— Et c’est ?

— Un diamant ayant appartenu à une reine… et plus gros que le Sancy.

— Pourquoi cette obsession ?

— Parce que le Sancy est devenu la propriété de mon idiote de cousine, Lady Astor of Hever… et parce que c’est comme ça ! D’accord, mon petit prince gondolier ?

Il avait fallu qu’elle lâche cette ânerie !

— Ah, non, protesta Aldo. Ou vous cessez de m’appeler ainsi ou je reprends ma parole !

Il crut un instant qu’elle allait lui sauter à la figure mais, brusquement, elle éclata de rire :

— Bon ! Je ne le dirai plus ! Promis ! Et vous, raccompagnez-moi à ma voiture ! ordonna-t-elle à Adalbert. Je rentre à Paris ! Allons, les chiens, en route ! Vous devriez savoir qu’on ne fait pas pipi chez un shérif !

Escortée par Adalbert, Lady Ribblesdale, l’allure plus majestueuse que d’habitude, rejoignit enfin sa Rolls sous l’œil intéressé d’une petite foule qui applaudit comme au cinéma, ce dont elle remercia avec un grand sourire et une aimable inclinaison de tête, très satisfaite de l’effet produit.

Pendant ce temps, Aldo signait à son tour sa déposition :

— Si vous n’avez plus besoin de moi, Monsieur le juge, j’aimerais rentrer au manoir prendre une douche !

— Plus rien ne s’y oppose, mais faites tout de même en sorte de ne pas quitter la région sans mon autorisation !

— Comme il vous plaira !

— Excellente chose ! applaudit Lothaire. Il ne reste plus qu’à trouver le vrai meurtrier… ou plutôt la meurtrière, d’après Machu. Sans compter ceux qui ont voulu transformer ma maison en abattoir. Vous n’allez pas manquer de travail, Monsieur le juge d’instruction.

— Il est certain que nous nous reverrons !

— Je ne sais pas ce que vous en pensez, Lothaire, émit Adalbert tandis qu’ils revenaient vers la voiture et qu’Aldo filait chez le fleuriste pour envoyer à Mme Verdeaux le dernier arrivage de roses au complet, mais j’ai cru déceler une vague menace dans cette paisible déclaration ?

— À tout autre que vous je répondrais qu’il rêve !

— Et à moi ?

— Qu’il va falloir nous tenir à carreau pour démêler la vérité de cette affaire plus ou moins vaseuse. Ce que nous n’allons pas manquer de faire… et dès ce soir !

— Vous avez une idée ?

— Oh ! je pense que nous avons la même tous les trois, mais il va falloir obtenir de Morosini qu’il reste au bercail !

— Vous vous abusez ! Tel que je le connais, on n’y arrivera pas ! Il n’a jamais permis à qui que ce soit de régler ses propres comptes  !

— S’il ne veut pas retomber sous la griffe du petit juge, il faudra bien qu’il en passe par là !

— Et si vous m’en disiez un peu plus ?

— Que l’idée ne vous en vienne pas toute seule, voilà qui me confond  ! Qui a prétendu voir Morosini assassiner Michel Legros ?

— L’homme d’Ornans ? Gilbert… machin !

— Dauphin ! Vous ne croyez pas qu’il y ait matière à lui poser quelques questions ?

— Ce n’est pas lui qui a tué puisque Machu accuse une sorte de nymphe des bois…

— Qui pourrait être sa maîtresse mais qui trouve peut-être Aldo à son goût ?

— Si l’envoyer à l’échafaud vous paraît une preuve d’amour, moi je veux bien !

— Il pourrait l’avoir repoussée ?

— Mon cher Professeur, vous faites du roman pour l’instant ! Cela dit, l’idée n’est pas mauvaise…

Aldo les rejoignit, arborant un air si visiblement soulagé qu’Adalbert ne put s’empêcher de remarquer :

— Tu n’as pas peur que Verdeaux t’envoie ses témoins ? Dans deux ou trois heures, tout Pontarlier va te croire l’amant de sa femme ! Et la sous-préfète va nous faire une jaunisse !

— Une sottise, tu ne la rates pas, toi ! C’est égal, si l’on m’avait dit qu’un jour viendrait où je regarderais l’insupportable Ava autrement que comme la huitième plaie d’Égypte, je lui aurais ri au nez. Et pourtant !!! Je lui dois la liberté et peut-être la vie ? Ce juge semblait prendre à tâche de m’expédier sous le couperet !

— Arrête d’amplifier ! Il y aurait des obstacles sur le chemin, alors, je t’en supplie, ne tombe pas dans l’excès contraire  : si tu te mets à dresser des autels à ce monument d’égoïsme en jupons, il ne faudra pas compter sur moi pour célébrer ses vertus une harpe à la main. Ici, elle est arrivée pile, ce qui te met en état de reconnaissance et de dépendance !

— Comment l’entends-tu ?

— C’est clair, pourtant ! Si tu n’abandonnes pas toutes tes affaires courantes pour lui dénicher son fichu diamant, elle n’hésitera pas un seul instant à te pourrir la vie.

— Tu n’exagères pas un peu ?

— Exagérer ? Je suis sûrement en dessous de la vérité !

— Alors, laisse tomber. J’aurai peut-être moins de mal que tu ne le crois pour lui faire plaisir ! Cela dit, nous avons mieux à faire dans l’immédiat ! Quand nous aurons retrouvé Plan-Crépin, il sera temps d’y revenir. Le plus urgent est d’aller voir de près ce que mon accusateur a dans le ventre et pourquoi il tient à me mettre sur le dos un crime auquel je suis certain qu’il n’est pas étranger.

