On fait tout juste deux lieues avant que l’on se retrouve arrêtés. Tout le monde dans la région connaissait Aimée, encore plus reconnaissable à cause de sa grande voiture et de sa montagne de bagages. Mais comme on ne savait trop qu’en faire, on l’envoya à Paris où, le 15 mars, elle faisait son entrée à la prison Saint-Lazare. La gloire la plus pure l’y attendait sans qu’elle s’en doutât le moins du monde.
Pourquoi ? Parce que, à Saint-Lazare où se trouve parquée la fine fleur de l’aristocratie, il y a un petit homme d’une trentaine d’années, pas très beau : le teint cireux, le cheveu rare. Mais il a un regard étonnant, à la fois profond, grave et lumineux comme en possèdent ceux qui ont le pouvoir d’apercevoir les choses cachées. Il est timide aussi et, alors que la société s’efforce de vivre ses dernières heures dans la joie et la folie, il aime à se retirer à l’écart pour griffonner sur des feuilles de papier. Parfois aussi, son regard suit Aimée durant de longues minutes. Naturellement, la jeune femme a remarqué cet homme pas comme les autres.
On lui a dit son nom : André de Chénier. On lui dit aussi qu’il est poète. Cela l’amuse un moment. Un soir, il lui remet un rouleau de papier. Elle n’y jette qu’un coup d’œil distrait car le poème est apparu comme trop grave à son esprit futile :
L’épi naissant mûrit, de la faux respecté ;
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été
Boit les doux présents de l’aurore ;
Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
Je ne veux pas mourir encore.
Incapable de comprendre que La Jeune Captive va la porter à la postérité, Aimée de Coigny oublie le poème dans un coin, donnant à peine une larme au poète qui, le lendemain, monte à l’échafaud.
Elle y échappe, épouse Montrond pour se lancer avec lui dans les folies du Directoire. Ils retrouvent aussi Mareuil qui n’avait pas été confisqué. Mais c’est l’un des rares biens qui restent à la jeune femme. Et la vie que le couple entend mener coûte cher. Un beau jour, Mme de Montrond vend le château que les ancêtres de sa mère, les Roissy, avaient construit au XVIIe siècle. Elle s’en débarrasse presque, contre une belle somme d’argent et sans plus de regret que d’une robe usagée.
Chose étrange, l’abandon de Mareuil marque le déclin du ménage. Ce que n’ont pu faire les séparations, la prison et même l’ombre de la mort, le mariage, ses facilités et la ronde insensée des plaisirs en viennent à bout quand disparaît de l’horizon des Montrond ce domaine qui avait vu l’enfance d’Aimée et le plus doux, le plus ardent de son amour. Casimir s’éprend de l’une des reines du Directoire, la créole Fortunée Hamelin. Aimée juge alors une telle conduite incompatible avec sa dignité à elle et demande le divorce, une fois encore.
Sans trop de peine d’ailleurs : elle s’est éprise d’un chanteur, Mailla-Garat, bellâtre aussi dépourvu d’âme qu’elle-même et qu’elle dispute farouchement à la marquise de Condorcet. Le triste personnage consomme la ruine déjà si bien commencée de la jeune captive qui meurt à Paris, le 17 janvier 1820… dans les bras de Montrond accouru pour l’aider à franchir le difficile passage. On dit qu’il évoqua pour elle, alors, le jardin de Mareuil.
Le château, après avoir connu quelques vicissitudes, appartient actuellement à la famille de Vibraye et ne se visite pas.
Meung-sur-Loire
Le sourire de Bertrade, les larmes de Villon…
Mais où sont les neiges d’antan ?…
Le grand Alexandre Dumas n’a eu besoin que de quelques pages pour immortaliser la petite ville de Meung-sur-Loire et la faire connaître aux quatre coins du monde. Qui ne connaît l’histoire ? Sous le règne du roi Louis XIII, un jeune Gascon venu du bout de la France fait son entrée dans Meung en curieux équipage : « Car notre jeune homme avait une monture et cette monture était même si remarquable qu’elle fut remarquée ; c’était un bidet du Béarn âgé de douze à quatorze ans, jaune de robe, sans crins à la queue. L’apparition dudit bidet à Meung où il était entré, il y avait un quart d’heure à peu près par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier… »
Le jeune homme s’appelle d’Artagnan, le passage cité se trouve à la seconde page des Trois Mousquetaires, peut-être le plus célèbre de tous les romans, et Meung se trouve ainsi être la ville par laquelle d’Artagnan est entré dans l’Histoire et dans la mémoire des lecteurs du monde entier. Il ne lui reste plus qu’à rejoindre Athos, Porthos et Aramis pour chevaucher et ferrailler avec eux jusqu’à la fin des temps. Mais, fort heureusement pour elle, l’aimable cité des bords de la Loire n’avait pas attendu Alexandre Dumas pour faire, d’elle-même, son entrée dans l’histoire de France.
