La forteresse fut démantelée en 1488 sur l’ordre du duc François II pour punir Jean II de Rohan qui avait pris le parti d’Henri IV. Le Béarnais avait d’ailleurs le soutien total de ces hauts seigneurs devenus ducs et pairs, princes de Léon depuis 1572. Privé de ses défenses, Jean II se consola en faisant construire l’admirable logis qui élève sur la cour d’honneur ses hautes fenêtres fleuronnées.

Le donjon, lui, fut victime de Richelieu qui supportait mal les tours féodales. On dit que le Cardinal, rencontrant au Louvre le duc de Rohan, lui lança : « Je viens, monsieur, de jeter une bonne boule dans votre jeu de quilles. »

Le château souffrit les deux siècles suivants mais il est à porter au crédit de la charmante et folle duchesse de Berry d’avoir, en 1824, conseillé sa restauration. Ce que se sont appliqués à faire tous les ducs de Rohan jusqu’à nos jours.


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(les week-ends)

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1- Voir Clisson.

Limoëlan

L’homme à la machine infernale

Il est donc des remords ? Ô fureur ! Ô justice !

VOLTAIRE

C’est la veille de Noël de l’an 1800. Le souvenir des temps affreux de la Terreur commence à s’estomper. Bonaparte, Premier consul, a ramené l’ordre, et la religion reparaît timidement. Bien timidement en vérité, car les messes ne sont toujours pas autorisées. Quand on en célèbre une, c’est toujours chez des particuliers. Encore est-ce avec beaucoup de discrétion et de précautions. Mais, des précautions, Mlle Adélaïde de Cicé n’en a jamais beaucoup pris…

À cinquante et un ans, elle a traversé la Révolution sans paraître s’en apercevoir. Sainte fille, cœur pur s’il en est, elle a continué en pleine Terreur à visiter les malades, à secourir les pauvres, à recueillir même chez elle une communauté de religieuses pourchassées et à répandre sur tous une inépuisable charité. Elle n’a même pas consenti à supprimer la particule de son nom ou à dissimuler le fait qu’elle est la sœur de deux évêques. Et le plus fort c’est qu’on l’aime, qu’on la respecte dans toutes les classes d’une société bouleversée et que l’imprudent qui eût osé la dénoncer n’aurait sans doute pas vécu très vieux.

Rien d’étonnant en conséquence à ce qu’elle fasse célébrer, chaque année, à Noël une messe de minuit dans sa maison de la rue Cassette à Paris. D’autant que le célébrant, le père de Clorivière, est un vieil ami.

Mais ce soir, en dehors du prêtre, il n’y a que des femmes dans le salon où la cérémonie se prépare : Mlle de Cicé, bien sûr, les religieuses qu’elle a recueillies, les trois dames de Limoëlan qui sont ses parentes et une jeune fille, Anne-Marie de D…, dont le nom n’a jamais été révélé. Elle habite Versailles comme les dames de Limoëlan et est fiancée à leur fils et frère. Et Anne-Marie s’inquiète parce que ce fiancé, Joseph, se fait attendre…

C’est un grand garçon de trente-deux ans, assez beau en dépit d’une vue un peu basse qui l’oblige à porter des lunettes, et il ne manque pas de charme. Alors que les dames de Limoëlan n’ont jamais quitté la France, il est tout récemment rentré d’émigration et les femmes qui l’aiment s’inquiètent quand il est seulement un peu en retard. À plus forte raison quand il s’attarde ainsi au cœur de la nuit. Anne-Marie comme les autres, car elle est attachée à son fiancé et il ne s’agit pas entre eux d’une union de convenances. En vérité, c’est un amour tout neuf et la jeune fille ne connaît pas très bien celui à qui elle a promis sa main.

Elle sait cependant qu’il appartient à une ancienne famille bretonne et qu’il est le neveu du père de Clorivière. Son nom entier est Joseph-Pierre Picot de Limoëlan de Clorivière. Il est né à Nantes le 4 novembre 1768 mais il a passé toute sa jeunesse dans le beau château construit par son père en 1779 et qui, respecté ou à peu près par la tourmente révolutionnaire, s’élève non loin de Jugon et de Broons où naquit le grand connétable Du Guesclin. Un château où elle espère bien aller vivre un jour, elle aussi. On le lui a si souvent décrit !

C’est, au bout d’une allée de chêne, une belle demeure dressée au centre de vastes tapis verts. Elle a beaucoup d’allure, avec son avant-corps surmonté d’un toit en dôme et la noble terrasse par laquelle on descend aux jardins. Un endroit où il doit faire bon vivre en dépit du fait que, durant presque toute la Révolution, le château a été déserté. C’est que la mort y est déjà passée : compromis dans la conspiration du marquis de la Rouërie, le bâtisseur, Alain-Michel de Limoëlan, a été guillotiné à Paris le 18 juin 17931.

