tête de Marie.
Un instant, Rancé contemple les pitoyables restes, puis il s’enfuit. Dans l’escalier, il rencontre un familier de la maison. Et que dit cet homme ? Qu’à l’heure dernière, la duchesse, désespérée d’en finir avec la vie, a refusé les derniers sacrements, qu’elle est morte dans l’impénitence, presque dans le blasphème parce qu’elle refusait de croire à sa mort ?… C’en est trop pour Rancé. La minute suivante, il a quitté l’hôtel de Montbazon, quelques instants plus tard, il a quitté Paris… Comme une bête blessée il cherche sa tanière et sa tanière c’est Véretz. Il y court comme on court se jeter à l’eau.
Mais, revenu chez lui, le luxe de sa maison lui fait soudain horreur. Il y reste quelques jours puis va se réfugier à Tours chez une vieille et chère amie, la mère Louise de la Visitation. C’est elle qui va recueillir les premiers cris de cette âme à la torture, apaiser les premiers spasmes du remords. Le remords, car la pensée de Marie, morte sans Dieu, poursuit Rancé comme un lancinant reproche. Il l’aimait, il était son amant, même si c’est l’un de ses amants qu’il faudrait dire ! Il aurait dû être là, auprès d’elle, à l’instant suprême, guider vers ses lèvres l’hostie du pardon. Mais surtout, il n’aurait jamais dû l’encourager dans les folies de sa vie, l’y suivre et, pis encore, y prendre part. Eût-il été plus attentif, plus sévère qu’il aurait pu la sauver. Mais comment se montrer sévère avec celle que l’on aime quand on est soi-même un libertin ?
Tardivement, il se souvient qu’il est homme de Dieu même s’il a tout fait pour l’oublier. Dans les cauchemars de ses nuits, il entend les cris de Marie aux prises avec l’enfer, il la voit brûler éternellement dans le feu qui ne s’éteint jamais. Alors, il comprend que le temps de la pénitence est arrivé. Revenu à Véretz, il vend ses biens, ses terres, son beau château, tout ce qui a contribué de près ou de loin à le perdre et il distribue aux pauvres l’or qu’il en tire. Il se défait aussi de ses riches bénéfices ecclésiastiques, n’en conservant qu’un seul, le moins rentable, le plus misérable : une petite abbaye aux trois quarts ruinée perdue au fond de l’humide vallon de Soligny, en Normandie : la Trappe.
C’est une sorte de désert, un bas-fond malsain d’où s’élèvent des vapeurs nocives. Là se dressent quelques bâtiments délabrés où sept religieux vivent, dans la plus totale liberté d’ailleurs, de dons, de charités. Mais assez bien au demeurant. On ne prie guère Dieu – comment le pourrait-on, l’église est croulante et la plupart des toits prennent l’eau ? Toutefois, on joue aux boules quand il fait beau et on reçoit quelques luronnes grâce auxquelles le temps passe assez agréablement.
Quand arrive l’abbé qui leur tombe dessus comme la foudre, les étranges moines doivent choisir : ou la porte avec quelques sous en poche, ou le retour au saint devoir, l’acceptation de la règle que l’abbé de Rancé apporte avec lui ! Tous choisissent le départ… après avoir tenté d’assassiner l’empêcheur de danser en rond. Alors Rancé demeure seul, tragiquement seul, jusqu’à ce qu’enfin deux religieux attirés par l’austère solitude viennent à lui.
Et l’abbaye peu à peu se relève de ses ruines, des hommes viennent, d’avance soumis à la nouvelle règle qui, en fait, est fort ancienne : c’est la plus haute, la plus dure, celle de saint Benoît, celle qui exige le silence, le travail. L’abbé de Rancé l’applique sans faiblir et, de son désert humide, de ces étangs glauques, de ces brouillards, il fait surgir un refuge pour les âmes blessées et pour celles qui, avides de Dieu, choisissent le renoncement.
« Je ne vois point d’autre porte à laquelle frapper que celle du cloître », avait-il écrit au roi en lui demandant de le confirmer comme abbé régulier de la Trappe. Peu à peu, d’ailleurs, il retrouve la paix de l’âme dans le jeûne et l’abstinence, dans l’humble travail de ses mains, dans le face-à-face perpétuel avec la tombe et son néant, dans la recherche incessante de Dieu. Des cendres de cette âme brûlée va s’allumer un phare dont les rayons s’étendront jusqu’aux confins de la chrétienté.
« Fermons les yeux, ô mon âme ! Tenons-nous si éloignés de toutes les choses de la vie que nous ne puissions ni les voir ni en être vus… » Telle était sa prière.
L’abbé de Rancé, qui avait eu pour parrain le cardinal de Richelieu, devait mourir à la Trappe le 27 octobre 1700. Le château de Véretz passait, lui, à la famille d’Aiguillon…
De nos jours, le château est devenu un très bel hôtel.
La Verrerie
Favorite et agent secret
Seul le ruban qui entourait la taille de Mlle de Kéroualle reliait alors la France à l’Angleterre.
