Le mariage – le premier du règne de Louis XIV – avait été célébré dans l’ancien Palais-Cardinal devenu Palais-Royal où la Reine et ses enfants venaient d’emménager. Cette demeure, vraiment princière, était plus agréable à vivre que le vieux Louvre décrépit et toujours en travaux.

La princesse de Condé, mère de la duchesse de Longueville, jeta feux et flammes, criant à l’insulte publique et à la calomnie… et la Reine lui donna raison : l’imprudente Montbazon dut se rendre à l’hôtel de Condé pour présenter des excuses publiques. Il y avait naturellement un monde fou, mais elle s’exécuta avec une insolence et une désinvolture bien dans le style Beaufort, lisant à la manière d’une mauvaise comédienne et avec un sourire de mépris un petit texte épinglé à son éventail qu’elle jeta ensuite dédaigneusement… Résultat : lors de la réunion suivante où se trouvaient les dames et la princesse de Condé, la régente pria Mme de Montbazon de se retirer. Fou de rage, Beaufort se précipita chez Anne :

— Elle a fait ce que vous ordonniez, s’écria-t-il sans se soucier des personnes présentes. Vous n’aviez pas le droit de l’humilier de nouveau.

Très belle dans ses voiles noirs qui convenaient si bien à son teint de blonde, la Reine tenta de le calmer :

— Il y a façon de faire les choses, mon ami. Vous le ressentiriez comme moi si votre duchesse ne vous était si chère.

L’amertume qui teintait la voix d’Anne ne trouva même pas le chemin des oreilles du jeune homme qui haussa les épaules. Le malheur voulut que Mazarin, entré depuis un instant, s’approche, armé de son sourire mielleux. Avec fureur, Beaufort lança :

— On dirait que les temps sont révolus, Madame, où vous saviez entendre la voix de vos vrais amis. Celle des nouveaux l’étouffe sans que vous vous rendiez seulement compte de leur peu de valeur…

Et, virant sur ses talons sans même saluer, il se heurta à Sylvie qui arrivait, avec Fontsomme, sur les pas du cardinal. De l’humeur dont il était, François les reçut en pleine figure. Ses yeux étincelants enveloppèrent le couple d’un regard où la colère s’efforçait de chasser la douleur tandis que son visage pâlissait sous le hâle.

— Eh bien, grinça-t-il, voilà qui met un comble à la journée ! On dirait que vous avez choisi votre camp, mademoiselle de Valaines ? Vous arrivez dans les jupes de Mazarin.

Jean allait riposter, mais Sylvie s’y opposa :

— Je ne suis dans les jupes de personne. Je viens seulement prendre mon service auprès de Sa Majesté. Le cardinal arrivait devant nous et nous n’avions aucune raison de vouloir lui prendre le pas. Après tout, c’est le Premier ministre et…

— … en aucun cas un homme de Dieu ! Oubliez-vous qu’il est l’ennemi de tous ceux qui vous ont aimée jusqu’ici ? Et vous, duc ? Venez-vous aussi prendre votre service ?

— Encore que cela ne vous regarde pas, monseigneur, répondit le jeune homme, j’apporte une lettre à la Reine…

— Venant de qui ? fit Beaufort avec hauteur.

— N’abusez pas de ma patience ! Sachez seulement, ajouta-t-il en remarquant l’expression douloureuse qui remplaçait la colère sur le visage de son adversaire, que nous nous sommes rencontrés, Mlle de Valaines et moi dans…

— Qu’avez-vous besoin d’excuses ! Comme si tout le monde n’était pas informé de vos fiançailles ? L’idée de devenir madame la duchesse doit vous plaire, Sylvie ? Quelle revanche sur le sort !

À son tour, celle-ci perdit patience :

— Je vous croyais plus intelligent, s’écria-t-elle, mais vous ne comprenez jamais que ce qui vous arrange. Et ce qui vous arrange, c’est de faire comme si vous ne me connaissiez pas. Alors apprenez ceci : il n’y avait encore rien de définitif entre M. de Fontsomme et moi. J’étais libre… jusqu’à maintenant.

— Ce qui veut dire ?

— Que je ne le suis plus !

Puis, se tournant vers son compagnon :

— Nous nous marierons quand vous le voudrez, mon cher Jean. Allons sur l’heure demander sa permission à Sa Majesté !

Si elle fut tentée de regretter sa parole hâtive, elle l’oublia devant le bonheur dont s’illumina le visage du jeune duc. Avec une infinie tendresse, il prit la main que l’on venait de lui accorder :

— Vous me rendez infiniment heureux, Sylvie ! Mais êtes-vous bien sûre…

— Tout à fait sûre ! Il est grand temps que mon cœur apprenne à battre sur un autre rythme qu’autrefois.

Le choc de cette décision fit pâlir François encore davantage. Il découvrit qu’il avait toujours aimé Sylvie mais que, pour lui, leur amour était, dans son inconscient, une chose acquise, un jardin secret où ils se retrouveraient toujours. Et voilà qu’elle aussi se détachait de lui. Il sentit que l’image de la jeune fille, telle qu’elle lui apparaissait à cette minute où il la perdait, ne s’effacerait plus jamais. Dieu qu’elle était jolie !

