— Non. Vous qui faites si grand cas de l’honneur, soyez un peu plus soucieux du mien.
— Allez-vous jouer les prudes ? Je vous parle d’amour et l’amour doit passer avant tout. Je ne serai heureux, Sylvie, que lorsque vous serez mienne… et je suis sûr que vous le serez aussi.
— Quel fat vous faites !… Vous venez trop tard, mon ami. Pas parce que je vous aime moins qu’autrefois – Dieu m’est témoin que je n’aimerai jamais que vous au sens de la passion – mais que n’êtes-vous venu me prier plus tôt ! Que ne m’avez-vous aimée plus tôt… À présent, il y a entre vous et moi un homme droit, bon et plein d’amour que pour rien au monde je ne veux blesser…
— Quel heureux mortel ! fit Beaufort avec amertume. Il y a vraiment des gens qui ont de la chance ! Celui-là n’a eu qu’à se baisser pour tout récolter : physique agréable, fortune, titre et enfin la seule femme que j’aime ! Ce n’est pas juste !
— C’est vous qui ne l’êtes pas. Me direz-vous ce que vous avez à lui envier : vous êtes prince – et même prince du sang ! – pas vraiment affreux, suffisamment riche pour les tripots que vous fréquentez – ne protestez pas, je le sais ! – enfin vous avez eu toutes les femmes que vous avez voulues.
— Sauf la seule qui ait de l’importance !
— Ne reniez pas celles que vous avez aimées, ce n’est pas digne de vous.
— Vous ne m’empêcherez pas de garder l’espoir !
— Je n’ai aucun moyen de vous en empêcher… mais ne comptez pas sur moi pour vous encourager !
On arrivait et il était grand temps pour Sylvie. Enfermée dans cet espace clos avec un homme dont elle sentait l’ardeur l’envelopper comme une flamme, elle mourait d’envie de se jeter dans ses bras et d’oublier tous les beaux principes qu’elle venait d’énoncer au seul profit d’une divine étreinte mais, après avoir franchi le pont de Charenton, le carrosse s’était engagé sur une petite route aboutissant au château de Conflans.
Sylvie eut à peine le temps de mettre pied à terre que Jeannette et la petite Marie étaient déjà là.
— On dit qu’il y a eu du bruit dans Paris ! s’écria la première après avoir salué Beaufort. Nous étions en peine de madame…
— Il ne fallait pas. Je n’ai couru aucun danger.
— Mon Dieu !…
La dernière exclamation était suscitée par Marie qui, tendant ses petits bras, s’efforçait de passer de ceux de Jeannette à ceux de François. Il lui sourit et l’enleva en la tenant en l’air où pieds et mains s’agitèrent joyeusement tandis que l’enfant riait.
— En voilà une qui sait reconnaître ses amis ! dit le jeune duc. Dieu qu’elle est mignonne !… Elle ressemble à sa mère !
— C’est tout à fait ça ! fit Jeannette avec satisfaction. C’est le même petit diable qui pique les mêmes colères… et, on dirait, monseigneur, qu’elle vous a aussi adopté… comme sa mère !
En regardant sa fille appliquer de gros baisers sonores sur la joue de François qui la serrait contre lui, Sylvie éprouva une vive émotion. Elle aussi s’était, autrefois, blottie contre celui qu’elle appelait « Monsieur Ange ». Ce jour-là elle avait peur, froid, et elle tremblait dans sa chemise tachée de sang. Grâce à Dieu, ce n’était pas le cas de Marie, vêtue d’une jolie robe de toile rose sur des jupons bien blancs d’où dépassaient ses pieds minuscules chaussés de petites pantoufles de velours. Son attrait pour François n’en était que plus significatif, d’autant que, toujours comme elle-même autrefois, elle refusait de s’en séparer.
— Je vais la porter dans la maison, dit celui-ci en riant. Peut-être votre hospitalité ira-t-elle jusqu’à m’offrir un peu de vin frais ? Je meurs de soif…
Le moyen de refuser ? Sylvie d’ailleurs n’en avait pas envie et, au fond, elle n’était pas mécontente de montrer sa jolie maison des champs. On s’installa dans un salon dont les hautes fenêtres ouvraient sur les terrasses fleuries de roses et la Seine étincelante. Tenant toujours Marie, François s’en approcha :
— C’est ravissant… La maison de Sylvie ? ajouta-t-il en tournant son sourire vers la jeune femme. Elle m’en rappelle une autre qui n’était pas plus jolie…
L’entrée du majordome apportant une lettre sur un plateau vint rompre le charme :
— M. le comte de Laigues l’a portée lui-même il y a une heure en se rendant à Saint-Maur pour le service de Mgr le prince de Condé. C’est une lettre de Monsieur le Prince… et il n’y a pas de réponse.