— Mais qui ne l’a pas commis  ! intervint Lothaire. La femme doit être sa maîtresse et c’est elle qu’il faut chercher. Ce qui ne sera pas facile dons un pays de vieilles traditions où les légendes ont la vie dure. On n’échappera pas à une référence à la Vouivre ! D’ailleurs, tu as entendu Machu !

— Une meurtrière nue à l’exception d’un rubis au cou, jaillie de la Source et qui tue dans un baiser ? J’ai cru comprendre qu’elle ne tuait pas elle-même et que ce sont les reptiles dont elle fait ses compagnons qui s’en chargent. Or, Machu n’en a pas vu la queue d’un, et Machu n’est pas myope !

— … sauf que c’était la nuit et qu’il boit souvent un peu trop ! Un bon avocat aurait sans doute vite fait de le démontrer !

— Bon ! Laissons-le cuver ! dit Aldo avec un haussement d’épaules. Moi, en attendant, j’ai un compte à régler et je n’ai pas l’intention d’attendre plus longtemps. C’est bien à Ornans qu’habite ce Dauphin ?

— Oui, mais je n’en dirai pas plus. Cette affaire me regarde avant tout !

— Ah, vous trouvez ? Ce n’est pourtant pas vous que ce type a accusé sans la moindre hésitation. C’est donc à moi de lui demander des comptes. Il faudrait que je sois à l’agonie pour permettre à quelqu’un d’autre, fût-ce un ami tel que vous… fût-ce même à Adalbert, de défendre mon honneur !

— Entièrement d’accord, mais je ne vous laisserai pas y aller seul. D’une certaine façon, cet homme est des miens. C’est moi qui lui ai fait prêter serment sur la croix du Téméraire, et, normalement, il devrait être jugé par ses frères…

— Et il aurait droit à quoi, avec ses frères ? Une mercuriale un peu sévère, l’obligation de présenter des excuses… alors qu’il n’hésitait pas un instant à m’envoyer à l’échafaud ? Qui me dit, d’ailleurs, que votre belle association ne contient pas d’autres traîtres ? C’est agréable de jouer au chevalier, mais quand on se veut gardien d’un trésor il faut une certaine trempe pour ne pas en venir à le convoiter  ! Vous appartenez à ce pays, Lothaire ! Pas moi !

— Ni moi ! enchaîna Adalbert.

— Je croyais qu’il avait su attirer sinon votre affection, du moins votre amitié, et surtout votre respect humain, murmura Lothaire.

— Et vous aviez raison. Vous l’avez toujours, et sans l’ombre d’un doute.

— Alors que voulez-vous faire à Dauphin ? Le tuer ?

— Je veux seulement qu’il reconnaisse avoir menti. Et cela devant, au minimum, deux témoins fiables ! Je veux aussi le nom de la meurtrière ! Quelque chose me dit qu’elle est sa maîtresse !

— Si c’est le cas, je n’en sais rien… mais j’admets que ce soit parfaitement possible. Bien qu’il s’en cache, je sais que Dauphin est loin d’être heureux en ménage. Sa femme, plus âgée que lui, est de celles que l’on ne souhaiterait pas à son pire ennemi ! Elle était assez belle quand il l’a épousée et plutôt fortunée, ce qu’il n’était pas, et elle ne cesse de le lui rappeler. Inutile d’ajouter qu’elle est d’une jalousie que je n’hésiterai pas à qualifier de maladive. S’il a des relations avec la meurtrière – et je reconnais qu’il y a de fortes chances que ce soit le cas ! –, elle est très capable de le tuer !

Adalbert, qui ne s’était pas mêlé à l’escarmouche, éteignit la cigarette qu’il fumait nerveusement :

— Et vous ? La connaissez-vous ?

— De qui parlez-vous ? De la Vouivre dont cette femme se veut la résurgence ? La réponse est oui. Toute la Comté connaît la légende. En revanche, je ne connais, dans nos montagnes, aucune femme assez belle pour oser la réincarner ! Et de cela je vous donne ma parole !

— Acceptée ! topa Adalbert avec bonne humeur. Pourtant, je continue à penser qu’un entretien avec cet homme pourrait nous être des plus utiles pour retrouver Marie-Angéline ! Je suis sûr qu’il a des contacts avec ses ravisseurs. Le seul fait qu’il fasse partie de ceux qui ont violé leur serment sur la croix le rend suspect. Là-dessus il accuse un innocent ! Non, Professeur ! Il nous faut un entretien avec lui ! Et le plus tôt sera le mieux ! Autrement dit : donnez-moi son adresse !

— Je ne vous laisserai pas vous y rendre sans moi…

Ils étaient à peine rentrés au manoir que Gatien, après avoir frappé à la porte du salon, fit son apparition, portant une lettre sur un petit plateau d’argent :

— Le jardinier vient de trouver ça près de la volière, dit-il. On a dû le lancer par-dessus le mur.

— Voyons ce que c’est !

Tapé à la machine, le texte en était court :

« Si vous voulez que la fille aux cheveux jaunes garde une chance de vivre encore un peu, tenez-vous tranquille bien qu’il soit peut-être déjà trop tard ! Là où elle est, personne ne peut l’atteindre, et depuis deux jours elle n’a ni mangé ni bu ! Si un jour quelconque on parvenait à la revoir, elle ne serait sans doute plus qu’un squelette desséché, mais si vous voulez lui éviter une trop longue agonie, exécutez point par point les ordres que vous recevrez sous peu, mais aucune collusion avec les juges, la police ou la gendarmerie ! Signé : X… »