Il fut moins facile de convaincre le Supérieur de laisser les soldats du Roi fouiller sa maison.
— Je sais bien que les errants de Dieu ne sont pas tous des saints mais le seul fait de s’engager sur le pénible chemin de Saint-Jacques doit leur valoir paix et protection. Je refuse. Ou alors apportez-moi un ordre de Mgr l’évêque…
— Je n’ai pas le temps. Et d’ailleurs je n’ai l’intention de molester personne. Nous opérerons en douceur… et je suppose que personne ne couche à la chapelle ?
— En effet, mais pendant les offices les pèlerins sont invités à se joindre à nous… et matines n’est pas loin.
— Après quoi viendra le jour et nos gens peuvent filer avec leur butin. Songez-y, mon père : les bijoux de l’Infante qui devient aujourd’hui notre reine ! Cela frise la lèse-majesté. Si vous m’accordez ce que je demande nous allons ôter casaques et chapeaux et nous nous séparerons. Tous ici connaissent leur camarade. Mme la duchesse de Fontsomme qui représente l’Infante le connaît. Pressons, Votre Révérence ! Vous permettez ou non ?
— Qui vous dit que votre homme n’est pas complice des prétendus voleurs ? C’est lui qu’on a vu partir avec le coffret…
— Non. C’est l’un des autres revêtu de son uniforme après l’avoir suffisamment affolé pour qu’il accepte ce curieux remplacement… Alors, nous y allons ? Si vous refusez, je demanderai au Roi la fermeture de votre hospice !
— Eh bien… faites comme vous l’entendrez mais si vous ne trouvez rien…
— Je suis homme à répondre de mes actes !
On trouva. On trouva même tout : Saint-Mars toujours sous l’effet de la drogue qu’on lui avait ingurgitée de force, les quatre voleurs paisiblement endormis en attendant l’heure de se mêler aux autres pour reprendre la route, les joyaux de l’Infante répartis dans les « panières » de ces pèlerins d’un genre bien particulier. Et la casaque du mousquetaire ! Les malandrins tentèrent de se défendre en chargeant Saint-Mars. Il avait tout fait et eux n’étaient là que pour passer les bijoux en Espagne où on les vendrait sans peine à un juif de Burgos.
— C’est sans doute pour cela que vous l’avez drogué quand vous l’avez récupéré à la sortie de la maison Etcheverry ? fit d’Artagnan.
Le gros homme qui avait joué le rôle du dénonciateur protesta :
— La maison… Etcheverry ? On n’avait rien à y faire. On l’attendait sur la plage. Il est venu tout droit à nous…
— Après avoir jeté sa casaque ? Comme c’est vraisemblable ! Il comptait déserter, partir avec vous, abandonner tout ? Son honneur et le reste ?
— Il voulait épouser une fille riche. Il lui fallait de l’argent. Tout était arrangé avec elle et elle devait le rejoindre. Pas besoin d’aller la chercher.
— Il y est allé pourtant, affirma Sylvie. Manech Etcheverry pourra témoigner qu’il a tout mis en l’air dans sa maison…
L’autre prit un air malin :
— Peut-être qu’il s’était mis d’accord avec lui aussi. En tout cas, nous on n’a pas bougé de la plage…
— Et il n’est pas allé chez Etcheverry ?
— Ben… non ! Il n’avait pas le temps et ça risquait de le faire prendre.
— Et ça ?
D’un doigt, Sylvie désignait l’énorme tache grasse et brune étalée sur le justaucorps de daim du mousquetaire.
— Ça, reprit-elle, c’est du chocolat : celui qu’il a renversé dans l’appartement du maréchal de Gramont. Etcheverry en témoignera…
— Ne vous donnez pas tant de peine, madame la duchesse. Ce chocolat est une bonne preuve comme aussi le sommeil tenace de ce malheureux que l’on aurait sans doute abandonné à sa honte et à la justice du Roi avant de filer en Espagne. De toute façon, on connaîtra les détails de l’opération quand le bourreau s’occupera de ces messieurs pour leur tirer la vérité… Qu’on les emmène et qu’on ramène cet imbécile au cantonnement…
— Il sera puni gravement ?
— Il a abandonné son poste, non ? Et un poste de confiance. En outre, il a prêté sa casaque pour que l’on ne s’aperçoive pas tout de suite de son absence. Il fera de la prison militaire, mais je veillerai à ce que, ensuite, il réintègre les mousquetaires. C’est un bon soldat, très brave. J’entends le garder… mais il vous devra une fière chandelle !
Ce fut ce que le pauvre Saint-Mars écrivit le lendemain à Sylvie : « Je sais, madame la duchesse, ce que vous avez fait pour moi. Je sais que vous avez sauvé ma vie et mon honneur. Ils vous appartiennent désormais et vous pourrez venir me les réclamer quand vous le voudrez… »
— Pauvre garçon ! murmura la jeune femme en approchant la lettre de la flamme d’une bougie. Que pourrais-je bien faire de sa vie et de son honneur surtout ? Laissons-le oublier !
