— Était-ce la seule raison ? Ne souhaitais-tu réellement que me remettre aux mains d’un époux ou bien…
— Ou bien quoi ? articula-t-il sur la défensive.
— Oh rien !… J’ai dû rêver qu’un soir, dans mon wigwam, tu m’avais suppliée de te suivre… Les rêves sont une chose étrange, vois-tu, car je crois même entendre encore tes paroles. Tu disais : « Si tu veux me suivre, je saurai t’aimer comme jamais aucun autre homme ne le pourra… »
— Tu n’as pas rêvé. Ces mots, je les ai dits et je ne les renie pas mais…
— Mais ? C’est là un mot que les femmes n’aiment guère.
— Pardonne-moi. J’étais sincère alors mais tant de choses ont changé. Je ne m’appartiens plus… Je suis officier du général Washington.
— Tu veux dire que tu ne m’aimes plus ?… Dommage ! Car moi, vois-tu, j’étais prête à t’aimer…
D’un geste brutal, elle rejeta ses couvertures et, aussi nue que la vérité, se dressa devant le jeune homme, rejetant derrière son dos la masse sombre de ses cheveux dans un mouvement qui fit saillir ses seins dressés comme de fières collines de chair. Mais elle ne s’approcha pas de lui et comme s’il avait cessé soudainement d’exister, elle passa devant lui et marcha vers le feu, balançant sur de longues cuisses des fesses hautes et fermes qui apparaissaient sous le rideau luisant des cheveux.
La gorge soudain plus sèche qu’un désert de sable en été et le sang aux tempes, Gilles la regarda marcher vers la cheminée, découpant sur le fond rougeoyant, la forme parfaite de son corps. D’une voix rauque qui lui parut venir des profondeurs de la terre, il s’entendit murmurer :
— Quel jeu joues-tu ? Tu étais prête à m’aimer dis-tu ?
— Sinon pourquoi serais-je venue te chercher jusqu’ici quand il était si simple de rentrer chez moi lorsque les Skinners ont tué l’Avenger et brûlé la ferme ?
Elle se détourna lentement pour lui offrir l’affolant profil de son corps ; la courbe hardie des seins dominant celle infiniment émouvante du ventre plat et le doux renflement d’un pubis soigneusement épilé… Sa voix se fit plus basse et passa comme une râpe sur les nerfs du jeune homme.
— … Je te désirais au camp de mon époux et je te désire à présent ! Oh ! Je sais ce qui te retient. Tu crains de déplaire à l’homme que tu as choisi de servir… mais cela ne suffit pas. Après tout, peut-être me suis-je trompée… peut-être que tu n’es pas vraiment un homme ?
Alors il s’empara d’elle. Brutalement et totalement. Tout aussi totalement elle répondit à son étreinte sous laquelle elle plia. Le sol recouvert d’un candide tapis au crochet, œuvre de la sage Mrs Gibson, monta vers eux avec la chaleur des flammes. La chair de l’Indienne était brûlante mais les mains de Gilles étaient glacées. Comme une petite bête sauvage, elle lui mordit doucement la bouche puis le repoussa, s’agenouillant auprès de lui.
— Laisse-moi t’enlever ces habits ridicules ! Tu es tellement plus beau sans eux.
Impatiente de l’étreindre encore, il arrachait son habit, son long gilet blanc, s’attaquait à la cravate mais elle s’arrêta.
— Non ! Je veux le faire moi-même. Nous autres, filles de la forêt, on nous apprend comment faire durer très longtemps le plaisir du maître que nous nous choisissons.
— Aussi bien que vous savez prolonger les tortures ? fit Gilles en riant.
Mais elle demeura grave.
— C’est la même chose. L’amour est une mort lente dont on renaît sans cesse. Le plaisir comme la douleur doit être un paroxysme…
Devant le feu qui lui aussi se mourait ce fut, entre leurs deux corps, un jeu subtil, cruel et délicieux. Avant de s’ouvrir enfin pour lui, vaincue et délirante, Sitapanoki conduisit, avec une science raffinée, le désir de son partenaire jusqu’aux limites d’une souffrance dont il se délivra dans un râle de fauve auquel fit écho le cri haletant de la femme. Puis tout disparut…
Gilles s’éveilla le premier du bienheureux anéantissement de l’amour et, doucement, se dégagea. Le feu n’était plus que braises. Il y posa quelques bûches et le ranima. De hautes flammes claires jaillirent enveloppant de lumière la femme endormie. La sueur traçait de petits ruisseaux brillants sur sa peau mate. D’un doigt léger, Gilles suivit le tracé de l’un d’eux qui se perdait dans l’ombre des cuisses entrouvertes… Du fond de son sommeil superficiel Sitapanoki sentit la caresse, gémit, se tendit vers elle sans ouvrir les yeux.
Le désir s’enfla de nouveau dans les reins du jeune homme mais, durant de longues minutes, il demeura à genoux, jouant comme d’une harpe de ce corps féminin qui haletait et se soulevait sous ses doigts, jouissant de ses plaintes jusqu’à ce que, se relevant d’une brusque torsion, la femme vint s’abattre sur lui, l’enveloppant de toute sa chair et de l’odeur poivrée de ses cheveux et manquant de les jeter dans le feu tous les deux. Alors, Gilles l’emporta jusqu’au lit pour s’y anéantir avec elle dans la blancheur des draps…
Trois fois encore ils firent l’amour sans parvenir à se rassasier l’un de l’autre. Leurs corps semblaient avoir été créés de tout temps pour s’adapter l’un à l’autre et ne plus pouvoir se séparer. Mais, enfin, Sitapanoki sembla chercher un peu de repos et nicha sa tête contre le cou de son amant qu’elle enveloppa de ses bras.
