Parmi ces lettres, certaines sont signées de Chateaubriand, d’autres du grand avocat Berryer qui l’adjure : « Hâtez-vous d’accourir ou nous ferons le soulèvement sans vous… » Et elle va accourir, persuadée que tout l’Ouest l’attend les bras ouverts et l’arme au pied. Elle se sent tous les courages. Elle n’en manque pas, cette petite femme au cœur bien placé, car une épidémie de choléra fait rage en France et elle le sait. Elle partira quand même…
Le 30 avril 1832, la duchesse de Berry déguisée en mousse débarque d’un petit bateau à Sainte-Croix près de Carry-le-Rouet, en compagnie de deux ou trois amis dont son écuyer inamovible, l’excellent comte de Mesnard. Elle pense y retrouver deux mille partisans : il n’en est venu que soixante… et encore ! Un mouvement de troupe les a égaillés comme moineaux. Cela ne décourage pas pour autant la duchesse : on ira en Vendée !
Et elle y va. À pied d’abord puis à cheval, en voiture et même à dos d’âne. Le 7 mai, elle arrive au château de Plassac près de Saintes où elle trouve un accueil chaleureux chez les Dampierre. Certaine que toute la province va se lever à sa voix, elle refuse d’écouter le baron de Villeneuve quand il essaie de lui expliquer que les choses ont peut-être changé, qu’on n’a peut-être pas tellement envie de se battre pour ce qui n’est, au fond, qu’une querelle de famille : branche aînée contre branche cadette…
Après dix jours de repos à Plassac, la duchesse pénètre enfin en Vendée et gagne Montaigu où le baron de Charette vient à sa rencontre. Charette ! Quel beau nom pour une insurrection ! Presque un drapeau !… Par des chemins détournés, Charette conduit Marie-Caroline au château de Preuillé, chez le colonel de Nacquart qui l’accueille avec respect mais non sans inquiétude. Une inquiétude qu’il ne songe pas à dissimuler :
— Nul n’attend Madame. La Vendée n’est pas prévenue et la présence de la mère d’Henri V va attirer tous les malheurs sur le pays…
C’est peu agréable à entendre mais, en ce qui concerne « la mère d’Henri V », il ne saurait en être question. Ce n’est pas une princesse qui va entrer en guerre, c’est un jeune partisan, un paysan comme les autres et avec qui les autres se battront mieux. Et, le lendemain, la duchesse apparaît vêtue d’un pantalon de coutil bleu, d’une veste noire à boutons de métal ouvrant sur un gilet jaune, d’une blouse de paysan et d’une paire de sabots. Une perruque foncée couvre sa chevelure blonde et par-dessus elle a enfoncé un bonnet de laine.
— Voilà ! dit-elle. À présent, je suis Petit-Pierre. Bien malin qui me reconnaîtra sous cette défroque.
Elle pétille de vie, elle éclate d’espérance et son enthousiasme est communicatif. Et puis jamais elle ne s’est autant amusée ! À l’aventure se mêlent son goût du théâtre et sa passion du risque. Et puis, bientôt Petit-Pierre a un compagnon : Petit-Paul, autrement dit Stylite de Kersabiec, une jeune Vendéenne un peu exaltée qui se voue corps et âme au service de Madame. Ces deux gamins vont faire une fameuse paire que rien ne rebutera : ni la fatigue, ni le mauvais temps, ni les dangers toujours présents comme dans cette chaumière cernée par les soldats de Louis-Philippe et dont Petit-Pierre sort tranquillement en vidant un bol de cidre. On couche sur la paille ou au creux d’une haie, on trinque avec les paysans. C’est une vie merveilleuse au milieu d’une poignée de braves parmi lesquels se distingue Achille Guibourg, un jeune avocat nantais qui se veut le chevalier de Petit-Pierre. On fait le coup de feu au coude à coude, on passe des nuits à la belle étoile…
Pourtant, les déceptions s’ajoutent aux déceptions. La Vendée ne se soulève pas du tout. Elle n’a plus envie de se battre. L’ordre de soulèvement qu’a promulgué la duchesse risque fort de rester lettre morte. Et Marie-Caroline ne comprend rien à ce qui lui arrive ! Là-bas, à Massa, elle recevait des centaines de lettres qui l’appelaient, la suppliaient de venir se mettre à la tête des troupes fidèles. Et voilà que les troupes fidèles n’existent pas, qu’on l’a leurrée et qu’elle s’est jetée sur ce leurre ? Mais tout cela ne peut pas être vrai ? Ce n’est pas possible ? Ces gens ne savent pas ?
Pauvre Petit-Pierre ! Pauvre brave petit soldat qui ne demandait pas mieux que de mourir pour sa cause ! Les chefs qui se sont présentés se rétractent à présent et, à Paris, le comité légitimiste prend peur. Il envoie Berryer, l’homme qui voulait que Madame se hâtât pour ne pas manquer le début du soulèvement. Il tient aujourd’hui un tout autre langage : « Le seul nom de chouans amènerait même les gens d’opinions paisibles à lutter contre les légitimistes… » Il y aura aussi une lettre de Chateaubriand…
Ce qu’il y a surtout, c’est que Paris a envoyé le maréchal de Bourmont avec des troupes et que les forces sont disproportionnées. Dans un moment de découragement, Petit-Pierre décommande le soulèvement, puis se reprend. La raison en tient tout entière dans son caractère héroïque. Elle dira : « J’aime mieux mourir sur cette noble terre que d’accepter pour moi et pour ma famille la fin des Stuarts… » Le soulèvement aura lieu dans la nuit du 3 au 4 juin.
