L’écho de la voix de Tante Amélie se faisant entendre dans le vestibule, Adalbert précipita la lettre dans la poche d’Aldo juste avant qu’elle n’entre.
— Ah, je vois que vous êtes au complet ! constata-t-elle avec satisfaction. Le petit juge aurait-il vu la lumière ?
— Le terme est faible ! Je dirais plutôt qu’il a percuté un volcan ! fit Adalbert. Vous avez manqué un beau spectacle : la gendarmerie envahie par Lady Ribblesdale, ses chiens, sa Rolls, ses deux chauffeurs, sa femme de chambre et son abattage de « prima donna ». Vous auriez beaucoup aimé ! Mme Verdeaux, elle, a adoré. Quant au juge, il n’est pas près de s’en remettre !
— Parfait ! Alors, dites-moi donc ce qu’il y a dans cette lettre que Gatien vient d’apporter et qui doit être quelque part dans une de vos poches ?
12
Une vieille inscription…
Inquiets, tous s’attendaient à la voir s’écrouler en larmes : il n’en fut rien. Mme de Sommières tendit la lettre à Aldo et se dirigea vers la porte du salon qu’elle ouvrit d’un geste décidé. Aussitôt il se précipita devant elle pour lui barrer le passage :
— Où allez-vous ?
— Faire ce que l’on aurait dû faire depuis longtemps !
— Mais encore ?
— Laisse-moi passer ! Tu n’auras qu’à me suivre, tu verras bien !
Courant presque, ce dont on l’aurait crue incapable, elle traversa le grand vestibule, s’élança dans l’escalier qu’elle grimpa en s’aidant de sa canne, suivie des autres. À l’étage et sans respirer, elle fonça droit sur la chambre d’où Marie de Regille ne sortait guère et entra sans frapper. À demi étendue sur son lit, celle-ci lisait paisiblement mais n’eut pas le temps de se poser des questions au sujet d’une intrusion qui, de toute évidence, n’avait rien d’amical.
— Levez-vous ! ordonna la marquise. Et prenez une petite laine : la soirée est fraîche !
— Je vais sortir la voiture, proposa Lothaire. Vous auriez dû dire que vous vouliez faire un tour !
— Pas vous, Adalbert ! Mon cher ami, je m’apprête à violer les lois de l’hospitalité. C’est donc un étranger à la maison qui doit m’assister ! Adalbert !
— J’y vais !
En face de cette grande femme si visiblement déterminée, Marie sentit la peur la gagner :
— Que me voulez-vous ? Où allez-vous m’emmener ?
— En aucun lieu qui vous soit étranger. Je vous conduis chez des amis !
— Je n’ai pas d’amis ! répliqua Marie, théâtrale. Je suis une victime qui se cache !
— Tellement bien que vous échangez des messages téléphoniques à la suite desquels une bande de truands masqués a envahi cette demeure pour en arracher une fille qui vaut mille fois plus cher que vous, mais sans oublier de blesser plusieurs personnes sur son passage – dont moi et Mademoiselle Clothilde…
— Qui a tué un homme !
— Et que vouliez-vous qu’elle fît ? Lui dire merci ? Assez tergiversé ! Venez de bon gré si vous ne voulez pas que l’on vous porte !
— Où voulez-vous aller ? Chez mon père ?
— Pas d’illusions ! À qui avez-vous téléphoné pour livrer Mlle du Plan-Crépin ? Je veux savoir ce qu’elle est devenue. Je sais qu’à cette heure il est peut-être déjà trop tard, mais si elle est morte c’est moi qui vous tuerai !
— Vous ?
— Non, pas tant que je serai là, intervint Aldo, bien que vous ne m’inspiriez aucune pitié !
Elle changea alors son fusil d’épaule et choisit le charme :
— Vous ne feriez pas cela ! Vous êtes si beau que vous ne pouvez pas être cruel ?
— Vous pourriez avoir des surprises !
— Bon, en voilà assez, s’impatienta Adalbert. On l’embarque sans lui demander son avis sinon on en sera encore là demain matin, et le temps presse.
En dépit de ses cris, Marie, emballée, par Clothilde, dans une couverture – il s’était avéré à peu près impossible de lui faire enfiler les manches d’un manteau ! –, descendait l’escalier sur le dos d’Adalbert et fut déposée dans l’imposante limousine où l’on s’entassa à l’exception de Clothilde, cependant que Lothaire s’installait au volant.
— Ne m’emmenez pas à Granlieu, gémit Marie. Ils vont me tuer !
— Je ne vois pas pourquoi ! fit Clothilde paisiblement. Vous ne leur avez rendu que des services ! C’est nous, au contraire, qui avons été de tristes idiots en ne vous chassant pas quand nous avons appris que vous leur aviez ouvert notre porte. C’est mal reconnaître l’hospitalité reçue !
— Et maintenant, vous me livrez ?
— Arrangez-vous pour que nous sachions où Plan-Crépin est emprisonnée et on vous ramène chez vous !
— Chez mon père ?
— Ne me dites pas que vous y êtes si malheureuse ! Depuis le temps, cela se saurait…
Petit à petit, Marie se calmait, cherchant sans doute quelque ruse pour échapper. Elle crut avoir trouvé :
— Si je parviens à savoir où elle est cachée, m’épouserez-vous, Adalbert ?
