— Un danger qui ne vous dérange guère dès qu’il s’agit de votre père. Sylvie n’est pas accusée de tentative d’empoisonnement, que je sache ?
C’était plus que la malheureuse n’en pouvait supporter :
— Par pitié, Marie, ne dites plus rien ! Vous n’avez pas encore compris que M. le duc souhaitait surtout se débarrasser de moi à jamais…
Éclatant en sanglots, elle s’enfuit vers l’escalier qu’elle gravit en courant.
— Eh bien, approuva César de Vendôme qui entrait et suivait la course éperdue de la jeune fille. Voilà une bonne chose de faite ! Il était temps, mon fils, que vous compreniez la nécessité de l’écarter de vous, car elle ne vous vaut rien ! Mais, à propos, pourquoi donc êtes-vous ici, Beaufort ? Seul Mercœur devait me rejoindre ?
Le frère aîné qui jusqu’alors n’avait pas jugé utile de se mêler de ce qui ne le regardait pas se chargea de l’explication :
— Oh, c’est très simple, mon père ! Je l’ai emmené pour l’empêcher de faire encore des siennes. Apprenant que les gens de police vous recherchaient, notre paladin a proposé à Richelieu d’aller à la Bastille en vos lieux et place afin de proclamer haut et fort sa conviction de votre innocence !
Le visage railleur du duc s’adoucit soudain et ce fut avec une visible émotion qu’il vint frapper sur l’épaule de son cadet :
— Merci, mon fils ! Seulement vous n’avez pas songé qu’en ce cas, c’est moi qui n’aurais pu supporter de vous savoir prisonnier. Richelieu nous hait trop ! Vous risquiez votre tête… comme je risque la mienne si je m’attarde encore. Vous n’êtes pas trop las ?
— Du tout !
— Alors, si notre chère hôtesse veut bien nous faire servir quelque chose, nous partirons aussitôt après…
Tandis que lui et Mercœur se restauraient, François expédia son repas en trois coups de dents puis, se levant de table, alla prendre Marie par le bras pour l’entraîner à l’écart d’un salon.
— Avez-vous besoin d’entendre encore quelques vérités ? goguenarda celle-ci.
— J’ai surtout besoin d’en apprendre un peu plus sur ce qu’il y a au fond de votre belle tête. Je ne sais, au juste, pourquoi vous êtes allée chercher Sylvie.
— Je vous l’ai dit : Laffemas risquait de remettre la main sur elle.
— Sornettes ! Avez-vous oublié ce grand amour du jeune Fontsomme dont vous m’avez entretenu naguère ? C’est pour lui que vous êtes allée la prendre. Pour la lui donner ?
— Non. Que vous le vouliez ou non, elle était en grave danger, mais j’avoue volontiers que par la suite j’ai songé à les réunir…
— Elle et ce jeune blanc-bec pompeux ?
— C’est le plus charmant garçon que je connaisse et il l’adore. Vous n’imaginez pas qu’elle va user toute sa vie à contempler votre image, de préférence en pleurant ? Elle a droit à un bonheur que vous êtes incapable de lui donner.
— Alors pourquoi n’est-il pas encore ici ? fit François narquois.
— Je l’ignore et je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouve.
— Vous lui avez écrit et votre lettre est restée sans réponse, n’est-ce pas ?
— Je l’avoue mais ne prenez pas cette mine de matou qui va croquer une souris ! Je crains seulement qu’il ne soit arrivé…
— Rien du tout que d’agréable, ma chère ! Il est en Piémont auprès de la duchesse de Savoie. Une ambassade que vient de rejoindre ce jocrisse que l’on appelle maintenant Mazarin. Il court après un chapeau de cardinal, celui-là ! Quant à votre héros, je gage qu’il aura trouvé là-bas quelque belle mieux fournie en appas que notre pauvre chaton. Ils ont des femmes magnifiques…
— C’est possible, mais elles ne lui feront ni chaud ni froid ! Ce n’est pas votre faute, mon pauvre François, mais vous êtes tout à fait incapable d’éprouver un sentiment de cette qualité. Cela tient je crois aux appétits un rien vulgaires qui percent dans votre langage ! Quant à moi, je n’ai plus qu’un mot à vous dire : je ferai tout au monde pour extirper de la cervelle de Sylvie votre image de héros pour mauvais roman !
Et, avec un air de tête superbe, Mlle de Hautefort s’en alla retrouver Mme de La Flotte…
Les Vendôme repartis dans le vacarme qui accompagnait toujours leurs déplacements, même les plus secrets, le château de La Flotte retrouva le silence… mais pas pour longtemps : le lendemain, un courrier du Roi y mettait pied à terre sous l’œil inquiet de Marie qui se demandait si cet homme n’apportait pas l’ordre de la conduire dans quelque prison, mais elle se rassura en pensant qu’il était seul. Et puis sa lettre était adressée à Mme de La Flotte… En fait, elle contenait un ordre assez inattendu : celui pour l’aimable dame de venir, aussi discrètement que possible, rejoindre le Roi en son petit château de Versailles.
L’œil de Marie s’alluma : son ancien souffre-douleur commençait-il à la regretter et, en s’adressant à sa grand-mère, entamait-il des pourparlers de retour en grâce ? Sans être pour autant outrecuidante, elle ne voyait pas d’autre raison à une entrevue aussi peu conforme aux habitudes de cour.
