Certes, le titre l’enchante un court instant mais, son mari n’étant plus ministre, on ne quitte guère Chamarande où elle s’ennuie ferme. Tout à coup, elle décide de faire un séjour en Angleterre. Elle a fini en effet par s’enticher de ce pays qu’elle déclare le plus agréable du monde. Elle en copie les modes, les habitudes et truffe son langage de tant de locutions anglaises, inventant ainsi le franglais sans s’en douter, que les Britanniques amusés l’ont surnommée lady Persington.

Deux mois après l’aventure du Château des Fleurs, Églé s’embarque pour Douvres, sans même laisser d’adresse, pensant qu’elle donnera de ses nouvelles quand il lui plaira.

Habitué, Persigny se résigne mais il n’en va pas de même de sa belle-mère. La princesse de La Moskowa, mère d’Églé, passait pour avoir l’esprit légèrement dérangé ; en fait elle était beaucoup moins folle que sa fille. De son père, le banquier Laffitte, elle tenait du bon sens. Elle le prouva en débarquant un beau matin à Chamarande où elle trouva son gendre entouré à la fois de ses enfants et de lettres anonymes qu’elle lut après avoir pris soin de mettre ses gants.

Le conseil qu’elle donne est énergique : il faut que Persigny fasse rentrer Églé au plus tôt en la menaçant du divorce. Ce qui fut fait : huit jours plus tard, la nouvelle duchesse réintégrait Chamarande mais pour s’y montrer plus odieuse que jamais, s’il était possible.

En 1869, Églé réussit à se faire inclure dans la suite de l’impératrice qui s’en allait en Égypte inaugurer le canal de Suez mais, si Eugénie partit avec elle, ce fut sans elle qu’elle en revint : Mme de Persigny s’était trouvé un nouvel amant…

Cela lui évita les horreurs de la guerre de 1870, et Persigny, lui, suivit en Angleterre l’empereur et l’impératrice déchus. Ses enfants l’accompagnaient. Hélas ! le climat anglais lui fut meurtrier. Quand il revint à Chamarande, en août 1871, il se savait perdu. La mort approchait et il voulut revoir celle qu’il avait tant aimée. Il lui écrivit mais elle ne répondit même pas.

Le mal cependant allait s’aggravant. À la suite d’une première attaque d’apoplexie, le chirurgien Ricord, qui soignait Persigny, lui conseilla le Midi. Le duc alors gagna Nice toujours escorté de ses enfants et du fidèle Henri de Laire qui ne l’avait jamais quitté. Malheureusement le climat chaud n’arrangea rien.

Alors Persigny attendit, attendit longtemps celle qui semblait avoir tout oublié. Ce fut un télégramme comminatoire d’Henri de Laire qui la persuada enfin de bouger. Non par tendresse mais par intérêt : ne fallait-il pas qu’elle veille à ses biens puisque son époux était mourant ? Elle traversa donc la Méditerranée mais arriva trop tard :

« Il est écrit, ma mère, que vous arriverez toujours trop tard », lui dit amèrement sa fille Marguerite.

Vexée et peu désireuse de contempler longtemps des visages en larmes, Mme de Persigny prit le premier bateau pour Alexandrie.


HORAIRES D’OUVERTURE

En janvier, novembre et décembre 9 h-17 h En février, mars et octobre 9 h-18 h

En avril et mai 9 h-19 h De juin à septembre 9 h-20 h

Ouverture du château et des fabriques uniquement pendant les périodes d’exposition.

Le parc est labellisé « Jardin remarquable ».

http://www.essonne.fr/culture-sports-loisirs/lieux-culturels/domaine-departemental-de-chamarande/

Chambord

L’étrange mort d’un soldat

La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont toujours rêvée.

Charles DE GAULLE

À château fantastique, histoire fantastique. À ce rêve de pierre blanche ne pouvait correspondre que la démesure. Son bâtisseur ? Un jeune roi haut de deux mètres. Son but ? Le sourire d’une femme. François Ier, roi chasseur, roi galant et fastueux mécène, qui d’un diamant désabusé gravera un jour sur l’une de ses vitres : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie », l’a construit pour plaire à Mme de Châteaubriant, sans doute, mais aussi pour que les siècles à venir eussent quelque idée de la splendeur de sa cour et des extrêmes beautés auxquelles il était destiné à servir de cadre. Les femmes aimèrent toujours Chambord qui convenait si bien à leur éclat mais qui, pourtant, jamais n’appartint à une femme…

À l’aurore de leur commune passion, Louis XIV y mène la superbe Montespan et, pour elle, le 14 octobre 1670, Molière donne la première du Bourgeois gentilhomme. Tant que le fabuleux Versailles n’éclatera pas sous le ciel d’Île-de-France, le grand roi, à huit reprises, y donnera chasses et festins. Après quoi le château s’endort.

Il ouvre un œil quand le roi Louis XV y installe ses beaux-parents, le roi de Pologne Stanislas Leczinski et sa femme la reine Catherine. Mais l’humidité forestière ne vaut rien à leurs rhumatismes et moins encore les émanations des étangs voisins. Aussi la petite cour de l’ex-souverain se hâte-t-elle d’aller se mettre au sec. Chambord ne la regrettera pas : elle était trop modeste pour lui.

