Rapace comme il n’est pas permis, François, qui s’entend comme personne à faire valoir les services qu’il rend à ses maîtres, même quand ces services seront d’un ordre très particulier, est un curieux homme. Veuf en premières noces de Jacqueline de Rohan, c’est auprès d’elle qu’il se fera enterrer, dans le superbe tombeau que l’on peut toujours voir à Malesherbes. Un tombeau assez étrange en ce sens que le gisant de François est couché sur le côté et tourne carrément le dos à celui de sa compagne, tout simplement parce qu’elle lui a été infidèle ! Une façon comme une autre de marquer sa réprobation envers une femme qu’il a cependant choisie pour être sa compagne d’éternité. Peut-être parce qu’il l’aimait véritablement. Peut-être aussi par snobisme : une Rohan appartenait à une famille autrement relevée qu’une simple Marie Touchet.
C’est pourtant elle la plus intéressante de la famille, et c’est à elle que nous allons nous arrêter un moment. Marie, de naissance, est une simple bourgeoise. Son père, Jean Touchet, était lieutenant au présidial d’Orléans et sa mère se nommait Marie Mathy. Quand elle rencontre Charles IX, elle a dix-sept ans, il en a seize et, tout de suite, c’est le coup de foudre.
Le jeune roi, accompagné de sa mère Catherine de Médicis et de toute la cour, vient, durant près de deux années, d’accomplir un immense voyage à travers la France afin de connaître mieux tous ces gens qui la composent. Quand l’énorme cortège s’arrête à Orléans, en 1566, c’est la fin du voyage. Mais les notables n’en reçoivent pas moins leur jeune souverain avec faste et donnent, entre autres fêtes, un grand bal dans les salons du somptueux hôtel Groslot. C’est à ce bal que Charles rencontre Marie, et il ne cache pas son éblouissement. Il est vrai que la jeune fille a tout ce qu’il faut pour séduire : blonde, rose, fraîche, ravissante, elle a un air de douceur et une timidité qui lui ouvrent tous les cœurs. Et celui de Charles résiste d’autant moins que cette belle enfant va enfin lui faire oublier l’amour malheureux qu’il porte, depuis des années, à sa belle-sœur Marie Stuart, repartie, après la mort de François II, pour ses montagnes écossaises.
Toute la nuit Charles a dansé avec Marie et avec Marie seule. Il a bavardé longuement avec elle à l’écart de tous. Personne n’oserait s’interposer : le roi est vif, voire violent et emporté. Quand il exprime le désir d’emmener Marie à Paris avec le titre illusoire de demoiselle d’honneur de sa sœur Margot, personne ne souffle mot : ni la reine Catherine trop heureuse de voir enfin effacé le souvenir encombrant de Marie Stuart, ni les parents de la jeune fille, immensément flattés de l’honneur qui leur est fait.
À Paris, Marie ne fera pas grand service au Louvre. Charles, qui n’a aucune envie de la voir mêlée aux autres suivantes de sa sœur et qui craint pour elle les méchancetés de cour, l’installe avec sa nourrice dans une jolie maison à façade sculptée pourvue d’un beau jardin et sise dans la rue du Monceau-Saint-Gervais toute proche de la rue Saint-Antoine. C’est une maison commode parce que assez proche du Louvre mais surtout située sur le chemin de Vincennes où le jeune roi, passionné de chasse, se rend fréquemment. Ce sera pour lui, son jardin secret, le lieu paisible et doux où il pourra oublier les pièges d’un règne difficile. Là, auprès de Marie, à laquelle il a donné pour devise l’anagramme de son nom « Je charme tout », Charles sera un jeune homme comme les autres, tendre et plein d’amour, et non plus le jeune fauve couronné qui fait trembler son entourage.
Après la nuit tragique de la Saint-Barthélemy au cours de laquelle Marie Touchet manque d’être tuée, Charles lui fait quitter sa petite maison qu’il juge peu sûre à présent, et la jeune femme vivra le plus souvent dans l’entourage de son amant. C’est au château du Fayet, en Dauphiné, que, le 28 avril 1573, elle donne le jour à un fils. Le roi n’a plus qu’une année à vivre, et le bonheur de Marie va s’achever dans les larmes d’un regret sincère.
Ce pourrait être la fin pour elle mais Catherine de Médicis et Diane de France, la sœur bâtarde mais légitimée de Charles IX, l’ont prise sous leur protection. Ce sont elles qui vont la pousser à accepter la demande de François de Balzac d’Entragues. Un bon mariage que plusieurs enfants enrichiront. Mais, parmi ceux-là, il y a une fille destinée à faire dans le monde un chemin aussi bruyant que néfaste…
Des années passent sur Malesherbes. Pas trop paisibles, car l’époux de Marie n’est pas homme à rester tranquille. Ligueur acharné, il mène la vie dure aux forces royales jusqu’à ce qu’enfin Henri IV oblige tout ce monde à se tenir tranquille. Ce qui incite le seigneur d’Entragues à faire savoir qu’il souhaite rentrer en grâce. Et c’est pourquoi, par un beau soir du mois de juin 1599, le roi chevauche en direction de Malesherbes à la tête d’une troupe solidement armée.
