La pièce où la mère Marguerite recevait ses visiteurs ne ressemblait en rien au salon d’une grande dame : une table de chêne à pieds tors, deux chaises de paille, un chandelier et un prie-Dieu, mais, au mur, un grand Christ en croix de Philippe de Champaigne offert par le Roi apportait sa note de douloureuse splendeur. Lui faisant face, un homme vêtu de noir mais avec l’élégance d’un collet et de manchettes en très belle dentelle attendait debout. Il se détourna quand Sylvie entra, mais celle-ci eut l’impression de l’avoir déjà vu.
— Voilà Mlle de Valaines, dit la supérieure en allant au-devant d’elle. Mon enfant, voici M. de Chavigny. Il est secrétaire d’État et des proches de Son Éminence qui vous réclame. Il vient vous chercher afin de vous conduire au Palais-Cardinal…
— Moi ? Mais… je croyais que le Cardinal ignorait que je fusse à Paris.
— Le Cardinal sait toujours tout, mademoiselle ! Veuillez vous préparer à me suivre !
Et comme Sylvie manifestait son incompréhension, mère Marguerite reprit la parole :
— Mieux vaut que vous retrouviez, pour cette visite, vos vêtements du monde. Il ne serait pas convenable que l’on vît sortir de chez nous une nonne revêtue. D’ailleurs, vous ne l’êtes pas encore, ajouta-t-elle avec un bon sourire.
— Comme il vous plaira mais… j’avais des visiteurs au parloir. Puis-je aller les saluer avant de suivre monsieur ?
D’un geste vif, Chavigny s’y opposa :
— Non. Ils vont être avertis que vous avez une tâche à accomplir et que… vous espérez les revoir bientôt. Allez ! Allez vite ! Son Éminence n’aime pas attendre !
Cela, Sylvie le savait depuis longtemps, aussi se hâta-t-elle d’aller changer d’habits. Quelques minutes plus tard, elle montait dans une voiture aux armes du Cardinal dont les mantelets étaient rabattus. M. de Chavigny monta auprès d’elle et la voiture partit pour aller vers le Louvre et le Palais-Cardinal en suivant la rue Saint-Antoine mais, outre que le chemin lui parut singulièrement long, Sylvie s’aperçut que l’on tournait plusieurs fois à droite, puis à gauche, puis encore à droite. Elle se pencha pour soulever le mantelet mais son compagnon qui gardait le silence depuis leur départ s’y opposa.
— Restez tranquille !
— Vous avez dit que nous allions…
— Là où Son Éminence veut que vous alliez ! Ainsi, tenez-vous en repos. D’ailleurs, nous arrivons !
L’inquiétude de Sylvie augmenta en constatant que l’on franchissait un corps de garde, puis un autre après être passé sur un pont de bois. Une cloche sonna cinq coups, des commandements se firent entendre, et quand enfin la portière s’ouvrit et que l’on abaissa le marchepied, quand on la fit descendre, elle eut l’impression d’arriver au fond d’un puits formé de bâtiments noirâtres et de grosses tours rondes aux créneaux desquelles paraissaient des bouches de canon. La Bastille ! On lui avait fait parcourir tout ce chemin pour la conduire à la Bastille qui n’était qu’à quelques pas de la Visitation !
Chavigny la laissa apprécier la surprise qu’il lui réservait, s’attendant peut-être à des cris, des larmes, des protestations, mais Sylvie avait trop subi de coups du destin pour ne pas privilégier son orgueil et le souci de sa dignité. Le regard qu’elle posa sur son compagnon était glacé :
— Est-ce donc ici que Son Éminence m’attend ?
— Non. Vous la verrez plus tard… peut-être.
— Alors pourquoi cette comédie ? Car c’en est une, n’est-ce pas ? Jamais Mme de Maupeou n’aurait consenti à me laisser partir si elle avait su où vous m’emmeniez.
— En effet, mais il arrive que le service du Cardinal comme celui de l’État, ce qui est la même chose, exige que l’on emploie le mensonge.
Sylvie s’offrit le luxe de lever un sourcil insolent :
— Le Cardinal et l’État même chose ? Que faites-vous du Roi, monsieur ?
L’autre haussa des épaules agacées :
— Je me suis mal exprimé. Entrons maintenant. On va vous conduire à votre logement.
Ce fut en passant au greffe que Sylvie apprit pour quelle raison on l’emprisonnait : elle était accusée d’avoir eu l’intention, de compte à demi avec le duc César de Vendôme, d’empoisonner le cardinal de Richelieu et même le roi Louis XIII.
Cette fois, elle eut vraiment peur et ce fut en serrant les dents pour contenir sa terreur qu’elle se laissa conduire au long d’un bel escalier à vis, assez large pour que trois personnes puissent le monter de front, qui la mena au second étage d’une des tours. Mais au lieu du cachot sordide qu’elle redoutait, on l’y abandonna dans une grande chambre pourvue d’une cheminée, d’un lit habillé de courtine de serge verte, d’une table, de deux escabeaux et de quelques ustensiles de toilette. De tout cela, Sylvie ne vit rien sinon le lit où elle alla s’abattre, secouée de sanglots trop longtemps retenus tandis que, sous la main rude du porte-clefs, claquait la ferraille des verrous refermés sur elle.
