Naturellement, l’ambitieux étouffe de fureur et, n’osant s’en prendre au roi, il s’en prend à la favorite. Le jour où Louis XIV apprend que Lauzun se répand à travers la cour et la ville en traitant sa maîtresse de « bougresse de fille publique » il se fâche, fait arrêter l’insolent et l’envoie rejoindre à la forteresse de Pignerol en Piémont le surintendant Fouquet qui s’y morfond déjà depuis plusieurs années. Lauzun va y rester dix ans. Dix ans d’angoisse et de désespoir pour la pauvre Mademoiselle qui arrose souvent de ses larmes ses jolis parterres d’Eu où elle souhaitait tant passer sa lune de miel.
Peut-être Lauzun fût-il resté éternellement à Pignerol si Mme de Montespan n’avait eu une idée : celle de faire adopter par Mademoiselle le jeune duc du Maine, l’aîné des enfants qu’elle a donnés au roi. La marquise pense ainsi faire coup double : non seulement elle assurera une fortune quasi royale à son enfant mais encore elle causera un sensible plaisir au roi qui se détache d’elle au profit de Mme de Maintenon, laquelle adore positivement le petit duc du Maine.
Mademoiselle lutte longtemps contre ceux qui veulent la dépouiller mais le chantage est bien monté. La pauvre femme a tellement envie de retrouver son bien-aimé qu’elle fait donation d’une partie de ses biens à l’enfant mais s’en réserve tout de même la jouissance jusqu’à sa mort. Et Lauzun, libéré, revient…
Hélas ! Du sémillant seigneur de jadis il reste un homme déjà âgé, aigri par la captivité et dont l’humour, souvent cruel, s’est changé en franche méchanceté. Il est, en outre, plus coureur que jamais, ayant dix années de pénitence à rattraper. Mais, toujours amoureuse, Mademoiselle ne voit ni ses cheveux gris ni ses dents absentes. Elle l’épouse dès son retour dans le plus grand secret et l’emmène, enfin, à Eu.
Elle ne tardera pas à regretter cette folie car elle découvre, un peu tard, hélas ! qu’elle a lié son sort au plus affreux mufle que la terre ait jamais porté. À Eu, Lauzun ne cesse de récriminer, critiquant tout : l’ameublement, les jardins pourtant aussi beaux que ceux de Versailles, le service et, naturellement, son épouse plus sévèrement encore que tout le reste. Après quoi, au bout de trois semaines, il court à Paris pour y retrouver les maîtresses qui lui manquent. Mademoiselle reste seule.
À regret elle se résigne à le suivre. Elle trouve alors Lauzun installé dans son palais du Luxembourg et se comportant de façon à révolter la femme la plus aveugle et la plus sotte. Ce qu’elle n’était pas.
Finalement, lasse d’avanies répétées, elle décida de repartir pour Eu, laissant Lauzun à Paris. Le ménage était irrémédiablement brisé et, d’ailleurs, Mademoiselle finit par chasser carrément son époux, lors d’une de leurs rares rencontres où il avait osé la traiter comme une servante :
« Ne reparaissez jamais devant moi, lui dit-elle. Vous n’êtes qu’un coquin. »
Eu ne porta guère chance aux descendants de la Montespan. Son petit-fils, le comte d’Eu, y fut exilé après la conspiration de Cellamare. Le duc de Penthièvre, héritier de ce cousin, n’y vint guère qu’une fois l’an. Puis ce fut le silence désolé que la Révolution imposa à tant de nobles demeures. Sous l’Empire, la sénatorerie de Rouen jugeant le château trop onéreux à entretenir le fit en partie démolir. Il fallut attendre la Restauration pour que la duchesse douairière d’Orléans, fille de Penthièvre, pût le récupérer.
Ce fut le futur roi Louis-Philippe qui le ressuscita. Comme tous les Orléans d’alors et ceux à venir il aimait beaucoup Eu et en fit sa maison de vacances préférée. Trois ans avant de quitter le trône, il y reçut la reine Victoria qui devait garder de son séjour un charmant souvenir :
« Je vous écris de cette chère demeure, confie-t-elle au roi des Belges, Léopold Ier, son oncle, gendre de Louis-Philippe, où nous vivons au milieu d’une admirable et vraiment aimable famille, où nous nous sentons tout à fait chez nous et comme parmi les nôtres. L’accueil du cher roi et de la reine a été plein de bonté et celui de la foule vraiment flatteur. »
HORAIRES D’OUVERTURE DU MUSÉE LOUIS-PHILIPPE
Du 15 mars au 6 novembre 10 h-12 h et 14 h-18 h
Fermé le mardi et le vendredi matin.
http://www.ville-eu.fr/chateau-musee.php
Falaise
Le roman d’Arlette et de Robert le Diable
La blanchisseuse, gaie et tendre
Sourit, et dans le hameau noir,
Sa mère, au loin cesse d’entendre
Le bruit vertueux du battoir.
