— Les abords du puits aussi, j’imagine ? D’autant qu’il ne doit pas y faire très clair ?
Lothaire en convint, ajoutant que lui-même se sentait mal à l’aise dans la sombre forteresse.
— Ce qui ne rendait pas mes timides recherches plus faciles ! Et je dois vous faire un aveu, Morosini : quand je vous ai invité à venir fêter notre Tricentenaire, j’ai évoqué un « trésor »…
— … dont j’ai vite compris que vous aviez surtout envie de me passer au crible afin de voir si je n’en saurais pas un peu plus sur le sujet, rassura Aldo avec un large sourire.
— Et vous ne m’en voulez pas ?
— Pour quelle raison ? Tous les collectionneurs se comportent ainsi quand ils rencontrent un confrère. En outre – du moins pour moi ! –, l’amitié c’est comme la mayonnaise : ça prend tout de suite ou c’est sans espoir ! De toute façon, j’en pensais tout autant en acceptant votre invitation. Avec d’autant plus d’enthousiasme que, comme je vous l’ai dit, je n’étais jamais venu ici. Donc nous sommes quittes !
— Et moi je suis la cerise sur le gâteau puisque nous parlons cuisine ! conclut Adalbert.
Cette mise au point allégea la tension qui régnait dans le véhicule car, de quelque côté que l’on se tournât, on arrivait dans un mur. Il fallait trouver, soit le moyen de le contourner, soit lui rentrer dedans, mais il y avait gros à parier que c’était la seconde option qui l’emporterait. Le reste du trajet se fit en silence.
— Que va-t-on dire à nos dames ? s’inquiéta le Professeur.
— Tout… et dans les détails, conseilla Aldo. D’abord, leur tête est solide sur leurs épaules et elles sont de trop bon conseil.
Quand ils arrivèrent au manoir, qu’ils supposaient plongé dans l’obscurité, ils furent surpris de le voir éclairé de la bibliothèque à la salle à manger, et plus encore de rencontrer, dans le vestibule, un Gatien épanoui au-dessus d’une tarte couronnée de crème fouettée. Il leur adressa un sourire rayonnant, tout à fait incongru.
— Ah, Messieurs, quel bonheur ! Il y a vraiment de braves gens dans notre beau pays !
Et s’engouffra dans la salle à manger.
— Il est fou ? hasarda Lothaire. Nous n’avions pas d’invités prévus pour ce soir ? Sinon…
— Et si on y allait voir ? proposa Aldo, emboîtant derechef les pas du majordome.
Ce qu’ils découvrirent commença par les pétrifier. Sous le regard hautain de Richelieu, quatre personnes étaient assises autour de la table, dressée visiblement à la hâte : deux qui « chipotaient » en buvant une coupe de champagne et deux autres qui dévoraient avec ardeur. L’une d’elles leur arracha une exclamation unanime :
— Plan-Crépin !
Déjà Adalbert s’était précipité, l’arrachait littéralement de sa chaise pour une sorte de pas de valse en lui appliquant un baiser sonore qui l’empourpra. Ce que voyant, Aldo la lui arracha pratiquement pour l’embrasser à son tour. Elle, cependant, riait et pleurait en même temps.
— Si vous étiez inquiète sur la réception que l’on vous réserverait, vous voilà fixée, commenta Tante Amélie. Maintenant, laissez-la finir son dessert et en plus reposez-la doucement. Elle a une entorse ! Puis vous pourriez remercier son sauveur !
Tout à leur joie de retrouver celle dont ils se souciaient tant, les « garçons » ne l’avaient même pas remarqué. Lothaire, lui, le connaissait et l’accolait à la mode paysanne avec un plaisir évident avant de faire les présentations :
— Voici mon ami Claude Bourdereau, le maître taillandier de Nans-sous-Sainte-Anne, que je n’ai pas vu depuis des années… bien qu’il ait été invité au Tricentenaire ! Il était malade, je crois ?… Malade ! Avec son gabarit ! je vous demande un peu !
Le personnage en question aurait pu, en effet, servir de publicité pour un produit de remise en forme… Taillé sur le même modèle que Lothaire, son visage de bon vivant disparaissait à moitié sous une végétation luxuriante : barbe imposante, moustache drue et sourcils foisonnant au-dessus d’un regard bleu qui regardait droit et pétillait volontiers comme à cet instant :
— C’est ma femme qui était malade ! Ça prouve seulement l’attention que tu apportes aux lettres qu’on t’envoie !
— Excusez-le, Claude, et moi aussi ! Il faut dire qu’à ce moment-là on vivait ici dans le plus profond délire, émit Clothilde… Elle se porte bien maintenant ?
— Je crois pouvoir vous assurer que oui ! répondit Marie-Angéline. Si j’en juge la façon dont elle m’a soignée. Je lui ai une infinie reconnaissance… comme à M. Bourdereau, d’ailleurs. Sans eux je ne sais pas ce que je serais devenue…
Ensemble, Aldo et Adalbert ouvraient la bouche pour libérer une foule de questions, mais Clothilde reprit :
— Un peu de patience ! Laissez-les terminer leur dessert, après on retournera au salon prendre le café ! Ensuite au lit !
— Ah, non ! protesta Adalbert. Je veux d’abord savoir ce qui s’est passé. Le plus gros, au minimum ! Sinon je ne pourrais pas dormir !
