Au milieu de tout cela, la pauvre Reine, rouge et suante sous ses satins qui collaient à son corps déformé, s’efforçait de répondre à toutes, étouffant sans que personne s’en soucie en dépit de l’éventail agité mollement par l’une de ses filles d’honneur. Ce début de septembre restait très chaud et, sur les hautes fenêtres du Grand Cabinet, le soleil de cette fin de journée tapait dur.
Marie commença par une rapide révérence adressée à la compagnie, courut rouvrir les fenêtres puis lança, de toute sa voix :
— Mesdames, ne comprenez-vous pas que vous incommodez la Reine et qu’en outre vous empêchez son médecin de lui donner ses soins ?
— N’exagérez pas, madame de Hautefort, coupa sèchement la princesse de Condé. Nous avons apporté des présents destinés à aider Sa Majesté…
— J’implore votre pardon, Madame la Princesse, mais ne voyez-vous pas que la Reine suffoque ? Vous pourriez être accusées de régicide… surtout si l’enfant est un Dauphin ! Ne serait-il pas temps de gagner vos appartements ?
Bougonnant, ronchonnant mais matées, les princesses sortirent l’une après l’autre tandis que Bouvard se précipitait vers sa patiente qui tendait une main tremblante vers sa dame d’atour :
— Pourquoi m’avez-vous laissée, Marie ? fit-elle d’une voix mourante. Je ne me sens pas bien… pas bien du tout…
Quiconque serait resté quelque temps sans voir Anne d’Autriche l’aurait difficilement reconnue tant sa grossesse parvenue à son terme l’avait changée. Son visage toujours si éclatant de fraîcheur en dépit de ses trente-huit ans portait le « masque » redouté par toute femme enceinte. Elle avait longtemps souffert de nausées et, par crainte qu’elle ne perde son fruit comme les fois précédentes, on lui avait interdit tout exercice et jusqu’à la simple marche : on la portait de son lit à un fauteuil et d’un fauteuil à un autre avant qu’elle rejoigne le lit. Gourmande, elle s’était épaissie et son ventre était énorme.
— Seigneur ! se dit Marie tandis que l’on rapportait la Reine dans sa chambre, je me demande ce qu’en penserait ce fou de François s’il la voyait ?
Elle n’en prodigua pas moins les plus tendres soins à celle qui allait peut-être donner le jour à un Dauphin. Même si ce Dauphin signait son arrêt de mort, à elle.
Ce fut au cours de cette nuit du 4 au 5 septembre que les douleurs commencèrent. On alla prévenir le Roi au Château-Vieux et réveiller toutes les personnes qui devaient être témoins de l’accouchement. Un courrier partit pour Paris afin d’annoncer la nouvelle à Monsieur.
Il était environ minuit quand tout commença, mais trois heures plus tard l’atmosphère était devenue insoutenable dans la chambre où la future mère se tordait de douleur au milieu de femmes en grand habit qui semblaient là comme au spectacle et sans plus d’émotion. On avait refermé les fenêtres par crainte de la fraîcheur de la nuit et, à nouveau, on étouffait. Le travail se faisait mal parce que l’enfant ne se présentait pas comme il l’eût fallu. Vers six heures, on entendit le médecin grogner que les difficultés grandissaient…
Marie de Hautefort, réfugiée comme elle aimait à le faire dans l’embrasure d’une fenêtre, se mit à pleurer. Le Roi qui jusqu’alors s’était tenu immobile et muet dans un fauteuil se leva et s’approcha d’elle :
— Cessez de larmoyer ! lui dit-il avec rudesse. Il n’y a là aucune raison de s’affliger. Puis, plus bas, il ajouta : « Pour moi je serai assez content que l’on sauve l’enfant et vous, madame, vous aurez lieu de vous consoler de la mère… »
— Comment pouvez-vous être aussi cruel, aussi insensible ? gronda-t-elle révoltée. C’est votre enfant qui torture ainsi votre épouse…
— Justement. C’est lui le plus important…
— Vous mériteriez une fille !
— Il en sera ce que Dieu voudra. Je vais parler à Bouvard !
Et l’interminable attente recommença, épuisante même pour ceux qui ne faisaient que regarder. Partagé entre l’espoir et l’horreur, Gaston d’Orléans était gris… Pour apaiser un peu sa nervosité, Marie s’approcha d’Élisabeth de Vendôme qui priait sans relâche auprès de sa mère et s’agenouilla à côté d’elle :
— Avez-vous des nouvelles de votre frère Beaufort ? chuchota-t-elle.
— Il est rentré il y a trois jours avec une nouvelle blessure. Pas trop grave heureusement. Il a échappé de peu à la mort : une mine qui a éclaté presque sous ses pas alors qu’il revenait vers sa tente.
Le cœur de la dame d’atour manqua un battement. Un attentat ! Il venait d’échapper à un attentat… Échapperait-il au suivant ?
Vers onze heures et demie du matin, alors que les assauts de la souffrance accordaient une accalmie à la Reine, Bouvard conseilla au Roi de ne pas différer son dîner. Il accepta avec empressement, invitant les seigneurs présents à l’accompagner, mais il eut à peine le temps de s’asseoir : un page accourait pour dire que la Reine venait enfin d’accoucher.