— Il s’agit peut-être d’un de vos frères ? hasarda la vieille dame pour doucher un peu cet enthousiasme qui lui paraissait un rien présomptueux, mais Marie ne fit qu’en rire :
— Il ne ferait pas tant d’histoires ! Croyez-moi, ma bonne mère, j’ai raison. Si ce n’est pas cela, je pars pour l’Espagne rejoindre la duchesse de Chevreuse !
— Vous êtes trop bonne Française ! Vous ne feriez pas cela. Eh bien, je crois qu’il me faut hâter mes préparatifs si je veux être à temps à l’audience du Roi.
Elle allait sortir, Sylvie la retint :
— Par grâce, madame, emmenez-moi avec vous !
— Chez le Roi ?
— Quoi, Sylvie, vous voulez me quitter ? s’écria Marie.
Sylvie regarda tour à tour ces deux femmes qu’elle aimait et sourit :
— Ni l’un ni l’autre, mais c’est, je crois, la meilleure solution. Madame pourrait me laisser dans un couvent comme le souhaite M. de Beaufort et vous, Marie, songez que je ne pourrai vous suivre si le Roi vous rappelle. Je vous deviendrais une gêne doublée d’un souci, car je crois que vous m’aimez bien. Je voudrais seulement que ce couvent soit parisien afin de revoir enfin mon cher parrain.
Ce petit discours fit son effet :
— Elle n’a pas tort, Marie ! dit la comtesse. Si l’on vous fait revenir, elle sera seule ici, donc exposée. À la Visitation Sainte-Marie, elle serait en sûreté. Mme de Maupeou, la supérieure, est de mes amies…
— Et nous en avons une autre : Louise de La Fayette. Il se peut que vous ayez raison toutes deux… mais seulement pour un temps ! N’allez pas vous aviser d’une prise d’habit, Sylvie ! Vous serez seulement dame pensionnaire… et je pourrai vous voir autant que je le voudrai au nez et à la barbe des espions de Richelieu ! conclut-elle avec un grand rire. La Visitation est inviolable.
— Le Val-de-Grâce ne l’était-il pas aussi ?
— Non, parce qu’il appartenait à la Reine. Celui-là est protégé par sœur Louise-Angélique, donc par le Roi en personne. Jamais il n’y tolérerait une intrusion. Voilà qui est dit ! Allons faire vos bagages, ma petite Sylvie ! Et que Dieu nous aide !
À l’aube du lendemain, Mme de La Flotte quittait sa demeure ancestrale, flanquée de deux suivantes : l’une était son authentique femme de chambre et l’autre Sylvie, modestement vêtue. Le regret que celle-ci avait de quitter son amie était compensé par l’idée de revoir bientôt le cher Perceval de Raguenel qui tenait dans son cœur une si belle place !
CHAPITRE 6
LES LARMES D’UN ROI
Dans sa belle maison de la rue Saint-Julien-le-Pauvre, Isaac de Laffemas vivait des heures difficiles : il n’en pouvait plus sortir que solidement escorté. Finies les escapades nocturnes où il allait sans le moindre risque assouvir ses pulsions secrètes sur des femmes pour lui sans visage car à toutes il appliquait mentalement un masque, toujours le même, celui reproduisant l’image de Chiara de Valaines, la passion de sa vie, une passion jamais assouvie même lorsque son génie mauvais lui avait livré sa fille ! Pourtant, en possédant ce jeune corps si frais et si doux, il avait éprouvé un bien-être, une joie telle qu’il n’avait quitté La Ferrière qu’à regret, en se maudissant de l’avoir livrée à cet âne bâté de Justin dont il avait fait son esclave. Il aurait dû la garder, la cacher dans une chambre close pour l’avoir toujours à sa disposition. Encore heureux que la protection du Cardinal eût empêché, après l’annonce de la mort de Sylvie, que ce furieux qui l’avait jeté à terre dans l’escalier de Rueil n’exerçât de plus graves représailles !
— Tant que j’aurai besoin de vous ! avait dit le Cardinal, mais si, par miracle, cette malheureuse enfant était encore vivante, vous joueriez votre tête si vous osiez l’attaquer encore !
Sur le moment, la menace ne l’avait guère frappé. À quoi bon, puisqu’elle était morte ? Et, tout naturellement, il était retourné à ces plaisirs nocturnes qu’il s’octroyait depuis la mort de sa femme, une jolie fille sans cervelle qu’il avait tuée à force de la soumettre à ses pires volontés dès qu’il avait compris qu’elle était stérile. Madeleine n’avait été qu’une pâle copie de Chiara, un pis-aller…
Or, de la façon que l’on sait, il avait eu connaissance de l’imprudente lettre de Gondi à Mlle de Hautefort et l’espoir lui était revenu. Ainsi, elle était vivante, bien cachée sans doute mais vivante, et pour lui cela signifiait qu’un jour ou l’autre elle retomberait entre ses mains. Des mains qui tremblaient à cette seule idée. La retrouver, la reprendre encore et encore ! Et foin des menaces du Cardinal ! Il lui suffirait de l’épouser !
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