— Pourquoi ?
— Le dernier occupant qu’on lui a connu était un étranger dont on n’a jamais su qui il était ni d’où il venait. Les gendarmes de Salins sont allés faire un tour de ce côté-là pour essayer d’éclaircir le mystère et l’ont trouvé pendu à la maîtresse poutre du rez-de-chaussée…
— Et l’on n’a rien découvert à son sujet ?
— Rien ! Il n’avait ni papiers, ni argent, à l’exception de ce qu’il a laissé sur la table : retenue par une pierre, une feuille de papier froissé, contenant une pièce de dix francs, demandant que l’on prie pour son âme. Ce dont le curé de Nans s’est chargé tandis que l’argent allait aux pauvres. C’était signé Wilfrid. On l’a vite oublié. Les gens évitaient l’endroit. Surtout les femmes !
— Pourtant il y en a une : cette Jeanne qui faisait la cuisine…
— Mais n’y restait pas la nuit ! Cette pauvre demoiselle du Plan-Crépin n’avait guère de chances que l’on vienne à son secours !
— C’est assez infâme en effet ! remarqua Morosini. Mais ces gens ne savaient pas de quoi Marie-Angéline était capable !
— Heureusement pour elle ! Bon, au risque de paraître malpoli, j’irais volontiers me coucher ! Je suis debout depuis quatre heures du matin !
Les trois autres se levèrent :
— Je vais te montrer ta chambre, dit Lothaire. Tu as sacrément mérité ton lit… sans oublier notre reconnaissance à tous ici !
— Il n’y a vraiment pas de quoi ! Vous la ramener était on ne peut plus naturel !
Demeuré seul, Aldo alluma une cigarette et appuya sa tête sur le dossier de son fauteuil, savourant avec volupté la fin du cauchemar. Le retour de Plan-Crépin, handicapée, certes, mais bien vivante, lui faisait l’effet d’un cadeau du Ciel même s’il savait que l’on n’en avait pas encore fini avec le nouveau seigneur de Granlieu. Après la soirée houleuse du monastère, c’était comme un bain de jouvence suivant une longue marche dans la boue. Il se sentait si décontracté qu’il ne prit même pas garde au retour des deux autres :
— Tu dors ? fit Adalbert.
— Non ! Je savoure… en sachant parfaitement que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge ! On fait quoi maintenant ?
Lothaire, occupé à vider sa pipe dans la cheminée avant de la bourrer à nouveau et l’allumer, ne répondit pas tout de suite. Ce fut seulement quand il en eut terminé avec ces petits travaux qu’il répondit :
— C’est justement ce que je comptais vous demander. La sagesse exigerait que vous repartiez demain pour Paris. Mademoiselle Marie-Angéline est retrouvée. Tout est donc pour le mieux pour vous !
— Je n’en suis pas certain ! dit Aldo. Outre que vous laisser vous débattre avec une montagne de problèmes, ce serait de la dernière muflerie, je ne crois pas qu’à Paris, Venise, Vienne ou n’importe où nous serions plus heureux !
— Vous auriez au moins le Quai des Orfèvres à portée de la main ?
— Peut-être, mais ce n’est pas sûr. Langlois ne peut pas passer sa vie l’œil fixé sur nous. Et je vous rappelle, par exemple, que nous n’avons pu découvrir jusqu’à présent – et lui non plus ! – d’où venait le coup de téléphone qui a conseillé à Tante Amélie de quitter sa maison toutes affaires cessantes parce qu’elle allait y être en danger ? Comme, naturellement, elle s’est bien gardée de suivre ce conseil d’« ami », se contentant d’expédier dans un couvent de Sèvres sa voiture, son chauffeur et Louise, sa femme de chambre sous ses vêtements et une triple épaisseur de voilette. Elle voulait voir ce qu’il en résulterait… et n’a rien vu. Sauf Adalbert qui venait justement la chercher et l’a sortie de chez elle avec un grand luxe de précautions.
— Oh, j’y pense de temps en temps ! soupira l’intéressé mais sans trouver le mot de l’énigme. Et Langlois n’en a pas appris plus long que nous. De toute façon il n’y a rien eu rue Alfred-de-Vigny la nuit suivante… ni les autres à ce qu’il paraît…
— Conclusion : mieux vaut rester groupés sous l’égide vigilante de Verdeaux et en finir avec cette histoire ! Maintenant, je vous ai livré le fond de ma pensée. À vous de jouer, Professeur !
Celui-ci toussota deux ou trois fois puis déclara :
— D’abord, merci de continuer le combat avec nous ! Le contraire m’eût étonné venant de vous. Dans l’immédiat, ce qui nous intéresse c’est l’échange d’après-demain… soir vraisemblablement ! Quelle position conseillez-vous ?
— Ça me paraît élémentaire ! émit Adalbert. On fait comme si de rien n’était, on va au rendez-vous.
— Avec le contenu de la chapelle ?
— Non, mais avec des paquets contenant n’importe quoi !
— Cela m’étonnerait qu’ils s’en contentent. Si traître il y a, il doit savoir ce que vous possédez.