— Vous épouser ? Vous rêvez, ma parole ! La seule promesse que je me sente disposé à vous faire est celle-ci : si elle est morte, je vous étrangle de mes mains ! Mais je peux ajouter ceci : Marie-Angéline retrouvée en bon état, je ferai le maximum pour vous aider à échapper à un sort qui vous déplaît, encore que vous l’ayez amplement mérité ! Ça vous va ?
— Il faudra bien que je m’en contente !
Enfin, quelques instants plus tard la voiture démarrait. Debout au seuil de la maison, Clothilde la regarda s’éloigner…
Sans posséder le charme discret du manoir Vaudrey-Chaumard, le château de Granlieu ne manquait pas d’agréments. Le corps de logis Renaissance, élevé sur une galerie d’élégantes colonnettes, correspondait à des portes-fenêtres apportant l’air et la lumière. L’un des côtés attenait à une maison forte plus médiévale accolée de deux tours rondes, alors que, de l’autre côté, une tour carrée de moyenne grandeur mais aux fenêtres lancéolées apportait une note plus guerrière. Un jardin, malheureusement en friche mais qui avait dû naître sous le crayon d’un élève de Le Nôtre – sinon peut-être du maître en personne ! –, descendait jusqu’à une pièce d’eau. Mais les travaux ayant longtemps été abandonnés, on ne pouvait imaginer quelle allure aurait l’ensemble une fois achevé.
Quand la voiture stoppa sur le pont dormant remplaçant l’ancien pont-levis, un homme, qui pouvait être un concierge aussi bien qu’un majordome ou un chef de chantier, armé d’une lanterne – la nuit tombait vite ! –, s’approcha pour voir ce qu’il y avait dans la voiture.
— Qu’est-ce que vous voulez ? fit-il d’un ton rogue.
— Voir le maître de ce logis, et le plus rapidement possible ! Il s’agit d’une affaire urgente…
— Eh ben, vous r’viendrez demain. Le maître, il est dans son particulier et il n’rçoit pas à c’t’heure !
— Moi, je crois que si, dit tranquillement Morosini en lui mettant son revolver sous le nez, ce qui n’eut pas l’air de l’impressionner beaucoup :
— Les pétoires c’est pas c’qui manque ici !
— On n’en a jamais douté ! Ce qui compte c’est la façon de s’en servir…
— Et, pour l’instant, nous voulons seulement causer ! conclut Lothaire. Comme il n’est pas douteux que votre maître y trouve son intérêt, vous devriez lui en toucher un mot. En outre, vous pouvez remarquer que des dames nous accompagnent ? Ce n’est pas l’usage quand on s’apprête à une bataille rangée !
— Cela fait du monde ! Alors, j’annonce qui ?
— Donnez-lui ça, reprit Adalbert qui avait écrit leurs noms sur une carte de visite. Cela devrait lui suffire ! En attendant, soyez bon de faire ouvrir ce portail ! Puis annoncez-nous !
Cela fait, le cerbère détala, abandonnant les visiteurs dans l’austère vestibule où deux armures complètes montaient une garde sévère de part et d’autre d’une grande tapisserie des Flandres décorant le mur face à l’escalier de pierre. Une bancelle y était adossée, permettant de s’asseoir et de contempler la haute volée de marches dont des massacres de cerfs et de sangliers décoraient la muraille. Les meubles étaient d’ébène et de chêne foncé. L’éclairage fourni par de gros cierges dans des griffes de fer n’arrangeait rien. L’ensemble était lugubre.
Lothaire le considéra sans cacher sa stupeur :
— Si c’est ce que Hagenthal père appelle des travaux de rénovation, il a décidé de remonter le temps. Où est le décor élégant, peut-être un peu trop féminin, qu’affectionnait Mme de Granlieu ? On se croirait dans une scène des Burgraves de ce cher Victor Hugo. Et c’est dans ce mausolée qu’il veut amener une jeune épousée ?
Marie, elle, considérait l’ensemble avec épouvante :
— C’est là-dedans qu’il a décidé de me faire vivre ? Mais c’est une horreur ! Je ne veux pas, je ne veux pas !
Virant sur ses talons, elle voulut courir vers la porte, mais Mme de Sommières la rattrapa au vol :
— Vous n’êtes pas là pour donner votre avis sur le décor mais pour expier une faute qui pourrait aller jusqu’au crime. Alors arrangez-vous pour que nous retrouvions dare-dare celle que vous avez livrée et on vous ramène chez votre papa !
— Mais je refuse ! Il me reconduirait ici et…
— Encore faudrait-il qu’il y ait quelqu’un pour vous recevoir ! Si les choses se passent comme nous l’espérons, c’est la prison qui attend votre « fiancé », ou même pire !
L’attente ne fut pas longue. L’homme qui les avait introduits – et qui devait cumuler son rôle de concierge avec une charge de majordome rustique – vint les chercher :
— M. le baron consent à vous accorder quelques instants, bien qu’il n’aime pas qu’on le dérange quand il mange ! Alors juste…
La phrase eut le don d’exaspérer Lothaire qui prit « l’introducteur » par les deux coudes pour l’écarter de la porte :
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