En attendant, on mène la guérilla. On tiraille dans les haies et dans les bosquets autour du lac de Grandlieu. Les Bleus ont l’avantage du nombre et multiplient les perquisitions. Qu’importe ! Dans la nuit du 3, le tocsin sonne pour de maigres troupes qui convergent vers Maisdon, entre Sèvre et Maine, cette Maine dans laquelle, il y a quelques jours, Marie-Caroline a failli périr noyée. Il ne faut pas un quart d’heure à Bourmont pour les disperser. La troupe de Charette se fait mettre hors de combat au hameau du Chêne et Charette ne pense plus qu’à sauver Petit-Pierre qui s’enfuit à travers la nuit avec Achille Guibourg, lequel sera pris un peu plus tard et envoyé aux prisons de Nantes.
Un seul combat, mais héroïque, au manoir de La Pénissière. Dans la nuit du 5, une soixantaine d’hommes aux ordres des quatre frères de Girardin, d’Athanase de Guinefolle et de Louis de Chevreuse, se font encercler. Ils se battent trop bien. Alors on les enfume comme des renards. On met le feu au toit. Tout brûle autour d’eux mais ils se battent toujours en chantant le Miserere. Quelques-uns tentent une sortie, la réussissent, mais huit d’entre eux veulent rester jusqu’au bout pour l’honneur du drapeau blanc aux fleurs de lys.
Quand ils cessent de tirer et que le silence revient, les troupes s’éloignent tandis que le manoir achève de brûler. Les défenseurs ne peuvent vivre encore dans ce brasier. Pourtant, ils sont toujours vivants et sortent enfin, roussis sur toutes les coutures pour se perdre dans la nuit et se jeter dans la première rivière.
Et Petit-Pierre dans tout cela ? Au lendemain du combat du Chêne, elle est restée cachée dans un fossé boueux jusqu’à ce que la route soit libre. Elle abandonne le combat en campagne pour ne pas provoquer d’autres morts, mais elle n’abandonne pas la lutte. Elle veut se rendre à Nantes où elle sait trouver un refuge. De là, elle correspondra avec les puissances étrangères, avec les rois qui sont ses frères ou ses cousins, elle pourra fanatiser ses fidèles, ranimer la flamme vacillante et attendre dans l’ombre le moment inéluctable où s’écroulera le trône de Louis-Philippe. A-t-on jamais vu un roi avec un parapluie pour sceptre ?
Elle quitte, non sans regrets, le costume de Petit-Pierre pour celui d’une paysanne : coiffe, tablier et sabots puis, toujours flanquée de Mlle de Kersabiec habillée de même, elle prend un panier de légumes et entre à pied dans Nantes, un jour de marché. C’est le 6 juin. Il fait beau et Marie-Caroline s’accorde de flâner un moment avant de gagner le refuge dont elle ne pourra plus sortir. Elle va même lire, tout en croquant une pomme, l’un des placards apposés sur les murs de la ville et qui donnent son signalement. Ce qui l’amuse beaucoup. Puis, elle gagne le n° 3 de la rue Haute-du-Château.
Là habitent deux vieilles filles, plus riches d’ancêtres et de noblesse – la leur remonte sans faiblir jusqu’au XIVe siècle – que d’écus : les demoiselles du Guiny. Elles sont légitimistes passionnées, vaillantes et de cœur haut placé. Barbey d’Aurevilly a décrit, dans Le Chevalier Destouches, des femmes de cette trempe, fidèles, courageuses et sachant se taire, par le truchement des demoiselles de Percy et de Touffedelys. Telles sont les demoiselles du Guiny, surtout l’aînée, Pauline. Aussi, quel que soit le danger que représente la présence de Madame, n’hésitent-elles pas à l’affronter. Elles ont déjà, d’ailleurs, un assez dangereux pensionnaire : Achille Guibourg, qui a été arrêté, s’est échappé du château de Nantes et a précédé la duchesse chez les demoiselles du Guiny. Autant le dire tout de suite, il est « très attaché » à l’ex-Petit-Pierre. Attachement payé de retour ainsi que le révélera la suite de l’histoire. C’est grâce à lui que l’asile des demoiselles du Guiny a été ouvert à Marie-Caroline…
Celle-ci s’installe au troisième étage de la maison en compagnie de Mlle de Kersabiec. Leur logis est une mansarde succinctement meublée mais pourvue d’une cheminée intéressante car la plaque qui en constitue le fond bascule, dévoilant une cachette. Les repas sont pris en commun au second étage et la duchesse se trouve bien dans cette maison amie. Il y a autour d’elle Stylite et sa sœur Eulalie venue la rejoindre, le bon Mesnard… le cher Guibourg ! Elle entreprend sans tarder une énorme correspondance avec toute l’Europe, que son courage et son obstination finissent par remuer un peu.
À Paris, cependant, on s’inquiète, on s’énerve. M. Thiers vient de prendre le portefeuille de l’Intérieur et aimerait inaugurer son ministère en mettant la main sur la duchesse de Berry. Il trouvera, hélas, l’homme qu’il lui faut dans un misérable, un certain Simon Deutz, un juif converti au catholicisme. La duchesse connaît ce Deutz depuis Massa où il s’était présenté à elle comme mandataire du pape. Du pape qui n’a jamais voulu lui confier quelque message que ce fût. Mais, ignorant ce détail, Marie-Caroline a confiance en lui, et c’est cette confiance qu’il va monnayer : il demande 500 000 francs !
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