— Et qui est loin de ce que contenait la chapelle ducale ! Pour ne citer que les statues des douze apôtres en or et pas mal d’autres broutilles, comme nous l’avons déjà évoqué. Mais nous avons la croix du Serment et le glaive de licorne qui sont deux des pièces principales, et s’il ne les voit pas…
— Pas d’illusions, Professeur ! Il faudra se battre et, pour ce faire, emporter des armes. Cela nous permettra de voir de quel côté se rangera le traître.
— Si j’étais lui, je ne me montrerais pas et j’enverrais à ma place un beau certificat médical me déclarant atteint d’une quelconque maladie contagieuse…
— … qui le désignerait du même coup à la vindicte publique ! conclut Aldo.
— Ce que je voudrais savoir, reprit Adalbert, c’est si ceux de vos compagnons qui ont accepté de livrer le trésor acceptaient aussi le combat ?
— Sans l’ombre d’un doute ! Je vais même vous dire mieux : ceux qui ont refusé en feront tout autant ! Jamais un vrai Comtois n’a renâclé devant une bonne bagarre, et ils s’attendent à ce que je les prévienne dès que je saurai où est le rendez-vous. Il ne nous reste donc qu’à attendre.
C’était l’évidence ! Comme aussi qu’il était affreusement tard et que, le sommeil apportant conseil, il était plus que temps d’aller dormir. Pour Adalbert qui s’endormait à volonté, cela ne posait aucun problème, mais tout ce que pouvait espérer son « plus que frère », c’était que, une fois étendu dans son lit, ce vieux Morphée le prenne en pitié…
Ce qu’il ne manqua pas de faire, le retour tellement inattendu de Plan-Crépin lui ayant apporté un profond soulagement. Pourtant, le lever du jour et, surtout, l’arrivée du courrier pendant que les hommes de la maison étaient réunis pour le petit déjeuner firent envoler ce merveilleux bien-être. Il y avait pour lui une lettre de Guy Buteau s’inquiétant de le voir prolonger ses « vacances » en France :
« Vous savez combien je suis fier et heureux de la confiance totale que vous me montrez, mon cher Aldo, mais vous n’êtes pas sans ignorer que certains de vos clients ne veulent avoir affaire qu’à vous seul, quelle que soit cette même confiance que vous déclarez hautement me porter et qui me comble de joie. Et ne parlons pas de Pisani ! Le Señor Montaldo en est l’exemple typique. Or, il annonce sa venue pour le 24 courant, et si vous ne pouvez être là, je crains que nous ne perdions en lui un client de choix… Ce qui serait vraiment dommage puisque c’est à lui que vous destinez les fabuleuses émeraudes Several sachant qu’il les paiera cash ce qu’elles valent sans même bouger un cil ! Ne pouvez-vous revenir au moins pour ce jour-là ? Côté géographie, nous ne sommes pas si loin !… Surtout si M. Kledermann pouvait se charger de vous transporter. C’est, vous le savez, un cas de force majeure. Pisani et moi pouvons régler les autres affaires, mais si vous n’êtes pas présent pour le recevoir, le Señor Montaldo, qui est toujours fort pressé, nous montrera ses grandes dents jaunes et tournera les talons en mâchonnant d’incompréhensibles jurons péruviens, après quoi la terre entière retentira de ses griefs contre nous et… »
— M… !… M… ! Et M… ! rugit Aldo en chiffonnant la lettre dans son poing pour appliquer le résultat sur la table, dont la vaisselle sursauta ainsi que les deux hommes qui se sustentaient avec lui.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Adalbert en abaissant le journal qu’il était en train de parcourir, tandis que Lothaire prenait aussi connaissance de son propre courrier.
— Nous sommes le combien ?
— Le 22 mai ! répondit Lothaire. Vous avez un problème ?
— Plutôt, oui ! Il se trouve que… oh, et après tout, lisez donc, il n’y a aucun secret là-dedans ! fit-il en défroissant vaguement la lettre avant de la lui tendre, cependant qu’il mettait Adalbert au courant oralement…
Au même moment, Gatien entra, portant, sur un petit plateau d’argent, un papier bleu qu’il présenta à Aldo :
— Un télégramme pour Monsieur le prince !
— Merci !… Dieu du Ciel ! Et ça vient de Venise !
« Vous pouvez venir ou pas ? Sinon, téléphonez. Client avance arrivée 24 heures. »
Pour la première fois de sa vie, Morosini piqua une verte colère contre l’homme qu’il aimait le plus au monde !
— Tonnerre de Dieu ! Il ne pouvait pas envoyer sa foutue lettre plus tôt ? Cela m’aurait au moins permis d’alerter mon beau-père, de faire l’aller-retour dans la journée de demain et ne changerait rien au programme d’aujourd’hui !
— Qu’est-ce qui t’empêche de l’appeler maintenant ?
— Encore faudrait-il savoir où le joindre ? Je ne sais pas si tu as remarqué mais il a la bougeotte ces temps-ci ?
— Commence par Zurich ? Son secrétaire pourra te renseigner.
— À condition qu’il le sache !…
— Réfléchis un peu ! Kledermann est à la tête d’une énorme affaire de banque ! Il ne peut pas disparaître sans prévenir.
— Merci !
Le dernier mot s’adressait à Lothaire qui venait de décrocher le téléphone pour le lui tendre :
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