Cette mort a rendu Joseph furieux. Il a servi dans l’armée de Condé mais, rentré en France, il s’est jeté dans la Chouannerie, a mené avec passion la guerre d’embuscades à travers les chemins creux et les forêts de la campagne bretonne. Durant des années, il a vécu une vie errante, jusqu’au jour où il lui est apparu qu’il était impossible de renverser cette république qu’il détestait. Alors il a abandonné les armes et, apparemment soumis, a rejoint à Versailles les femmes de sa famille…

Quand la messe prend fin, le chevalier de Limoëlan n’est toujours pas là. De chapelle, le salon redevient salon et Mlle de Cicé fait circuler quelques friandises quand, soudain, on entend un pas rapide. Sans se faire annoncer, Limoëlan fait irruption dans la pièce. Il est pâle, hagard même, et ses vêtements sont couverts de poussière mais il ne prend même pas le temps de saluer les dames : c’est le père de Clorivière qu’il vient chercher, c’est le prêtre. On a besoin de lui d’urgence. Clorivière suit son neveu sans poser de questions, sans autres commentaires, laissant les femmes dans la plus grande inquiétude. Et il y a quoi.

Il y a peu d’heures, Bonaparte, sa femme Joséphine et sa belle-fille Hortense qui devaient se rendre à l’Opéra de la rue de la Loi (rue de Richelieu) ont échappé de justesse à un attentat. Leur voiture venait tout juste de quitter les Tuileries quand, dans la rue Saint-Nicaise proche et qu’elle allait emprunter, un tonneau de poudre placé sur une charrette a explosé.

Heureusement pour le Premier consul et les siens, leur voiture était passée, mais il y a une douzaine de morts et la colère gronde dans les alentours du palais. En effet, la charrette avait été achetée pour la circonstance par les conjurés ainsi que le cheval qui la traînait et, attitude affreuse, l’un de ces hommes a prié une fillette de quatorze ans de tenir l’animal pendant quelques instants. Enfant, charrette et cheval, tout a été déchiqueté par l’explosion en même temps qu’une dizaine de personnes qui fêtaient Noël dans un cabaret voisin. Des passants et un cavalier de l’escorte ont été blessés. À présent, la police de Fouché est sur les dents. Le ministre est en effet persuadé que le complot est l’œuvre des royalistes. Il ne se trompe pas…

Cependant, Anne-Marie est rentrée à Versailles, au matin, avec ses amies, mais elle n’a pas revu son fiancé. Et c’est avec stupeur, avec horreur aussi que, trois semaines plus tard, elle apprend les nouvelles : Mlle de Cicé et les dames de Limoëlan ont été arrêtées. On sait à présent, en effet, qui étaient les hommes de la machine infernale : Limoëlan d’abord, le chef, son domestique Carbon et un ancien officier de marine, Robinault de Saint-Régent, ses anciens compagnons de Chouannerie. C’est pour Carbon que le chevalier est venu chercher le père de Clorivière. L’homme a été gravement blessé. On l’a ramené ensuite chez Mlle de Cicé où la petite communauté l’a soigné. Mais il a commis l’imprudence de sortir. Il a été reconnu, arrêté le 18 janvier, et il a tout avoué…

Au prix d’un réel danger car il est recherché lui aussi, le père de Clorivière, devinant le désarroi d’Anne-Marie, réussit, un soir, à lui rendre visite. Et là il raconte tout, s’efforçant d’adoucir autant que faire se peut la terrible vérité : oui Limoëlan est bien l’âme du complot fomenté contre le Premier consul, oui il appartient toujours à la Chouannerie secrète, oui des innocents sont morts. Pourtant, au dernier moment, il ne se décidait pas à donner le signal de mettre le feu à la mèche. Ce retard a sauvé Bonaparte. Saint-Régent, qui était chargé d’allumer à l’aide de sa pipe, l’a fait un peu au jugé. Lui aussi a été arrêté. Quant au chevalier, il a disparu…

Seul le père de Clorivière sait où il est mais, même à cette fiancée douloureuse, il ne le dira pas. Fouché fouille partout, arrête tout ce qui bouge, tout ce qui paraît suspect. Il va même jusqu’à promettre la vie sauve à Limoëlan s’il se rend. Mais le chevalier ne tombera pas dans ce piège. Il connaît trop bien les ruses du policier. Quant à Anne-Marie, elle devra se contenter d’une affirmation : celui qu’elle aime est bien caché et il est indemne.

Le 1er avril suivant, Carbon et Saint-Régent sont condamnés à mort puis exécutés tandis que tous ceux que l’on a arrêtés sont relâchés. Fouché est certain à présent que les trois hommes ont agi seuls. Mlle de Cicé et les dames de Limoëlan peuvent rentrer chez elles.

Cependant, au fond des souterrains en ruine de l’église Saint-Laurent où son oncle l’a caché et dont il ne sort que la nuit, et rarement, le chevalier a entendu la rumeur de la double exécution. Il s’affole, veut partir, quitter ces souterrains sinistres où les remords l’assiègent. C’est encore le père de Clorivière qui se charge de lui faire quitter Paris. Déguisé en chiffonnier, dans une mauvaise charrette, le fugitif parvient à gagner la Bretagne et à rejoindre son château de Limoëlan où sa mère et ses sœurs sont revenues. L’une de celles-ci, Marie-Thérèse, vient d’épouser un gentilhomme, M. de Chappedelaine, qui a hérité une fortune d’un oncle en Amérique.