— Vous voilà rendue, m’dame la duchesse. À bientôt j’espère, parc’que j’ai encore jamais vu une duchesse aussi mignonne que vous !
Ayant dit, il s’enfuit à toutes jambes tandis que Sylvie, flattée, se mettait à rire. Malheureusement, chez son parrain, elle trouva visage de bois ou à peu près, car il lui fallut longtemps pour se faire ouvrir et apprendre que seule Nicole Hardouin était au logis. M. le chevalier et Corentin étaient partis le matin même pour Anet à la demande de Mme de Vendôme. Aussi Nicole en profitait-elle pour faire un grand ménage, aidée par Pierrot qu’elle venait d’envoyer en course. En dépit de l’accueil aimable, Sylvie comprit sans peine qu’elle serait encombrante.
— Quand il sera de retour, recommanda-t-elle, dites à mon parrain que j’aimerais le recevoir quelques jours à Conflans. Il y a longtemps qu’il me le promet, et il ne vient jamais.
C’était une constatation un peu triste et non un reproche. Elle savait, en effet, que depuis l’emprisonnement de François, Perceval se dévouait beaucoup aux Vendôme persécutés et qu’en outre il avait encore resserré les liens qui l’unissaient à son ami Théophraste Renaudot, malmené lui aussi par le nouveau régime comme par ses fils qui prétendaient lui ôter la direction de la Gazette…
— Il viendra… Je vous promets qu’il viendra ! assura Nicole sur une révérence qui mettait fin à l’entretien.
Il fallut bien, enfin, se résigner à rentrer rue Quincampoix…
CHAPITRE 12
DES PAS DANS LE JARDIN
Une fois rentrée chez elle, Sylvie s’y trouva mieux qu’elle ne le craignait. C’était comme un havre de paix, une île insensible à la mer en train de grossir, encore qu’une certaine nervosité se fît sentir chez les domestiques, mais la solennité un brin pontifiante de Berquin le maître d’hôtel et de dame Javotte, la gouvernante qui était aussi son épouse, en imposait suffisamment au petit peuple des laquais et des chambrières pour maintenir l’ordre. Ils s’étaient contentés de détacher un laquais et un marmiton pour aller aux nouvelles et ne pas être pris de court en cas d’émeute véritable.
Il avait fait chaud tout le jour et, depuis le crépuscule, des nuages d’orage passaient sur la ville qu’ils parcouraient sur sa largeur. Aussi la jeune femme changea-t-elle avec plaisir ses atours pour une ample robe de batiste blanche garnie de dentelles et fraîchement repassée, après s’être délassée un moment dans un cuveau d’eau froide. N’ayant guère faim, elle ne prit qu’un repas léger puis libéra ses femmes en disant qu’elle n’avait plus besoin de leurs services et se coucherait seule. Enfin, elle descendit au jardin dans l’intention d’y rester le plus longtemps possible. À moins que l’orage ne l’en chasse…
Mais il ne semblait pas disposé à éclater et les bruits inhabituels qu’on entendait ne venaient pas du ciel : ils sortaient du sol de Paris, comme si son peuple y était occupé à quelque gigantesque construction, ce qui donnait à la nuit d’étranges résonances. À l’exception des bruits habituels du cabaret voisin, la rue était silencieuse. Pas de bal ce soir et, quand Sylvie atteignit le fond du jardin, elle trouva la maison voisine tout aussi silencieuse et complètement obscure mais c’était mieux ainsi : l’impression d’être en faute s’en trouva diminuée et, nichée sous la tonnelle de roses qu’elle affectionnait, elle put jouir sans remords de la fraîcheur du jardin que l’on avait pris soin d’arroser au coucher du soleil. C’était bon, cette solitude à l’écart du train de la maison où l’on procédait aux rangements du soir. Si bon même qu’elle s’endormit tandis qu’à l’église Saint-Gilles voisine, l’horloge sonnait dix heures…
Un bruit de pas la réveilla en sursaut. En dépit des précautions que l’on prenait – car les pas étaient légers – quelqu’un venait de l’autre côté du mur.
Figée d’abord sur place, elle se redressa, se leva, écouta et pensa à Mme Montbazon, mais aucun bruit de soierie froissée n’accompagnait les pas qui d’ailleurs s’arrêtèrent un moment. Elle comprit alors qu’il s’agissait d’un homme et qu’il devait être près du mur car elle perçut un bruit de succion, vite suivi par l’odeur du tabac : il avait dû s’arrêter pour allumer sa pipe. Sylvie imagina que c’était peut-être le gardien de l’hôtel qui s’accordait la détente d’une promenade nocturne et reprit sa place sur son banc. Pas pour longtemps : on escaladait à présent l’éboulis du mur, après quoi l’on reprit tranquillement sa marche comme si l’on n’était pas sur une propriété étrangère. Le visiteur se comportait comme s’il était chez lui. Elle l’entendit siffloter. C’était un peu fort, et elle quitta sa tonnelle au moment précis où François se disposait à y entrer.
La surprise fut totale pour l’un comme pour l’autre. Ce fut lui qui se reprit le premier : l’émotion de le voir soudain devant elle serrait la gorge de la jeune femme.
— Sylvie ?… Mais que faites-vous là ?