Il va trouver beaucoup mieux. En effet, vers la fin du mois de mai 1745, toutes les cloches de France sonnent pour la victoire de Fontenoy – « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » – et Chambord devient la récompense du vainqueur. Le roi accorde à son « cousin » le maréchal de Saxe, avec le droit d’entrer en carrosse dans ses palais royaux et celui de s’asseoir en sa présence, un privilège quasi royal : celui de tenir sa garnison à Chambord et d’y garder son propre régiment tout comme un prince régnant. Ce qu’il devrait être d’ailleurs, sans sa naissance irrégulière, ce prodigieux bâtard né des amours du roi Auguste de Saxe avec la très belle Aurore de Königsmark.

Voilà un personnage à la dimension du château ! Au physique, c’est un géant qui plie un fer à cheval entre ses deux mains. Blond, l’œil bleu, le sourire arrogant, Maurice de Saxe emporte la vertu des femmes plus facilement encore que les places fortes. Princesses ou comédiennes – la grande Adrienne Lecouvreur est morte de l’avoir trop aimé – elles raffolent de ce guerrier en qui se retrouve le charme célèbre des Königsmark. Seule la charmante Mme Favart saura résister à la poursuite, assez effrayante d’ailleurs, du héros et cela pour une bien simple raison, extrêmement rare il est vrai dans ce siècle libertin : elle aime sincèrement son mari.

Donc, voilà le maréchal qui s’installe à Chambord. Et quelle arrivée spectaculaire car il mène avec lui Saxe-Volontaires, son fameux régiment de cavalerie : cinq cents uhlans polonais, allemands, valaques et même tartares, cinq cents cavaliers d’élite précédés de leur brigade colonelle, composée uniquement de Noirs gigantesques ! Tout cela monté sur des chevaux blancs, tout cela vêtu d’éclatants uniformes verts, rouges et blancs et casqué de cuivre doré à crinières blanches. Au bout des lances, les flammes blanches voltigent au vent léger et au pas cadencé des chevaux. Une inoubliable vision que les paysans de Chambord ne sont pas près d’oublier et leurs filles moins encore. Quelques mois plus tard, en effet, le curé du village commence à baptiser d’étranges bébés dont la couleur s’éloigne curieusement de la blancheur tourangelle.

Durant deux années, Chambord vit une existence digne du Roi-Soleil. Bals, fêtes, chasses et banquets se succèdent. Le maréchal est un hôte prestigieux qui aime à s’entourer de jolies femmes sans doute, mais aussi d’artistes, de philosophes et d’écrivains. Il réserve aux intellectuels de l’époque un accueil si chaud que l’on croit bon de lui offrir un fauteuil à l’Académie. L’idée le fait beaucoup rire ainsi que l’on peut s’en convaincre dans ce court billet où il donne la pleine mesure de son orthographe :

« Il veule me fera de la Cadémie ; sela m’iret comme une bage à un chas ! »

Donc pas de fauteuil ! En revanche, il y en aura mille huit cents dans le théâtre qu’il fait construire pour ses invités. Pourtant, s’il a de nombreux amis, il ne manque pas d’ennemis ainsi qu’en fait foi l’étrange épisode qui marque la fin de sa vie.

Le 26 novembre 1750, alors que le maréchal garde la chambre sur l’ordre formel de son médecin Sénac – il a un beau début de grippe – son vieux valet de chambre Mouret lui apporte une lettre qu’un courrier vient de déposer. Le malade ouvre la lettre, la lit, la relit puis, rejetant ses couvertures, il ordonne à son valet de l’habiller puis d’aller chercher son aide de camp.

Le jour se lève à peine – un jour gris et pluvieux d’automne grincheux – quand les deux hommes descendent dans le parc et se dirigent vers le mur d’enceinte. Sous les arbres, il y a deux hommes enveloppés de manteaux sombres qui attendent auprès d’une chaise de poste.

Le maréchal et son aide de camp rejoignent ces deux hommes tandis que Mouret, qui a discrètement suivi son maître, observe la scène de loin. Il voit l’un des deux hommes rejeter son manteau, se défaire de son habit tandis que le maréchal fait de même. Puis les épées sont tirées et le fer engagé.

La rencontre est brève. Quelques passes et Maurice de Saxe qui se bat assez mollement, gêné sans doute par sa fièvre et le désavantage de l’âge – il y a longtemps qu’il ne s’est battu en duel – chancelle et s’écroule dans l’herbe, atteint à la poitrine. Mouret alors accourt et, avec lui, un vieux fermier, le père Desfri, qui a vu le duel lui aussi. En arrivant, le valet entend alors son maître ordonner d’une voix faible :

« Partez, monsieur ! Partez vite ! Vous voilà satisfait et le secret vous sera gardé. »

Soutenu par Mouret et par son aide de camp puis par son neveu, le comte de Friesen qui vient à la rescousse, le maréchal regagne sa chambre en grelottant. Sénac, qui arrive en coup de vent, n’a pas le temps de s’indigner : on exige de lui le secret absolu comme on l’a exigé de tous les spectateurs de la rencontre. Et, quatre jours plus tard, le maréchal de Saxe meurt d’une très officielle fluxion de poitrine. Avant de s’éteindre, il a murmuré, pour les seules oreilles de son médecin : « Mon ami, voici la fin d’un beau rêve. »