Saisie d’une vague inquiétude, Sylvie prit la lettre en regardant François qui, sourcils soudain froncés, reposait à terre la petite fille. Elle en fit sauter le cachet et la parcourut rapidement, ce qui était une sorte d’exploit, l’écriture du vainqueur de Rocroi étant aussi extravagante que peu lisible. Enfin, elle exhala un léger soupir :
— Monsieur le Prince m’écrit de Chantilly[43]. Il dit qu’étant blessé devant Furnes, il a été secouru et dégagé par mon époux. Cette action… héroïque lui a valu d’être lui-même atteint et même capturé… Cependant, le gouverneur espagnol de la ville assiégée a fait savoir que sa vie n’était pas en danger et qu’il serait traité selon sa qualité de gentilhomme… et de monnaie d’échange… Monsieur le Prince ajoute que je ne dois pas me tourmenter et qu’il fait son affaire de la délivrance du meilleur de ses officiers…
— Depuis Chantilly ? ironisa Beaufort. Monsieur le Prince est sans doute un grand capitaine mais il lui arrive de raisonner comme un tambour crevé !
— Vous avez mieux à proposer ? fit Sylvie acerbe.
— Oui, madame la duchesse ! Moi proscrit, moi prisonnier en fuite, je vais aller à Furnes voir si je peux m’employer à vous rendre un époux si précieux !
Il salua jusqu’à terre puis sortit en courant.
— François ! appela la jeune femme.
Mais il était déjà parti.
CHAPITRE 13
DES VIVRES POUR PARIS !
Des semaines s’écoulèrent sans ramener Beaufort ni Fontsomme et personne ne pouvait dire ce qu’ils devenaient. Le prince de Condé prenait les eaux à Bourbon pour hâter la guérison de sa blessure à la hanche. Paris était à peu près calme, de ce calme fragile apporté par l’expectative. Encouragé par son récent succès, le Parlement campait sur ses positions, sans renoncer à obtenir les « réformes » qu’il jugeait indispensables. Cependant, il était impossible de recommencer les barricades : il avait bien fallu laisser la petite Cour émigrer à Rueil. En effet, le sort, venant au secours de Mazarin, avait permis que le prince Philippe, duc d’Anjou, contracte à son tour la petite vérole. Merveilleux prétexte pour éloigner le Roi et sa mère ! Il eût relevé du régicide d’empêcher Louis de fuir la contagion. La contrepartie, douloureuse au petit malade et au cœur de sa mère, fut que l’enfant resta au Palais-Royal, pitoyable otage de la politique mais suffisant pour apaiser la méfiance des Cours souveraines… pour quelques jours au moins. La Reine supportant difficilement son anxiété, son premier écuyer, M. de Beringhen, revint discrètement à Paris, enleva dans un nid de couvertures le petit garçon qu’il fourra, tout fiévreux, encore, dans le coffre de son carrosse, et le ramena triomphalement à sa mère. Le Parlement grinça des dents, mais quelques jours plus tard s’ouvraient les conférences de Saint-Germain où l’on tenta une sorte d’accommodement. Ce n’était d’ailleurs pas le moment d’entamer une autre révolution : à quelques centaines de kilomètres de là, en Allemagne, les représentants de la France, de la Suède et de l’Empire discutaient les derniers articles des traités de Westphalie qui allaient mettre fin à la guerre de Trente Ans. Le 24 octobre ce fut chose faite, consacrant les pleins droits de la France sur l’Alsace, les Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun) et, sur la rive droite du Rhin, Philippsburg et Brisach. Quelques centaines de princes allemands y trouvaient leur autonomie sous l’aile théorique de l’Empereur. Un seul absent, mais de taille : l’Espagne avec laquelle il semblait que l’on ne finirait jamais d’en découdre… La Cour rentra à Paris pour un autre Te Deum.
À Conflans, Sylvie entendit sonner les cloches de toutes les églises, annonçant la paix si longtemps attendue, et s’en réjouit car elle y voyait la promesse du retour de Jean. Ces deux mois, elle les avait vécus dans le calme, passant de longues heures avec sa petite Marie et regardant jaunir les feuilles de son jardin. La Reine, eu égard à la santé de l’enfant, ne lui avait pas permis de la rejoindre à Rueil et elle lui en était reconnaissante, mais elle savait que le joyeux carillon marquait aussi la fin des beaux jours et que le retour rue Quincampoix, qu’elle retardait de jour en jour, devenait inéluctable.
Sa réticence à regagner sa maison de ville n’avait pas échappé à Perceval de Raguenel, venu passer un mois avec elle.
— Je sais que vous aimez la campagne, mon cœur, mais ne l’aimez-vous pas un peu trop ? Cette belle vallée est fort humide à la mauvaise saison et l’hôtel de Fontsomme si agréable ?
— Je ne sais pas pourquoi mais, cette année, je n’ai guère envie de rentrer.
— Il le faut bien, pourtant, si vous ne voulez pas que la Reine vous rappelle à l’ordre ? Songez aussi au petit Roi qui vous aime si fort.
— Et que j’aime infiniment moi aussi…
— Eh bien alors ?
Comme Sylvie ne répondait rien, Perceval reposa sur la table du souper le verre qu’il venait de vider, s’adossa à son fauteuil, poussa un soupir et dit, tout doucement :
— Pourquoi ne viendriez-vous pas attendre le retour de votre époux chez moi ? Ce serait une joie pour ma maisonnée et vous vous y sentiriez peut-être… moins solitaire que rue Quincampoix. Donc moins exposée.
Le dernier mot fit tressaillir Sylvie :
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