— Mais Monsieur Bourdereau a peut-être envie de dormir, lui ? s’inquiéta Mme de Sommières.
— Moi ? Pour une quarantaine de kilomètres ? Vous plaisantez ? Avec une ou deux tasses de café, je pourrais parler jusqu’à l’aube !
— Vous aussi, Marie-Angéline ?
— Oui, moi aussi. J’en ai tellement à vous raconter.
— Mais d’abord, demanda Aldo, qu’êtes-vous allée faire à Besançon ? Et pourquoi pas Pontarlier ?
— Pour que je ne sache rien de l’endroit où l’on m’emmenait. En quittant la gare on m’a mis des lunettes opaques, et la voiture a effectué plusieurs tours et détours avant de s’engager dans la bonne direction. Là-dessus, nous avons roulé environ deux heures !
— À peu près la distance jusqu’à Lausanne, grogna Lothaire. Et vous avez atterri où ?
— Nulle part ! C’est du moins l’impression que j’avais. Finalement, je me suis retrouvée dans une vieille tour ouvrant au rez-de-chaussée sur une espèce de cuisine qui empestait le chou mais ne devait pas servir beaucoup, une sorte de chambre et un hangar pour la voiture. Mais l’homme et la femme qui me gardaient ne devaient pas loger là !
— Comment le savez-vous ?
— Je ne l’ai su que quand je me suis enfuie. J’entendais bien la voiture aller et venir mais je croyais que la femme nommée Jeanne restait à demeure pour me surveiller. Et puis, voilà deux jours, je me suis aperçue que l’on m’avait purement et simplement abandonnée après m’avoir soigneusement enfermée, sans nourriture et sans eau…
Elle relata alors son évasion, sa joie de se retrouver à l’air libre puis son angoisse en se voyant perdue.
— Grâce à ma petite boussole, j’ai décidé d’aller vers l’est en espérant arriver à une frontière, mais la nuit tombait vite, j’avais faim et j’étais épuisée par mes efforts pour me libérer. Puis, à travers bois, j’ai entendu un cri d’appel et j’ai crié moi aussi en me précipitant à sa rencontre. Mes pieds se sont pris dans un obstacle – une racine je pense ! –, je suis tombée face contre terre et j’ai perdu connaissance.
— Comment avez-vous trouvé Bourdereau ? demanda Lothaire.
— C’est moi qui l’ai trouvée, relaya celui-ci. J’avais entendu son appel comme elle avait entendu le mien…
— Qui appelais-tu ?
— Je te le dirai plus tard ! Ne mélangeons pas les questions ! Elle était évanouie et la figure maculée de sang et de terre. Ce voyant, je l’ai rapportée à la cabane que je possède dans les bois et j’ai fait ce que j’ai pu pour la soigner. Elle semblait en si mauvais état qu’elle ne pouvait pas rester là, aussi je l’ai mise dans ma charrette et ramenée à la maison où Angèle s’est occupée d’elle.
— Vous avez appelé un médecin ?
— Ce n’était pas nécessaire. Mon épouse en sait presque autant qu’eux. D’ailleurs, tu n’as qu’à voir ! Sa figure que l’on a lavée est moins enflée, sa jambe convenablement soignée et bandée ! Tiens, j’ai apporté un pot du liniment dont Angèle se sert, et dans quelques jours on n’en parlera plus ! Je peux avoir encore un peu de café ?
— Cela ne va-t-il pas vous empêcher de dormir ? s’inquiéta Clothilde.
Il lui offrit un large sourire :
— Rien ne peut m’empêcher de dormir quand je l’ai décidé ! Et je n’ai pas besoin non plus de réveille-matin ! Et puis, vos lits sont si confortables, Clothilde.
— Aussi va-t-on transporter Marie-Angéline dans le sien…
— Je m’en charge ! clama Adalbert. M. Bourdereau a fait plus que sa part, il me semble ?
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Il enleva Marie-Angéline aussi aisément que si elle avait été une plume et, suivi de Clothilde et de Tante Amélie, se dirigea vers l’escalier avec un tel enthousiasme que son fardeau protesta :
— Inutile de me secouer comme un prunier, Adalbert ! Je ne suis pas en train de retomber dans les pommes !
— C’est la joie de vous avoir retrouvée ! Vous n’imaginez pas combien je suis heureux, ma chère ! D’ailleurs, nous le sommes tous !
— Aldo aussi ?
— Pourquoi pas ? Ah ! Pour votre… larcin ? Vous devriez le connaître mieux ! Ce qui compte, c’est que l’on vous ait récupérée.
Ils s’engouffrèrent dans une chambre dont Clothilde venait d’ouvrir la porte devant eux et ne remarquèrent pas qu’une autre, entrebâillée, se refermait doucement. Seule Mme de Sommières qui était derrière eux s’en aperçut, mais passa son chemin comme si elle n’avait rien vu.
Cependant, restés entre eux autour d’un dernier verre, les hommes essayaient d’en savoir davantage :
— Qu’est-ce que c’est que cette tour où elle était enfermée ? s’interrogea Lothaire. Pourtant, je connais bien notre région mais je ne la situe pas. À qui appartient-elle ?
— On n’en sait trop rien et j’avoue que je l’avais oubliée parce qu’elle est perdue en plein bois et qu’on ne passe autant dire jamais par là. Et puis… elle a mauvaise réputation.
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