Thiers a tiqué. Judas était moins cher, mais qui veut la fin veut les moyens et Deutz aura son argent quand la duchesse sera prise. Deutz assure qu’il réussira et part pour Nantes en compagnie du nouveau préfet.

Le 31 octobre, il est reçu par la duchesse à laquelle il « apporte des nouvelles du Portugal ». Une seconde audience lui est assignée pour le mardi 6 novembre. Deutz vient vers quatre heures, reste une heure et ne s’éloigne qu’après avoir constaté que la table est mise pour sept personnes et que Madame va souper ici. Ce soir-là, en effet, outre les habitués, il y a la baronne de Charette.

Vers cinq heures et demie, comme, réunis dans la chambre de Mlle Pauline, on bavarde en regardant se lever la lune, Guibourg qui est debout près de la fenêtre voit soudain luire des baïonnettes et constate que des troupes encerclent silencieusement la maison. Aussitôt, on se précipite au troisième, on ouvre la plaque de la cheminée. Mesnard et Guibourg se glissent les premiers dans la cachette, puis la duchesse et Stylite. Il est temps. La maison est envahie. On fouille partout mais on ne trouve rien. On commence à sonder les murs. Sans succès. Alors le gros de la troupe se retire, laissant des gardes dans toutes les pièces.

Deux gendarmes sont installés dans la chambre où se cachent les fugitifs. Comme la nuit est humide, ils font du feu avec des papiers, au grand affolement des captifs de la cheminée. Heureusement, le feu s’éteint. Les hommes n’ont pas cherché à l’entretenir et l’air qui passe à travers les tuiles du toit ranime les occupants de la cachette.

Hélas, au matin, ayant froid de nouveau, les gendarmes rallument le feu et cette fois ils l’entretiennent. La plaque devient brûlante. Le bas des robes commence à prendre feu et la fumée envahit l’étroit espace. Alors, Marie-Caroline se rend…

Sur son ordre, Mesnard et Guibourg ouvrent la plaque. On éteint le feu et les gendarmes éberlués voient une petite femme couverte de poussière, aux vêtements roussis, qui sort de la cheminée à quatre pattes et leur dit :

— Je suis la duchesse de Berry. Vous êtes français et militaires. Je me fie à votre honneur…

Et, sans rancune, elle leur sourit. Elle n’est même pas abattue par ces seize heures de cauchemar.

Une heure plus tard, au bras du général Dermoncourt, elle quitte la maison des demoiselles du Guiny pour les prisons du château de Nantes. Deutz a gagné son argent, qu’on lui tendra, dit-on, avec des pincettes. Il a gagné aussi la flétrissure que lui infligera Victor Hugo, indigné :

Rien ne te disait donc dans l’âme, ô misérable !

Que la proscription est toujours vénérable,

Qu’on ne bat pas le sein qui nous donna son lait,

Qu’une fille des rois dont on fut le valet

Ne se met pas en vente au fond d’un antre infâme

Et que n’étant plus reine elle était encor femme…

L’aventure de Petit-Pierre est terminée. Il va falloir, à présent, en payer le prix…

À la nuit close, ce 15 novembre, le bateau qui amène à Blaye la duchesse de Berry et ses deux derniers compagnons, Mesnard et Mlle de Kersabiec, jette l’ancre dans la Gironde. Le général Janin et son aide de camp prennent un canot pour aller chercher les prisonniers qu’accompagnent, depuis Nantes, le colonel Chousserie et son officier d’ordonnance. Un officier qui s’appelle… Petitpierre ! Le destin a de ces jeux !

Le roman cependant n’est pas terminé. Au bout de quelques mois, le général Bugeaud, qui est commis à la garde de la duchesse, constate que la taille de sa prisonnière a tendance à s’arrondir. Certes, elle n’a jamais perdu son bel appétit, mais tout de même ! Et il finit par lui faire avouer l’invraisemblable : elle est enceinte ! Mais de qui ?

La duchesse déclare qu’elle s’est mariée secrètement en Italie mais refuse de donner un nom.

Le gouvernement de Louis-Philippe pourrait étouffer le scandale, mais il n’en fait rien. Bien au contraire. Il faut donner le plus de publicité possible à cet événement qui ridiculise les Bourbons aînés. Il faut plonger dans la honte le courageux « Petit-Pierre ». Plus il y aura de boue sur sa légende et mieux cela vaudra !

Dès lors, la duchesse est surveillée plus que jamais. Le général Bugeaud couchera pratiquement devant sa porte et il assistera à l’accouchement qui a lieu le 10 mai 1833. Il s’agit d’une petite fille que l’on baptise Anne-Marie-Rosalie.

Cependant, affolés, les partisans, les amis cherchent une solution. Ils ont repris celle que Madame a proposée : elle est secrètement mariée… Et l’on cherche. Et l’on trouve : « Madame » a épousé le comte Hector Lucchesi-Pali, des princes de Castel Franco, qui lui a parfois rendu visite à Massa. Et c’est lui qui, un beau jour, vient gravement chercher « son épouse » quand, enfin, les portes de la forteresse de Blaye s’ouvrent devant celle qui n’est plus que Mme Lucchesi-Pali. Donc, à présent nullement dangereuse.