— Sait-on ce que c’est ?
— Pas encore, Sire : on m’a envoyé dès que la tête est apparue…
Jetant sa serviette, Louis XIII court chez sa femme. Au seuil, il trouve la révérence de Mme de Senecey qui lui annonce :
— Sire, la Reine vient de donner le jour à Mgr le Dauphin…
Il s’élance vers le lit où dame Péronne, la sage-femme, tient dans ses bras un paquet enveloppé de linge fin et qui gigote :
— Votre fils, Sire !
Louis XIII est tombé à genoux tandis qu’éclatent autour de lui des acclamations frénétiques et qu’un signal fait partir, depuis la cour du château, des messagers dans toutes les directions. Son action de grâce achevée, le Roi ordonne que soient ouvertes les portes de l’antichambre. Passant devant son frère qui n’a pas l’air bien, il s’apprête à recevoir les félicitations de ses gentilshommes quand Marie de Hautefort le rejoint, l’arrête en lui touchant le bras avec audace.
— Ne l’embrassez-vous pas ? demande-t-elle en désignant le lit autour duquel s’affairent les femmes. Il me semble qu’elle l’a bien mérité.
L’échange de regards entre ces deux étranges amoureux est sans tendresse. De mauvaise grâce, Louis se laisse ramener vers sa femme, à moitié morte dans ses draps froissés et souillés. Il se penche sur elle, la baise au front :
— Grand merci, Madame ! dit-il seulement, puis il se retourne pour accueillir le Grand Aumônier qui va, sur l’heure, ondoyer le bébé.
La Reine s’est endormie. Marie de Hautefort, épuisée elle aussi, est rentrée chez elle, s’est déshabillée et couchée avec une curieuse envie de pleurer. Certes, elle est arrivée à ses fins : le Roi a un héritier et le spectre de la répudiation qui planait depuis si longtemps sur la tête de sa chère souveraine vient de s’enfuir, mais comment oublier qu’elle-même est désormais en danger… et qu’elle a seulement vingt-deux ans ?
Elle n’en dormit pas moins profondément et le soleil du jour nouveau qui faisait étinceler les gouttes de rosée dans les jardins en terrasses du Château-Neuf lui rendit tout le courage dont avait besoin la dame d’atour d’une reine pour affronter une rude journée. En effet, la Seine où l’on prenait de si agréables bains aux jours chauds de l’été se chargeait déjà de bateaux venus de Paris et amenant dames et gentilshommes désireux de faire leur cour au nouveau-né. Le chemin de l’eau, plus lent sans doute, était tellement plus agréable que les carrosses d’apparat où l’on était si fort secoué !
Ce fut pourtant à cheval que vint, accompagné d’un seul écuyer, le marquis d’Autancourt. Marie, qui l’avait vu arriver, s’arrangea pour se trouver sur son passage. Il lui était devenu cher depuis qu’il s’était déclaré tellement amoureux de Sylvie et, en le voyant approcher au long de la grande galerie, mince et élégant à son habitude dans un costume de velours bleu foncé, elle pensa que la vie était mal faite : ce garçon aimable, bien fait et charmant en tout point, riche et promis à un titre ducal, possédait tout au monde pour être heureux mais le Destin l’avait placé sur le chemin de Sylvie et Sylvie n’était plus. Aussi la trace du chagrin marquait-elle ce jeune visage un peu sévère mais si séduisant quand un sourire venait l’éclairer.
Marie ne l’avait pas vu depuis qu’il avait rejoint en Roussillon le maréchal-duc de Fontsomme, son père, dont les forces appuyaient celles du prince de Condé. Elle ignorait même qu’il fût de retour mais, de toute évidence, il savait déjà à quoi s’en tenir. Visiblement heureux de la rencontre, son salut qu’il accompagna de l’ombre d’un sourire s’en ressentit.
— Vous êtes la première personne que je rencontre, madame… et j’en suis infiniment heureux.
— Je ne savais pas votre retour mais je suppose que M. le maréchal votre père vous a envoyé porter ses vœux à la Reine et à Mgr le Dauphin ?
— En effet, madame, mais – et vous l’ignorez sûrement – mon père ne pourra jamais plier le genou devant son prince : il est mourant et il fallait cette grande circonstance pour que je quitte son chevet.
— Mourant ? Mais que s’est-il passé ?
— Devant Salses, des éclats de mitraille l’ont atteint alors qu’à cause de la chaleur, il ne portait pas sa cuirasse. Les choses allant mal pour nos armes, Monsieur le Prince a bien voulu m’ordonner de le ramener à Paris. D’essayer tout au moins car en vérité, nous ne pensions pas qu’il arriverait chez lui vivant. Pourtant cela est et, à cette heure, il lutte contre la mort parce qu’il n’a jamais admis d’être vaincu, mais il l’attend cependant avec la plus chrétienne résignation. M. de Paul est venu le voir, hier, et il en a tiré une vraie joie…
— Je suis navrée, mon ami, dit doucement Marie en posant sa main sur le bras du jeune homme. Cette grande douleur est trop proche de la disparition de celle que vous aimiez… que nous aimions tous !
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