Le lendemain de ce jour, Jean de Fontsomme retourna au couvent. Il n’avait pas aimé l’éclipse de son étoile et moins encore l’explication qu’on lui avait donnée : sœur Marie-Sylvie était retenue par une tâche urgente. Le profond amour qu’il portait à la jeune fille l’avait tenu éveillé toute la nuit, lui soufflant que quelque chose d’inhabituel sinon d’anormal s’était produit. Et, de fait, quand, accueilli par la sœur tourière, il demanda une entrevue avec la novice, il lui fut répondu aussitôt que ce n’était pas possible et que, jusqu’à nouvel ordre, il était préférable de ne pas renouveler sa demande. De toute évidence, on lui cachait quelque chose. Sachant depuis longtemps que faire parler une religieuse sans l’approbation de sa supérieure relevait du miracle, il n’insista pas, remonta à cheval et s’en alla chez Perceval qu’il trouva dans sa « librairie », roulant dans sa tête des pensées dont Sylvie était le centre. Aussi écouta-t-il avec une sorte de passion ce que son jeune ami avait à lui dire.
— J’y vais ! décida-t-il, et je demanderai un entretien à la Mère supérieure. Je suis le parrain et le tuteur de Sylvie : elle devra me répondre.
Or, ce qu’elle fit répondre fut une fin de non-recevoir courtoise mais ferme. Pas assez cependant pour décourager le visiteur qui allait se lancer dans un ardent plaidoyer quand un beau jeune homme qui venait d’entrer et avait entendu la réponse de la religieuse s’avança, salua Perceval avec une grâce parfaite, puis, s’adressant à la tourière :
— Comment se fait-il que ma tante refuse de recevoir ce gentilhomme ? Serait-elle souffrante ? Il faudrait que ce soit grave, alors ?
— Non… mais…
La fin du mot, une sorte de bêlement, amena un sourire sous la fine moustache de l’inconnu :
— Allez, s’il vous plaît, lui dire que j’accompagne monsieur…
— Chevalier Perceval de Raguenel, écuyer honoraire de Mme la duchesse de Vendôme, compléta celui-ci avec un salut.
— Le chevalier de Raguenel qui est de mes bons amis ! Je la prie de nous accorder un instant d’entretien. Puis, avec un regard au visage angoissé du visiteur. « Ajoutez qu’il est très malheureux et que je ne l’ai jamais vue fermer sa porte à quelque douleur que ce soit ! Je me nomme Nicolas Fouquet, ajouta-t-il quand la sœur eut disparu, maître des requêtes au Parlement de Paris. Mère Marguerite est la sœur de ma mère. »
En tout cas, celle-ci devait beaucoup aimer son neveu et lui faire entière confiance car très vite les deux hommes franchirent le seuil de son austère cabinet qu’elle parcourait de long en large, les mains au fond de ses manches et dans une agitation qu’on ne lui connaissait pas. Elle s’arrêta en les voyant entrer et tout de suite attaqua :
— En forçant ainsi ma porte, mon cher Nicolas, vous me mettez dans une situation cruelle. Et je ne suis pas certaine que vous ne m’ayez menti : monsieur est-il votre ami ?
— De fraîche date, je veux bien l’admettre, mais vous n’ignorez pas, madame, que je ne supporte pas de voir quelqu’un malheureux. À présent, je vous le laisse…
— Non, coupa Perceval. Vous avez, monsieur, acquis le droit d’apprendre ce qui m’amène ici. Ma mère, par pitié, me direz-vous ce qu’il est advenu de Mlle de Valaines ma pupille…
— Si seulement je le savais ! lâcha-t-elle en lui jetant un regard où il put lire une véritable angoisse.
— Quoi ? s’écria Fouquet. Cette charmante jeune fille dont ma sœur Anne est devenue l’amie ? Qu’a-t-il pu lui arriver ?
Mme de Maupeou garda le silence mais, visiblement, elle brûlait de se décharger le cœur d’un gros souci et la réponse ne tarda guère :
— Hier, après dîner, j’ai reçu la visite de M. de Chavigny, secrétaire d’État auprès du cardinal de Richelieu, porteur d’une lettre de celui-ci. Lettre aux termes de laquelle Son Éminence me demandait de vouloir bien confier Mlle de Valaines au dit Chavigny afin qu’il la lui amène pour un entretien confidentiel… Il m’était impossible de refuser ce que le Cardinal demandait, surtout apporté par un personnage de cette importance. En outre, Mlle de Valaines n’est ici que novice… et encore ! Elle a donc repris l’habit civil pour suivre M. de Chavigny qui devait me la ramener. Et…
— Et elle n’est pas rentrée ? compléta Perceval dont une angoisse grandissante serrait le cœur en pensant à ce qu’avait déjà vécu Sylvie après s’être rendue au château de Rueil.
— Avez-vous envoyé chez Son Éminence ? demanda le jeune Fouquet.
— Oui. Je ne sais pourquoi, j’ai été prise d’un doute… Comme le temps passait sans la ramener, j’ai prié notre aumônier de porter un message au Palais-Cardinal et il m’a rapporté ceci.
Elle tendit à Perceval un court billet de la main même de Richelieu et qui lui fit dresser les cheveux sur la tête :
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