Mais personne n’est dupe. Au moment de la conception de l’enfant qui n’a pu avoir lieu qu’à Nantes, Lucchesi-Pali était en Hollande. Mais Achille Guibourg, lui, était là. Achille Guibourg qui était jeune, beau, plein de charme et qui était passionnément amoureux de la duchesse « Vif-Argent »…, de son gentil compagnon de combat.

Achille Guibourg que Marie-Caroline ne pouvait pas épouser… et qu’elle ne reverra jamais…


Aujourd’hui, la citadelle de Vauban est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.

En saison, visite de la citadelle par les souterrains pour comprendre le génie de Vauban.

Pour les jours et heures de visite, se renseigner auprès de l’Office du Tourisme : 05 57 42 12 09.

Bonneval

Les aventures de Bonneval-Pacha

Ne regarde pas à la blancheur du turban

Peut-être que le savon était pris à crédit.

Proverbe turc.

Le talent de se brouiller avec tout le monde et de se créer un peu partout des affaires n’est pas donné au commun des mortels. Mais il est des êtres distingués du ciel qui, à ce jeu, s’entendent mieux que personne. Chez Claude-Alexandre de Bonneval, cadet de l’une des plus nobles et des plus puissantes maisons du Limousin, ce curieux talent confine au génie. Cela tient moins d’ailleurs à un caractère emporté et parfois violent qu’à une fabuleuse dose d’orgueil. Un orgueil qui, tout de même, trouve moyen de n’être pas insupportable tant le jeune Bonneval possède de charme.

À un physique agréable, il joint « beaucoup d’esprit orné de lectures, bien disant, éloquent avec du tour et de la grâce ». Mais, à côté de cela « fort gueux, extrêmement débauché, grand escroc et fort pillard ». Le portrait étant de Saint-Simon, chacun peut en prendre ce qu’il veut.

C’est en 1675 que Claude-Alexandre vient au monde dans cet admirable château au charme médiéval intact que les descendants d’Aymeric de Bonneval et de sa femme Sybille de Comborn, les bâtisseurs, ont su conserver tel qu’il était lors de sa construction au XIVe siècle – avec tout de même plus de confort. Il descend de ce Guillaume de Bonneval qui, en 1248, partit pour la croisade, de ce Germain de Bonneval qui fut, à la bataille de Fornoue, l’un des sept preux armés et vêtus comme le roi Charles VIII et qui se fit tuer à Pavie en défendant François Ier. Il descend des rois de Navarre et des vicomtes de Limoges. Ses ancêtres comptent parmi les premiers barons chrétiens ; ils ont acquis le droit de se dire cousins du roi et, chez eux, la bravoure est chose toute naturelle : on ne saurait concevoir un Bonneval qui ne soit la vaillance même.

Pour Claude-Alexandre, tout commence en 1685, quand il atteint ses dix ans. À un âge où l’on n’est encore qu’un petit garçon, il s’engage sur les vaisseaux du roi comme garde-marine. Je dis bien : il s’engage. Nul ne l’a poussé. Il pense seulement qu’il n’est jamais trop tôt pour se faire une réputation. Un cousinage avec M. de Tourville fait le reste et décide de sa vocation momentanée : ce Limousin sera marin !

Un marin pittoresque. Il est de ceux à qui l’on peut demander le plus pur héroïsme et le sacrifice suprême mais certainement pas de se plier à une quelconque discipline : brave jusqu’à la folie mais impossible à faire plier.

À treize ans, ce gamin se voit convoqué par le ministre Seignelay, fils du grand Colbert, qui le tance vertement et le menace de le renvoyer dans ses foyers. Cela vaut au grand personnage une non moins verte réplique :

— On ne casse pas un homme de mon nom !

Seignelay sait jauger les gens. La riposte lui plaît. À cet enfant à l’échine raide dont les yeux bruns le défient, Seignelay sourit :

— Le roi casse le garde-marine mais le fait enseigne de vaisseau, monsieur !

Enchanté, Claude-Alexandre retourne à la mer sans trop savoir s’il préfère se faire tuer pour un si grand roi ou devenir amiral… Hélas, quelque temps après, le nouvel enseigne, traité « comme un croquant » par un lieutenant du même vaisseau, se prend de querelle avec lui, le gifle, l’affronte en duel et le tue. C’est un exploit pour son âge mais les conséquences sont graves : il faut quitter la marine.

Il n’en éprouve guère de regrets. La discipline lui est décidément insupportable et il se sent fait pour le commandement. Mais où le trouver ?

Comme tous les Bonneval passés, présents et futurs, c’est un cavalier-né. Comme tel, il persuade son père de lui offrir un régiment alors que s’ouvre la guerre de Succession d’Espagne. Et le voilà parti. En fait, il vient de trouver sa véritable vocation car c’est à la fois un stratège et un entraîneur d’hommes. Il s’illustre si fort sous Villeroy et Catinat que sa réputation franchit les lignes de feu et s’en va résonner jusque chez l’ennemi aux oreilles du prince Eugène de Savoie-Carignan qui applaudit. Décidément le jeune capitaine pourrait se retrouver un jour maréchal de France.