Ce besoin de sommeil profond étonna la marquise… et plus encore le fait que, venus pour enlever Plan-Crépin, ses ravisseurs n’aient pas profité de l’occasion pour rendre Marie à son père… Sauf, évidemment, si, malgré ses grands cris et ses manifestations horrifiées, l’arrivée dramatique dont elle avait régalé le manoir n’eût été qu’un acte d’une vilaine comédie, jouée à la perfection par une gamine digne en tous points des malfaisants qui l’actionnaient comme une marionnette. De là à penser qu’elle avait réussi à communiquer les renseignements pour qu’on la débarrasse de Plan-Crépin, il n’y avait qu’un tout petit pas. Et la marquise n’hésita pas à le franchir. Restait à savoir comment cette fille avait pu s’y prendre.
Cependant, à ce moment-là, elle avait décidé de garder pour elle ses impressions jusqu’au retour d’Aldo. Non par méfiance vis-à-vis d’Adalbert mais, le connaissant parfaitement, elle savait, comme Aldo, le cher garçon sensible aux admirations féminines. Même quand il donnait de la voix pour faire entendre que « c’était de la blague » et qu’il n’y croyait pas. Or, Marie, comme elle le faisait entendre si bien elle-même, ne manquait pas d’attraits. Pour faire court : Adalbert détestait « qu’on lui enlève ses illusions » ni plus ni moins qu’un gamin de dix-huit ans…
Mais cette journée sans Aldo avait été longue ! Et cela en dépit des allées et venues des gendarmes menées – grâce à Dieu ! – par le bon capitaine Verdeaux, résolument rangé dans le clan Vaudrey-Chaumard et Cie… Cependant, il fallait tenir compte de l’homme abattu par Clothilde et sur lequel personne n’avait l’air de savoir grand- chose.
Rassurés sur l’état de celle-ci qu’un rapide passage à l’hôpital avait finalement déclarée hors de danger, les habitants du manoir avaient réussi à passer une assez bonne nuit. Venise avait appelé et Adalbert devait se rendre à Lausanne au petit matin pour récupérer Aldo.
Malheureusement, pendant ce temps-là, une autre dénonciation anonyme était tombée sur le bureau du sous-préfet, révélant plusieurs noms des Compagnons de la Toison d’Or – et en premier lieu celui du chef mais sans trop entrer dans le détail. Peu désireux sans doute de voir les autorités mettre la main sur le trésor de la chapelle souterraine, le dénonciateur avait choisi de signaler l’existence d’une « bande de notables » se réunissant à dates fixes pour célébrer un « culte démoniaque », la victime ayant été trouvée la gorge tranchée au pied d’une « pierre levée », un gros rocher portant quelques signes profondément gravés. Magnanime, le « corbeau » ajoutait que, jusqu’alors, l’association n’était rien de plus qu’un de ces groupements sans danger comme il en poussait un peu partout sur les terres d’anciennes civilisations encore imprégnées des relents de culte païen. Celle-là aurait mal tourné depuis qu’elle avait accepté dans son sein le « dangereux prince Morosini » et son ami égyptologue.
Perplexe – et surtout pas convaincu le moins du monde –, le capitaine Verdeaux s’était efforcé d’arranger les choses à sa façon. Sachant qu’Adalbert devait partir chercher Aldo à Lausanne, il attendit que le jour soit bien installé pour prendre sa voiture et se rendre au manoir afin de « procéder à l’arrestation ». Lui-même, sachant pertinemment qu’il n’aurait pas à employer la force et que le « suspect » le suivrait sans faire d’histoires, avait décidé d’éviter quelque publicité que ce soit ! Et tout, en effet, s’était bien passé… enfin, si l’on pouvait l’exprimer ainsi !
Secouant l’espèce de torpeur où l’avait peu à peu plongée son retour en arrière, Mme de Sommières, revenant à l’heure présente, s’aperçut qu’elle était toujours devant son miroir et que l’image reflétée était plutôt pire que tout à l’heure quand elle avait décidé de se prendre en main. Simplement, le contenu du pot de crème-miracle avait diminué de moitié parce que, au fur et à mesure que ses larmes coulaient, elle les séchait à l’aide d’une serviette, remettait une couche d’onguent, puis les larmes revenaient et tout était à recommencer… Découragée, elle essuya une dernière fois sa figure et alla se coucher. Sans oublier toutefois d’emporter la serviette… et le pot !
Le sommeil ne vint pas pour autant, parce que les points d’interrogation se multipliaient et qu’elle cherchait vainement le meilleur moyen de s’en sortir. En admettant qu’il y en ait un, ce dont elle finissait par douter.
Si on récapitulait, Plan-Crépin avait à nouveau disparu et le Diable seul savait jusqu’où allaient monter les exigences des ravisseurs, en admettant qu’ils ne s’en débarrassent pas purement et simplement. Aldo était arrêté même si Verdeaux avait fait preuve d’un tact surhumain ! En principe, il devrait s’en tirer assez facilement… à moins qu’Adalbert n’aille le rejoindre pour « complicité ». On avait deux cadavres sur les bras, l’un – un certain Michel Legros –, trouvé au point de rencontre prévu entre les Compagnons de la Toison d’Or avec des gens sur le compte desquels on ne gardait guère de doute, et l’autre abattu au manoir par une Clothilde – elle-même blessée ! –, dont on ne savait strictement rien, pour l’excellente raison que ses complices avaient fait le ménage en l’emportant. Seuls Lothaire et la petite Regille s’en sortaient sans une égratignure et sans être soupçonnés… sauf par elle-même ! Qu’est-ce que tout cela voulait dire ?