Il est d’humeur morose, le Béarnais toujours si joyeux, car deux mois plus tôt il a perdu la dame de ses pensées et de ses amours, la belle Gabrielle d’Estrées, sa favorite dont il avait fait une duchesse de Beaufort et dont il était sur le point de faire une reine de France. Au grand scandale de ses sujets.
Gabrielle ne sera jamais reine, mais le chagrin est encore vif et le roi ne permet guère qu’on l’en distraie tandis qu’il chemine en direction d’Orléans. Cependant la nuit est proche et Henri sort enfin de son mutisme pour appeler auprès de lui son chambellan de la clef secrète, Fouquet de Varenne, et lui demander où il a disposé l’étape du soir. Ce sera à Malesherbes. Et le roi de s’étonner. Quoi, chez cet Entragues trop remuant, cet ancien ligueur ?… Tout de suite, on l’apaise : l’ancien ligueur se veut désormais le plus fidèle sujet de son roi. D’ailleurs sa demeure est belle, sa femme en dépit de l’âge garde de la grâce et ses filles comptent sûrement parmi les plus jolies de France…
La phrase, lancée sans en avoir l’air, porte tout de même. Si jolies que cela ? Déjà l’œil bleu d’Henri retrouve un peu de lumière. Quoi de mieux qu’un joli minois pour apaiser les regrets ? C’est décidément une bonne idée que de s’arrêter à Malesherbes. Encore que cette idée-là ne plaise pas du tout à Sully, l’ami fidèle, le ministre, qui n’aimait pas la belle Gabrielle et n’a aucune envie de voir une autre aventurière graviter autour de son maître. En outre, il déteste les Entragues et, à mesure que l’on approche, cette idée de s’arrêter à Malesherbes lui sourit de moins en moins. Mais, déjà, on est arrivé…
C’est d’abord François de Balzac d’Entragues qui s’en vient saluer le roi. Son fils l’accompagne et aussi un garçon brun, très grand, hautain, avec un regard sauvage : celui qui n’est encore que le jeune comte d’Auvergne, qui sera plus tard duc d’Angoulême, le fils de Marie Touchet et de Charles IX1. Ce bâtard de France ne laisse ignorer à personne son sang royal et sa révérence s’en ressent. Le roi cependant ne s’offusque pas : là-bas, plus près du château, trois femmes l’attendent qui déjà plongent dans leurs amples robes presque jusqu’à l’agenouillement : l’ancienne favorite royale, qui est encore belle, et ses deux filles : Marie et Henriette. Mais le roi ne verra que cette dernière…
Blonde, fine, souple, elle a les plus beaux yeux bleus du monde et le plus beau sourire. Et puis elle a vingt ans. Elle est belle et fraîche, et Henri croit voir devant lui la déesse même du printemps. Fini les larmes ! Chacun peut constater qu’en entrant au château, Sa Majesté a retrouvé le sourire.
Le lendemain, au départ de Malesherbes, Sully note que le panache blanc a reparu au chapeau de son roi, qu’il a retroussé sa moustache et beaucoup soupiré en prenant congé des dames. Aussi la mine du ministre s’assombrit-elle à mesure que s’éclaire celle de son maître. Les airs penchés que prend Henri ne présagent rien de bon pour le ministre. Et, en effet, le soir même, à l’étape Henri IV dépêche MM. de Castelnau et du Lude avec mission de retourner à Malesherbes et d’en ramener la famille d’Entragues tout entière. Ce soir-là, le comte d’Auvergne dira à Henriette : « Ma sœur, vous avez là une chance d’être reine de France. Tâchez de vous en souvenir !… »
Elle ne s’en souviendra que trop ! Dès cet instant, le roi va se retrouver prisonnier non seulement d’une passion violente mais encore d’une femme qui saura en jouer pour la seule satisfaction de ses intérêts. Avec l’aide, bien sûr, de sa famille désormais dévouée à ses ordres. Tout l’arsenal d’une coquetterie savante et perfide fut mis en œuvre. Henriette faisait mine de se laisser attendrir puis se refusait plus fermement qu’auparavant, alléguant que ses parents craignaient pour leur honneur le sentiment qui l’entraînait vers le roi. Celui-ci ne savait plus à quel saint ou plutôt à quel démon se vouer.
Quand on put penser qu’il était « à point », la belle Henriette l’invita à la rejoindre à Malesherbes, et là, elle fit connaître les « conditions » posées par les siens à sa reddition : cent mille écus d’or, une terre, un titre de marquise et, pour couronner le tout, une promesse de mariage écrite… Ce dernier article hérisse Henri. Il accepte le reste mais pour la promesse de mariage, il allègue qu’il ne peut courir le risque d’un mariage stérile. Et l’on en vient à un compromis : la promesse de mariage sera valable si Henriette est enceinte dans les six mois et si, dans l’année 1600, elle donne un garçon à la Couronne.
Sully note dans ses Mémoires que, le roi lui ayant montré le papier fatal, il s’en empara et le déchira :
— Es-tu fou ? s’écria Henri.
— Oui, répondit Sully, mais je ne suis pas le seul en France.
Alors, sans rien ajouter, le roi monte dans son cabinet, écrit une seconde promesse toute pareille à la première, repasse devant son ministre comme s’il ne le voyait pas, demande ses chevaux et se précipite à Malesherbes où il s’enferme avec sa bien-aimée durant trois jours entiers. Il s’agissait de mettre sans attendre l’enfant en chantier.
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