L’incongruité de la question rendit aussitôt à Sylvie ses esprits :
— Ne pourriez-vous varier votre façon de m’aborder ? Chaque fois que vous me rencontrez, vous me demandez ce que je fais là. Puis-je suggérer que ce soir, ce serait plutôt à moi de vous demander ce que vous faites chez moi ?
Il eut un rire silencieux qui découvrit ses dents blanches.
— C’est vrai. Pardonnez-moi ! Mon excuse est que j’ignorais votre présence. Je vous croyais à Conflans pour l’été.
— Votre excuse n’en est pas une. Vous avez un jardin, il me semble. Que n’y restez-vous ?
— Le vôtre est tellement plus joli ! Le mien a l’air d’une savane et, partant du principe que je vis caché, je me vois mal y installer des jardiniers. Alors, j’ai pris l’habitude de venir passer un moment, chaque soir, pour respirer vos roses. Est-ce une faute si grave ?
Sylvie se sentit vexée. Ainsi, il ne cherchait chez elle qu’un plaisir, une commodité supplémentaire ? Le son de sa voix se durcit :
— Non, à condition que l’on en use ainsi avec des amis… et je n’ai pas remarqué que ce soit notre cas. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés…
— Parlons-en ! Vous m’avez flanqué votre mariage en pleine figure et, qui plus est, vous vous êtes mariée le jour même où l’on m’arrêtait…
— Non. La veille, précisa Sylvie. Et j’ignorais que vous alliez tomber dans un piège.
— Cela aurait-il changé quelque chose ?
— Non. On ne reprend pas sa parole quand on la donne à un homme tel que mon époux…
— Et vous êtes heureuse, paraît-il ? lança-t-il sarcastique. Vous formez le couple idéal… et vous avez une petite fille ?
— Me le reprocheriez-vous ?
S’écartant d’elle, il alla s’asseoir sur le banc et resta là à la regarder sans répondre.
— Eh bien ? insista-t-elle. Me le reprochez-vous ?
Il haussa les épaules :
— De quel droit ? Je n’en ai aucun sur vous, et soyez sûre que j’ai eu tout le temps d’y penser à Vincennes entre les promenades sur le couronnement du donjon, les parties d’échecs avec La Ramée, les prières à Dieu…
— Et les visites de Mme de Montbazon ?
— Elles ont été moins fréquentes qu’on ne l’a dit, mais c’est vrai qu’elle m’a donné cette preuve, qu’elle a lancé ce défi à la Cour… Je crois que c’est ce que l’on appelle aimer…
— Parce que vous n’en êtes pas sûr ? Il est vrai que je me suis souvent demandé si vous saviez ce que c’est. Et si je n’avais été le témoin de votre folle passion pour la Reine…
— Bien mal payée de retour, avouez-le ! À chaque instant j’étais prêt à mourir pour elle, je la voulais grande, glorieuse, et voyez le résultat ! Un faquin d’Italien arrive, s’insinue entre nous, détruit tout ce qui nous unissait au moment même où notre amour allait éclater à la face de tous, et moi elle m’a jeté en prison sans la moindre intention de m’en sortir un jour. D’ailleurs, ce n’est qu’une ingrate. Voyez un peu comme le Mazarin a écarté les amis d’autrefois ! Mme de Chevreuse tenue loin de la Cour, Marie de Hautefort…
— Reviendrait si cela lui plaisait mais elle n’en a pas la moindre envie et je la comprends. Elle n’a jamais été fille à quémander une amitié qu’on lui a refusée. Elle est la maréchale de Schomberg, elle est duchesse d’Halluin et cela lui suffit. Elle n’a plus que mépris pour la Cour…
— Et vous ? Pourquoi donc restez-vous ? Le Mazarin vous a séduite, je suppose ?… à moins que vous ne suiviez les directives de votre époux ?
Blessée par le ton méprisant, Sylvie se dressa, poings serrés.
— Mon époux sert le Roi, le Roi avant tout, vous m’entendez ? Nous n’aimons Mazarin ni l’un ni l’autre mais je suis comme lui, moi ! Je sers le Roi parce que je l’aime, figurez-vous, comme s’il était mon enfant…
— Et il vous le rend à ce que j’ai entendu dire. Quelle chance vous avez ! Moi il me déteste… et cependant il est…
Sylvie appliqua sa main sur la bouche de François pour que la mortelle parole ne la franchisse pas. Sa colère était tombée et maintenant elle avait pitié de lui, touchée par cette douleur qui venait de percer à travers l’amertume.
— Il ne vous connaît pas assez ! Oubliez Mazarin ! Servez cet enfant que vous aimez et qui, je crois, sera un grand roi s’il vient à l’âge adulte. Alors, il vous aimera…
— Un amour intéressé autrement dit ? Comme sa mère…
Brusquement, François s’approcha de Sylvie et la saisit dans ses bras :
— Et vous ? En dehors de ce gamin, qui aimez-vous, Sylvie ? Ce benêt à qui vous vous êtes donnée ?…
— Naturellement je l’aime, s’écria-t-elle en essayant de le repousser, et je vous interdis d’en parler avec ce mépris. Qu’êtes-vous donc de plus que lui ?
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