Un instant, elle garda le silence et il crut qu’elle allait s’endormir quand il sentit soudain des baisers légers sur sa peau et l’entendit chuchoter.
— Emmène-moi !…
— Où veux-tu que je t’emmène ? Chez toi ? Je t’ai déjà dit…
— Chez moi… oui… mais pas chez mon époux.
Elle se redressa sur un coude, l’embrassa longuement tandis que ses doigts glissaient doucement à travers la légère toison qui moussait sur la poitrine du garçon, suivant le dessin des muscles.
— Écoute… à bien des journées de marche en suivant le fleuve qui coule près d’ici, on trouve un fleuve plus grand encore, celui que les Français ont appelé Saint-Laurent. Autrefois, les miens régnaient sur d’immenses territoires au nord de ce fleuve. Les Iroquois les ont massacrés et les rares groupes qui ont pu échapper ont fui vers l’ouest. La tribu de mon père a pu demeurer plus longtemps que les autres grâce à un refuge dont moi seule et quelques autres, maintenant, connaissons l’emplacement. Un jour de malheur, il a fallu qu’ils en sortent, attirés dans un piège. Bien peu ont échappé aux flèches iroquoises et moi je suis devenue captive. Mais le refuge, l’ennemi n’a jamais pu le découvrir et je crois que quelques-uns y vivent encore. Viens avec moi… Tu deviendras leur chef, tu seras mon époux et je te donnerai des fils…
Doucement Gilles se dégagea, obligea la jeune femme à se recoucher et la regarda longuement au fond des yeux.
— Tu es folle, Sita !… Tu rêves tout éveillée. Comment ceux de ta race accepteraient-ils un Blanc ? Et moi, je ne veux pas déserter, car c’est à cela que reviendrait une fuite avec toi.
— Tu dis que tu m’aimes, fit-elle amèrement, et quand je t’offre de te donner toute ma vie, tu dis que je suis folle. Je l’ai été, sans doute, de me donner à toi… à toi qui acceptes calmement mon retour auprès de mon époux.
Rapide comme une couleuvre, elle glissa du lit, s’étirant comme une chatte dans la lumière mourante du feu.
— Qui te dit que je l’accepte ? soupira Gilles qui l’observait redressé sur les oreillers. Mais je ne vois aucun moyen de l’empêcher sans me déshonorer !
Elle ne répondit pas et même ne parut pas entendre ses paroles. Le regard agrandi, fixant les braises comme si elle y apercevait d’étranges images, elle murmura, comme pour elle-même :
— Sagoyewatha ne me punira pas car il croira les paroles du Grand Chef Blanc mais peut-être ne voudra-t-il plus de moi pour épouse ?… ma vie sera alors misérable. Il me faudra le reconquérir peut-être et, pour cela, lui donner bien plus d’amour encore que je ne t’en ai jamais donné…
Et doucement, d’une voix de confidence elle se mit à décrire comme pour elle-même et avec une affolante précision les caresses dont il lui faudrait faire usage. C’était un murmure léger, une sorte d’incantation sensuelle, un récit d’une puissante poésie charnelle qui chargea l’atmosphère d’électricité comme si elle eût été seule. En même temps, ses longues mains brunes lissaient rêveusement ses hanches, remontant vers les seins qu’elles emprisonnèrent.
Gilles crut soudain la voir entre les bras de l’Indien, sauta du lit et voulut s’emparer d’elle. Mais elle le repoussa avec colère…
— Tu es encore là ? Qu’attends-tu pour t’en aller ? Je me suis trompée en t’accueillant ce soir et tu m’as fait comprendre mon erreur. Je ne dois plus penser qu’à mon époux. Va-t’en…
— Pourquoi te fâcher ? Ne peux-tu comprendre ?
— Rien ! Je ne peux rien comprendre sinon ceci : l’homme auquel j’appartiens doit m’appartenir lui aussi. Tu n’acceptes pas, je ne suis plus à toi…
— Mais enfin raisonne un peu ! Ce que tu demandes est grave et tu devrais le comprendre. Quel homme parmi les tiens accepterait ainsi, en une minute, d’abandonner ses armes, ses frères, son devoir, sa race pour s’enfuir avec l’épouse d’un autre ? Il y a peut-être une solution mais laisse-moi au moins le temps d’y réfléchir. Tu ne pars pas demain !
Imperceptiblement, il s’était approché d’elle, l’attirait contre lui et, cette fois, elle ne se défendit qu’à peine. Au bout d’un moment, elle se mit à rire et lui offrit ses lèvres.
— Tu as raison… mais vois-tu, je t’aime tant déjà que je ne peux même plus imaginer de me séparer de toi dans l’avenir…
— Moi aussi, je t’aime. Est-ce que tu ne l’as pas encore compris ? Comment pourrais-je vivre sans toi ?
Elle se blottit contre lui, l’épousant de chaque pouce de son corps tandis que ses hanches, très doucement, commençaient à onduler.
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