Du château primitif où le futur conquérant d’Angleterre poussa ses premiers cris, il ne reste que des murailles qui dominent toujours le charmant val d’Ante. Miraculeusement, alors que l’aviation alliée détruisait Falaise aux trois quarts, en août 1944, la vieille forteresse ne souffre que très peu. Le charme du site demeure entier comme demeure intact le parfum de la belle histoire d’amour d’où naquit Guillaume.
De son père le duc de Normandie Richard II, comme de sa mère la fière Judith de Bretagne, Robert, comte d’Hiesmois et frère du duc Richard III, tient un orgueil intraitable, une vaillance de paladin et un cœur farouche à souhait mais il ne doit qu’à lui-même son caractère emporté jusqu’à la brutalité et ce goût du sang qui l’amène parfois aux plus barbares cruautés ; d’où ce surnom de Robert le Diable.
En dehors de la chasse à laquelle il s’adonne avec énergie, deux passions l’habitent : les chevaux et les femmes. Il maîtrise les premiers et dompte les secondes avec la même aisance, la même autorité qui sait se faire tendresse pour les beaux étalons et les douces pouliches, mais désinvolture un peu méprisante pour les jolies filles qui l’admirent. Jamais il n’est question d’amour dans ses entreprises de séduction – rendues bien trop faciles par un physique exceptionnel. Et l’amour dédaigné lui a rendu son mépris en le laissant bien tranquille, attendant l’heure où il pourra lui faire payer ses rodomontades et ses mauvaises plaisanteries. Elle vint, cette heure, par un jour de printemps particulièrement doux et lumineux du mois d’avril 1027.
Ce soir-là, Robert, avec ses hommes et ses chiens, revient de la chasse et suit la rivière d’Ante pour rentrer au château. Un château assez différent de ce que l’on pourrait imaginer : de grosses pierres grises mal équarries sous des hourds de bois peints à ces couleurs violentes qu’affectionnaient les Vikings ; ces Vikings dont Robert porte le sang et qui ne sont pas si loin !
Soudain, comme il arrive en vue d’un lavoir, le jeune comte s’arrête. Il y a là trois jeunes filles occupées à laver du linge, ce qui ne leur enlève rien de leur gaieté naturelle. Agenouillée dans un baquet de bois, la première trempe un drap qu’elle retient à pleines mains sous l’eau verte de la rivière. La seconde étale sur l’herbe des pièces de lingerie blanches. Mais c’est la troisième que Robert regarde…
Debout sur une pierre plate, elle foule le linge de ses pieds nus. Le bliaud de laine et la chemise de toile retroussés, elle danse joyeusement sur le linge savonneux qui l’éclabousse de mouchetures blanches. Et, naturellement, elle est ravissante. Blonde comme le sont les Normandes de belle race, rose comme une églantine des haies avec dans les yeux tout le bleu d’un ciel d’été. Avec cela, solide et drue. Une belle plante, en vérité, faite pour porter un jour de beaux fruits. Et Robert, en remontant vers son château, gardera longtemps sa tête tournée vers le lavoir…
Il sait son nom, qu’il lui a demandé. Elle s’appelle Arlette et elle est la fille de Fulbert, le maître tanneur de Falaise. Ce n’est ni une serve, ni une fille de peu. Son père est l’un des notables de la ville et il ne peut être question de la faire enlever nuitamment pour la violer dans quelque salle basse du château. Et puis, curieusement, Robert répugne à employer de tels moyens avec cette jolie fille qui lui a souri si doucement.
Pendant plusieurs jours, accoudé à une étroite fenêtre d’où l’on peut apercevoir la vallée, il a guetté les lavandières. Pas en vain, d’ailleurs. Tous les jours Arlette est revenue laver à la grande surprise de Dode, sa mère, étonnée de cette grande frénésie de nettoyage. Car, si Robert pense à elle, la jeune fille a été bouleversée par leur brève rencontre qui, pour elle, n’était pas la première.
Quand vint le mois de juin, Robert sut qu’il ne pouvait plus vivre sans Arlette et il envoya à Fulbert un émissaire chargé de demander qu’on lui envoyât la jeune fille. Il ne pouvait être question de mariage, et le procédé pourrait surprendre si l’on ignorait que Robert, en cela, faisait jouer l’ancien usage danois, le more danico, la vieille loi païenne dont avaient fait usage si longtemps les rois de la mer. Elle les autorisait à faire leur concubine d’une fille du peuple et, si la fille donnait le jour à un garçon, celui-ci pouvait devenir l’héritier de son père. En fait, hormis Robert lui-même et ses frères, tous leurs ancêtres étaient venus au monde par ce chemin pittoresque car, chez les Vikings, la bâtardise n’existait pas. Seul comptait le sang du père.
Néanmoins, la vieille coutume a perdu quelque peu de sa force et Fulbert se trouve fort empêtré de sa réponse. Il s’en va voir un sien frère qui s’est retiré en ermitage à Guibray afin d’avoir son conseil.
Le conseil de l’ermite est sage. Mieux vaut accorder au comte ce qu’il demande au grand jour que risquer, non seulement de le voir s’emparer d’Arlette par la force, mais encore de vouer toute la famille à son ressentiment. Robert peut être cruel et cela se sait. Et puis, pourquoi ne pas demander à la principale intéressée ce qu’elle en pense ?
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