Toute vêtue de satin d’un léger gris fumée traversé d’éclairs d’or avec, dans la masse soyeuse de sa chevelure, d’autres flèches de lumière, elle était plus que ravissante et ce trésor lui échappait pour se donner à un autre ! Et parce que c’était sa nature de réagir avec violence, il fut saisi d’une folle envie de se jeter sur elle, de l’enlever dans ses bras pour l’emporter le plus loin possible de cette cour frelatée et de ses fauves, jusqu’à… jusqu’à Belle-Isle, oui ! Là… Là-bas seulement ils pourraient être heureux, coupés du reste du monde !

Il eut l’impression d’être seul au milieu d’un énorme silence, et c’en était un, en effet, car tous suivaient la scène sans mot dire, et il allait s’élancer quand la voix chantante de Mazarin se fit entendre :

— La Reine vous attend, mademoiselle, et vous aussi, monsieur le duc ! Sa Majesté est dans la hâte de vous offrir ses compliments ! Votre mariage la comble de joie…

L’instant magique était passé. François s’enfuit en courant comme si l’enfer était à ses trousses, mais Mazarin avait eu tort de se mêler de ce qui ne le regardait pas. La haine qu’il lui inspirait s’en trouva décuplée. Avec une parfaite injustice, le duc porta à son crédit ce mariage qui le blessait si cruellement. Et ce fut le début d’un engrenage fatal. Décidé à se débarrasser du gêneur par tous les moyens, Beaufort, aidé par les déçus de la régence à peine entamée, monta la conspiration que l’Histoire appellera « des Importants » : le cardinal devait être exécuté au cours d’un voyage à Vincennes…

Mais, comme toutes les conjurations de cette folle époque, celle-là fut éventée. La sanction éclata tel un coup de tonnerre…

Le 1er septembre 1643, dans la chapelle du Palais-Cardinal et en présence du petit Roi, de la Reine régente et de toute la Cour, Jean de Fontsomme épousait Sylvie de Valaines, dame de L’Isle en Vendômois. Deux absents à ce mariage : César de Vendôme qui « prenait les eaux à Conflans » et son fils François qui était allé lui faire visite pour le désennuyer.

Le lendemain, certain de ne pas rencontrer le jeune couple parti dans ses terres vivre sa lune de miel comme l’avait demandé Sylvie, Beaufort vint au palais à l’appel de la Reine. Celle-ci le reçut seule dans son Grand Cabinet avec beaucoup d’amabilité, puis elle passa dans sa chambre, sous le prétexte d’aller chercher un objet qu’elle voulait lui confier. Il ne la vit pas revenir.

Ce qu’il vit, ce fut Guitaut, le capitaine de ses gardes, qui venait l’arrêter au nom du Roi. Le soir même, le duc de Beaufort était incarcéré à Vincennes dans la chambre où son oncle Alexandre, Grand Prieur de France pour l’ordre de Malte, était mort quinze ans plus tôt de façon assez suspecte pour que l’on parle d’assassinat…

Troisième partie

UN VENT DE FRONDE

1648

CHAPITRE 11

L’OISEAU ENVOLÉ…

Par trois fois, le canon de Vincennes tonna. Le cocher retint ses chevaux et se pencha :

— On dirait qu’il se passe quelque chose au château, madame la duchesse, cria-t-il.

— Eh bien arrêtez-vous, Grégoire, et voyons ce que c’est, dit Mme de Fontsomme soudain saisie d’une étrange émotion.

Comme chaque fois qu’elle allait de sa maison de Conflans à son hôtel parisien ou vice versa, Sylvie faisait un détour pour passer en vue du donjon de Vincennes, alléguant qu’elle préférait emprunter la porte Saint-Antoine. Cela lui donnait l’occasion de contempler la vieille tour et d’autoriser son cœur à battre un peu plus vite, au rythme d’un autrefois doux et amer, souvent douloureux mais qui gardait tant de charme secret. Là-haut, près des nuages et si loin de la terre, gardé comme le plus précieux des trésors, vivait toujours celui qu’elle appelait encore François…

Cinq ans ! Il y aurait bientôt cinq ans qu’il était prisonnier, ce fauve pris au piège d’un rat vêtu de la pourpre cardinalice ! Quand elle y pensait – et c’était souvent –, la petite duchesse de Fontsomme ne pouvait se défendre d’un remords car, pour elle, ces cinq années avaient été d’une grande douceur auprès d’un époux souvent absent – la guerre faisait rage plus encore peut-être qu’au temps de Richelieu – mais tendre, attentionné et plus amoureux s’il était possible depuis qu’elle lui avait donné, deux ans plus tôt, une petite Marie dont il raffolait et dont l’ex-Mlle de Hautefort, devenue duchesse d’Halluin par son mariage avec le maréchal de Schomberg, était la marraine avec le jeune roi Louis XIV comme parrain.

Il arrivait que son bonheur douillet la leurre sur l’état réel de son cœur, mais dès qu’elle apercevait les murailles de Vincennes, ce cœur si sage manquait un battement. De même quand, dans un salon – elle en fréquentait peu cependant ! – elle rencontrait Mme de Montbazon dont la fidélité au prisonnier passait presque à l’état de proverbe, au point que le peuple l’avait mise en chanson :