Le 25 mars 1670, Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans et ambassadrice extraordinaire de son beau-frère le roi Louis XIV, débarque à Douvres pour y rencontrer son frère, le jeune roi Charles II. Il y a alors près de dix ans que Madame a quitté son pays natal et ce n’est pas sans une profonde émotion qu’elle retrouve à la fois sa patrie et un frère tendrement aimé, souvent regretté.
Comme il convient à une grande princesse, une suite nombreuse accompagne Madame mais dans son entourage immédiat chacun peut remarquer une jeune fille d’une vingtaine d’années qui semble très proche de la princesse. Cette jeune fille est d’une extrême beauté ; brune avec de longs yeux bleus. Mais son maintien est sans doute le plus modeste de tout le cortège français. On dirait même qu’elle cherche à se tenir à l’écart.
C’est que la belle jeune fille n’est pas encore tout à fait habituée au faste de la cour. Elle y est depuis si peu de temps ! Naguère encore Louise-Renée de Kéroualle vivait modestement, pour ne pas dire pauvrement, dans le château paternel non loin de Brest en Bretagne sans grand espoir d’en sortir jamais faute d’une dot convenable pour se marier. Et puis le miracle était apparu en la personne d’un descendant, par voie de bâtardise, du bon roi Henri IV, François de Vendôme, duc de Beaufort et général des galères, venu revoir un ancien compagnon d’armes. Frappé par la beauté de la jeune Louise, Beaufort s’était chargé de son avenir et lui avait obtenu un brevet de fille d’honneur de Madame.
Intelligente et discrète, parlant agréablement l’anglais, Louise a séduit la princesse cependant difficile qui s’est prise d’amitié pour elle et qui, tout naturellement, l’a choisie lorsque le voyage en Angleterre a été décidé. En revanche, la jeune Bretonne manifeste pour Madame, dont la santé fragile l’inquiète, un dévouement total.
À Douvres, le roi Charles II a réservé à celle qu’il appelle sa « chère Minette » une réception digne d’elle et digne de lui. Durant quinze jours, ce ne sont que fêtes, bals, plaisirs de toutes sortes et Louise en prend une part un peu éblouie. Il faut dire que Charles II est pour quelque chose dans cet éblouissement. C’est, à quarante ans, un homme grand, bien fait, élégant, au teint basané, à l’œil de braise, pourvu d’un grand nez extrêmement Bourbon qui domine d’épaisses lèvres rouges. Comme son grand-père le Béarnais – lui aussi descend d’Henri IV, comme Beaufort mais en lignée légitime, – il est gai, galant et, surtout, il adore les femmes qui le lui rendent bien.
Il a tôt fait de remarquer Louise, et quand, le moment du départ venu, Madame Henriette demande à son frère quel souvenir elle pourrait lui laisser en échange des fastueux présents dont il l’a comblée, le roi n’hésite pas.
« Voilà, dit-il en désignant la jeune fille, le seul bijou que je désire pour le garder près de moi. »
On devine la confusion de Louise. Madame, elle, ne fait que rire et chapitre son frère : elle est responsable de sa fille d’honneur et ne saurait s’en séparer. Les Kéroualle sont de vieille noblesse et de morale sévère. Laisser Louise serait les offenser. Le lendemain les navires mettent à la voile et cinglent vers la France. Louise étouffe un soupir. Le roi est bien charmant… et elle n’a aucune chance de le revoir.
Pourtant, quelques semaines plus tard, au château de Saint-Cloud, Madame, qui a bu une eau de chicorée suspecte, meurt dans d’affreuses souffrances pour la plus grande gloire de Bossuet qui va prononcer sa plus belle oraison funèbre.
Pour Louise, la mort de Madame représente à la fois un déchirement et un effondrement. Elle se retrouve seule, sans appui – le duc de Beaufort a été tué au siège de Candie –, sans protection et peut-être en danger. On la sait, en effet, fort avant dans les confidences de Madame et des bruits courent que la mort de la princesse n’est peut-être pas très naturelle. Peut-être se fût-elle finalement résignée à retourner vers la grisaille bretonne si une convocation du roi n’était venue donner à ses pensées une autre direction.
Chez Louis XIV, elle trouve le duc de Buckingham, ami proche du roi Charles II. Ce dernier réclame la favorite de sa sœur pour en faire une fille d’honneur de sa femme, Catherine de Bragance. C’est avec un bonheur qu’elle n’avoue pas, même à elle-même, que Louise reçoit l’ordre d’accepter. Ainsi le roi anglais ne l’a pas oubliée ? Elle va, contre toute espérance, le revoir.
Mais le lendemain soir, elle est à nouveau dans le cabinet de Louis XIV. Ce qu’il a à lui dire est simple : il espère qu’outre-Manche elle n’oubliera ni sa qualité de Française ni le service de son roi légitime. En fait, Louis XIV souhaite que Mlle de Kéroualle reprenne, en sous-main, la mission qui était celle de Madame : unir le plus étroitement possible la France à l’Angleterre et veiller à ce que les intérêts français soient défendus à Londres.
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