Mais Perceval saisit le papier qui commençait à brûler et l’éteignit sous son talon :
— Ce genre de lettre ne se détruit pas, Sylvie ! Ça se garde même précieusement. Vous ne savez pas de quoi votre avenir et le sien peuvent être faits…
— Eh bien, gardez-la si cela vous fait plaisir ! soupira-t-elle. Il est l’heure d’aller habiller l’Infante pour la messe de mariage…
Quelques heures plus tard, Marie-Thérèse, ravissante dans sa première toilette française – robe de satin blanc semée de fleurs de lis comme l’immense manteau de velours pourpre attaché à ses épaules –, prenait le chemin de l’église. Le manteau était soutenu à mi-longueur par les jeunes sœurs de Mademoiselle et au bout par la princesse de Carignan, mais il n’avait pas fallu moins de deux dames et d’un coiffeur pour convaincre la couronne royale de rester fixée au sommet de la magnifique chevelure blonde, fraîchement lavée et trop abondante de la princesse.
Sous les vivats et le carillon frénétique des cloches on alla vers l’église à pied comme tout un chacun, sous une chaleur tropicale et d’ardents rayons de soleil dont une floraison de parasols essayaient de défendre le beau cortège. Le prince de Condé ouvrait la marche, puis venait Mazarin empaqueté dans un métrage impressionnant de moire pourpre, des diamants à tous les doigts. Ensuite le Roi, en habit de drap d’or voilé de fine dentelle noire, sans un bijou, précédant la fiancée menée à droite par Monsieur, à gauche par M. de Bernaville, son chevalier d’honneur. La Reine Mère rayonnante de joie venait ensuite et enfin Mademoiselle, qui avait couvert ses voiles noirs de tout ce qu’elle possédait de perles. Toutes avec des traînes qui, sans être aussi longues que celle de la nouvelle reine, n’en compliquèrent pas moins les évolutions dans la belle église au somptueux retable doré et sculpté, où les hommes de la région, placés dans les trois galeries étagées jusqu’à la voûte en berceau de navire, firent entendre les plus beaux chants du monde.
Sylvie qui se souvenait de ce qu’avait été le ménage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche pria de tout son cœur pour que ce nouveau couple, si bien assorti, trouve ce bonheur qui est rarement le lot des personnes royales, mais le sourire de Louis quand il regardait sa jeune femme, et surtout le regard de Marie-Thérèse, déjà brillant d’un amour qui ne s’éteindrait jamais, permettaient les plus grandes espérances.
Anne d’Autriche, elle non plus, n’oubliait pas. Elle s’attachait de toute sa force à ce qu’elle espérait un bonheur et, le soir venu, pour qu’au moins la pudeur de Marie-Thérèse ne soit pas soumise à trop rude épreuve, elle n’hésita pas à bousculer les traditions, referma elle-même les rideaux du lit sur le jeune couple à peine couché et renvoya tout le monde.
— Pensez-vous qu’ils seront heureux ? demanda Sylvie à Mme de Navailles tandis qu’elles quittaient ensemble la maison du Roi.
— J’en doute un peu. Le bruit court qu’en rentrant à Paris le Roi ferait, seul, un crochet par Brouage où Mazarin a exilé sa nièce Marie, sous le prétexte de visiter le port de La Rochelle. D’autre part, certains regards posés sur l’une des filles d’honneur ne m’ont pas échappé. Il faudra veiller au grain…
— Ou faire en sorte que la Reine continue de plaire à son époux ?
— Quelque chose me dit que ce sera plus difficile…
Le vent de mer rafraîchissait la nuit étoilée. Les deux femmes prolongèrent leur promenade pour mieux en profiter.
CHAPITRE 3
UN CADEAU POUR LA REINE
Ce fut à Fontainebleau et, bien entendu, au moment où elle s’y attendait le moins que Sylvie revit François.
Avant de présenter la Reine à Paris et d’y faire avec elle sa « joyeuse entrée », Louis XIV décida de passer quelques jours dans un palais qu’il aimait particulièrement. Il y avait plus d’un an que la Cour avait quitté la capitale pour la Provence et le Pays basque et il est toujours agréable de rentrer chez soi. En outre, le long voyage de retour en plusieurs semaines ponctuées de fêtes, de discours, de banquets, de bals et de toutes sortes de distractions avait offert trop de logements improvisés, voire misérables, pour que tous ne souhaitent retrouver l’espace et le charme de ce qui était alors la plus agréable des résidences royales.
Sylvie aussi aimait Fontainebleau où elle avait séjourné à plusieurs reprises sous le règne précédent. Elle appréciait la beauté de la grande forêt et l’agrément des bâtiments moins élevés que ceux de Saint-Germain, moins sévères que ceux du Louvre où la royauté s’était réinstallée après les troubles de la Fronde – avec le Cardinal qui tenait beaucoup de place – quand on avait pu mesurer la difficulté de défendre l’aimable Palais-Royal. Sylvie conservait le souvenir – amusé avec le recul du temps ! – de sa première rencontre avec Richelieu. Et c’est en y pensant qu’elle était descendue dans les jardins, ce matin-là de bonne heure, dans l’intention de jouir de la fraîcheur de la rosée et de refaire cette première promenade qui devait avoir tant d’influence sur sa vie de petite fille d’honneur de quinze ans, puisqu’elle lui avait permis de rencontrer, non seulement le redoutable Cardinal mais aussi celui qui était devenu son époux et que, ce jour-là, accompagnait le trop beau et trop imprudent Cinq-Mars. Un pèlerinage de tendresse en quelque sorte !
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