Son origine remonte à l’époque gallo-romaine où elle porte le nom de Magdunum qui signifie « ville sur un lieu élevé ». Et comme tous les lieux élevés, elle est couronnée d’un poste de garde que l’on peut décorer du nom de château. Un premier château qui ne résistera pas aux Vandales. Les ruines tenteront par la suite un saint homme, Liphard, qui y installera une sorte de monastère. C’est là qu’il mourra, c’est là qu’on l’enterrera et, autour de son tombeau, va s’édifier une ville défendue par une forteresse monastique qui aura elle aussi des malheurs, par le fait des Normands. On en sera quitte pour reconstruire une fois la terrible vague passée. Et, en l’an 1090, le modeste château de Meung est le théâtre d’une grande scène d’amour en forme de prologue à une nouvelle guerre de Troie.
À cette époque, la dynastie capétienne, fraîchement née, a pour représentant un souverain d’un type nettement exotique : le roi Philippe Ier. Fils d’Henri Ier et d’une princesse russe, Anne de Kiev (la seule Russe qui eût jamais régné sur la France), il tient de sa mère, une affolante sirène blonde venue du fond des steppes avec un train digne des Mille et Une Nuits, une extrême beauté, un tempérament volcanique et ce prénom de Philippe au parfum byzantin et parfaitement inusité en France. Sans oublier, bien entendu, le charme slave. Un charme qui plonge dans la mélancolie nombre de femmes du royaume. Au nombre desquelles se trouve la très belle comtesse d’Anjou, Bertrade de Montfort.
Bertrade, en dépit de sa beauté, est mal mariée. Son époux, Foulques d’Anjou, est tout ce que l’on veut sauf un homme agréable. D’ailleurs, ses sujets, qui s’y connaissent, l’ont surnommé le Réchin, autrement dit le grognon. Et, avec lui, ce totem serait plutôt un euphémisme. En effet, coupable d’avoir trucidé son propre frère, le Réchin a déjà usé trois épouses : Hildegarde de Beaugency, morte d’une raclée un peu trop copieuse, Hennengarde de Bourbon et Arengarde de Castillon qui sont encore en vie mais méditent, au fond de deux bons couvents, sur les inconvénients que l’on éprouve lorsque l’on cesse de plaire. Or, Bertrade est fière et refuse l’idée d’être un jour privée de sa couronne par un caprice masculin, et cela en dépit de sa beauté et du fils qu’elle a eu l’habileté de donner à son époux. En outre, elle a entendu vanter le charme du roi de France et elle pense que cet homme-là lui conviendrait beaucoup mieux. Aussi, sans balancer davantage, lui écrit-elle une lettre qui pourrait se résumer ainsi : « Je suis mal mariée et malheureuse en amour car, sans vous avoir jamais vu, je vous aime et j’ai juré de n’appartenir à un autre homme que vous. »
Ce sont de ces mots qui frappent l’imagination quand on est amateur de jolies femmes, même quand on est marié. Car Philippe aussi est marié. À l’âge de quinze ans – il en a alors trente-sept – on l’a marié à une Hollandaise ronde et rose, Berthe de Hollande, qui, avec les années et les maternités, est devenue obèse et couperosée : c’est dire que le sentiment de ce que l’on doit à une épouse ne l’encombre pas. Et Philippe d’annoncer son intention de rendre à son « féal comte d’Anjou » une visite d’amitié.
Quand il arrive à Tours où le rendez-vous est fixé, c’est le double coup de foudre. Dès le premier instant, le géant blond s’assure le cœur de la brune et ardente comtesse qui, de son côté, déchaîne chez le roi une de ces passions dévorantes comme on n’en rencontre pas deux dans la vie… Et l’on assure que, dès le lendemain, Bertrade déclare à Philippe qu’elle est prête à se laisser enlever. Ce à quoi le roi répond : « Quand vous voudrez ! » Et cela ne va pas traîner. Moyennant bien sûr une honnête dose de dissimulation et d’hypocrisie.
En effet, tandis que, dans l’église Saint-Jean, Philippe inaugure les fonts baptismaux en jurant à son hôte une éternelle amitié, Bertrade prépare discrètement ses bagages. Puis, la visite terminée, le roi prend courtoisement congé des Angevins pour regagner sa ville royale d’Orléans, où il tient sa cour. Bertrade le regarde partir le sourire aux lèvres : elle sait bien qu’elle le reverra avant peu. Et, en effet, le lendemain, prétextant une visite pieuse à un moûtier des environs, la belle comtesse se dirige vers un certain pont du Beuvron où Philippe a dû laisser une troupe destinée à simuler un enlèvement. Qui réussit en tout point, et c’est triomphalement que l’on ramène Bertrade à Meung où l’attend Philippe. C’est là qu’ils vont vivre leur première nuit d’amour, une nuit d’amour dont on prétend qu’elle fut fabuleuse…
La nuit de Meung marque le début d’une passion qui jamais ne se démentira et que rien ne pourra abattre, ni la guerre que déchaîne aussitôt le Ménélas grincheux de cette nouvelle Hélène, ni les foudres de l’Église maniées par le pape Urbain II qui ira jusqu’à frapper le royaume d’interdit, ni les menées plus ou moins sourdes de Louis et de Constance, les enfants laissés par Berthe de Hollande. Seule la mort séparera Philippe de Bertrade. C’est lui qui part le premier et Bertrade, tandis que son beau-fils devient le roi Louis VI, s’en va finir sa vie et attendre que la mort la réunisse à son amour dans le couvent des Hautes-Bruyères.
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