Cependant, comme Amélie de Sommières n’était pas femme à rester dans son coin en égrenant chapelet sur chapelet – pieux exercice qu’elle n’avait pas pratiqué depuis longtemps en pensant que Plan-Crépin en égrenait suffisamment pour deux ! –, elle décidait de passer à l’acte en dépit du faciès de vieille entremetteuse dont l’avait dotée l’ultime bagarre. Outre l’usage intensif de sa crème, celui d’une voilette un peu épaisse pouvait se révéler d’une grande utilité. De toute façon, le temps marchait trop vite pour attendre que les dégâts se réparent d’eux-mêmes !
N’eût-elle écouté que son besoin éperdu d’avoir une aide efficace qu’elle eût appelé Langlois toutes affaires cessantes, mais, sachant qu’une sombre histoire de terrorisme réclamait alors son attention, elle n’osait pas. Même l’inspecteur Durtal avait disparu. En descendant prendre son petit déjeuner, contrairement à son habitude – elle préférait qu’on lui serve dans sa chambre –, elle trouva Lothaire seul et à moitié dissimulé par un journal déployé.
— Les nouvelles sont bonnes ? s’informa-t-elle.
Ne l’ayant pas entendue venir, il sursauta, lâcha le quotidien, faillit renverser son café au lait, se leva pour la saluer et finit par la regarder avec compassion :
— Eh bien ! On dirait que ça ne s’arrange guère ? dit-il, trop préoccupé pour cultiver la galanterie. Voulez-vous que je vous emmène à Besançon consulter un spécialiste ?
— Il est vraiment question de ça ! Comme si ma figure avait la moindre importance dans ce marécage où nous nous débattons ! On parle de nous là-dedans ? ajouta-t-elle en désignant du menton les feuillets qu’il ramassait.
— C’est ce que je regardais. Mais non, grâce à Dieu ! Le juge d’instruction doit vouloir éviter une ruée d’informations plus ou moins farfelues, ce qui est un bon point pour lui !
— Ah ! vous trouvez ? Il aurait été mieux inspiré de ne pas arrêter Aldo, même en le confiant à Verdeaux ! Le fait qu’il eût été absent alors que l’on s’entretuait par ici aurait dû lui suffire puisqu’il a pu montrer tous ses titres de transport !
— C’est insuffisant. Un complice aurait pu les prendre pour lui et je vous rappelle qu’il est sous le coup d’une accusation formelle : ce Gilbert Dauphin l’a reconnu tandis qu’il s’enfuyait !
— Et que faisait-il lui-même, en pleine nuit, à des kilomètres de chez lui ?
— Comme tous les autres, puisque le rendez-vous était à la Source de la Loue. Il n’y avait guère que Bruno de Fleurnoy, de Salins, qui était presque chez lui !
— Et les « autres », ceux qui formulent des exigences en se livrant tranquillement au rapt et au rançonnage, pas le moindre nom, à commencer par celui du nouveau seigneur de Granlieu ?
— On s’en doute, mais on n’a aucune preuve, sinon du contraire : Karl-August était à Yverdon – donc hors frontières ! – où il dînait chez un notaire du coin !
— Et ses preuves à lui, on les accepte sans broncher ? Il doit avoir de sacrées protections.
— Il ne doit pas penser en avoir besoin. Il s’arrange pour être toujours ailleurs quand nous subissons ses méfaits.
Drapée dans une vaste robe de chambre où son pansement était à l’aise, Clothilde fit son apparition, encore un peu pâlotte peut-être mais apparemment solide sur ses jambes. Elle s’installa à sa place habituelle à côté d’Adalbert qui s’était hâté de lui présenter sa chaise tandis que Mme de Sommières protestait :
— Ne devriez-vous pas être dans votre lit ? On vous a recommandé le repos, et si votre blessure n’est pas vraiment grave vous avez tout de même encaissé une balle ?
— Que voulez-vous que je fasse au fond de mon lit ? Je n’y suis pas restée hier, alors pourquoi me prélasserais-je aujourd’hui ? Et j’ai faim ! Que raconte le journal ? s’enquit-elle pendant qu’on la servait.
— Quasiment rien. Il faut laisser l’enquête se dérouler et…
— Grand bien leur fasse ! Quant à moi, je voudrais savoir comment ces bandits ont su que Marie-Angéline était chez nous. On a pris grand soin de la cacher et je réponds de mes serviteurs. En outre, elle n’a pas bougé d’ici…
Mme de Sommières abandonna sa tasse de café :
— Je déteste ce que je vais dire, et je vous en demande pardon à l’avance, mais je crois que le courant d’air est sorti de cette maison et de nulle part ailleurs !
— Vous pensez à notre réfugiée ? Eh bien, moi aussi, figurez-vous ! Mais ni vous ni moi n’arriverons à la confesser !
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