Quand ce fut fini, Mme de Sommières arrangea les oreillers, tira draps et couvertures afin d’en chasser les dernières miettes et s’installa dans son fauteuil de façon à bien voir Marie qui semblait s’être détendue. Au point même de battre des paupières, ce qui laissait supposer qu’elle allait peut-être s’endormir. Il n’y avait pas de temps à perdre ! Aussitôt elle passa à l’attaque, en la masquant toutefois d’une enveloppante douceur :
— Et maintenant, si nous parlions un peu à cœur ouvert, Marie ?
— De… de quoi ?
— Mais de votre avenir, ma petite : un avenir qui ne saurait se limiter aux murs de cette chambre.
— Oh, je sais ! On ne me permettra pas de rester ici longtemps !
— Quelques jours au moins, et vous n’imaginez pas le bénéfice que l’on peut tirer de quelques jours utilement employés !
— Vous croyez ?
— Mais naturellement, sinon je ne serais pas là. Mais revenons à vous et surtout à ce mariage qui semble à l’origine de vos malheurs involontaires ou volontaires. Au départ, les gens du pays – et nous avec – nous partagions en deux clans : ceux qui étaient persuadés que ce mariage vous satisfaisait pleinement compte tenu de la réputation de… disons, de charme dont on crédite, chez les dames, le baron Karl-August von Hagenthal en dépit de son âge.
— Je ne vois vraiment pas ce que l’on peut lui trouver de charmeur ! D’abord il a plus du double du mien, et ensuite il m’agace tant il est content de lui !
— Bon. Voilà une chose établie ! Passons à la suivante ! L’autre partie du chœur antique proclame votre préférence pour son fils, Hugo, et je ne vous cache pas que je rejoindrais aisément cette opinion. D’abord parce qu’il est son fils – donc beaucoup plus proche par l’âge ! –, sans oublier cette aura de mystère dont il s’entoure, ajoutée à la sympathie dont il semble jouir dans la ville aussi bien qu’à la campagne. Et je ne vois pas pourquoi votre père lui préférerait le sien. C’est le héros romantique dans toute l’acception du terme et… qu’une jeune fille en fasse le prince de ses rêves me paraît normal !
— C’est d’autant plus vrai qu’un moment j’ai pensé à lui, mais cela n’a pas duré. Quand on le rencontre, il a toujours l’air de regarder ce qui se passe au-dessus de votre tête ! En fait, c’est comme si on n’existait pas pour lui.
La marquise retint un sourire. Cette gamine que l’on avait peut-être un peu trop tendance à déclarer sotte et insignifiante se révélait plus intelligente qu’elle ne le semblait.
— Mais si vous n’aimez ni l’un ni l’autre, alors que votre propre cœur ne vous appartient plus, il faut que ce soit un troisième, comme aurait dit M. de La Palice ?
— Assurément !
Marie reprit un morceau de mille-feuille et entreprit de le déguster avec un plaisir évident. Mme de Sommières l’observa un instant sans rien dire et la laissa terminer. Pendant ce temps, elle se resservait un peu de chocolat, le trouva pâteux, parce que refroidi, et regretta de ne pas avoir l’un des « garçons » sous la main pour lui emprunter une cigarette, puis finalement soupira :
— Dieu sait que j’aimerais vous venir en aide, ma chère petite, mais comme, à l’exception du sous-préfet, du capitaine Verdeaux et, bien sûr, de notre hôte commun, je ne connais autant dire personne dans le pays, je cherche en vain ce que je pourrais faire ? Mademoiselle Clothilde vous serait sans doute d’un secours plus efficace. Et c’est peut-être en pensant à elle que vous avez choisi sa porte comme point de chute, si j’ose dire ? À moins… que son frère ne soit le héros de vos pensées. Ce que j’ai peine à croire !
La suggestion ayant arraché un bref éclat de rire à la jeune fille, la marquise se méprit sur sa signification :
— Ce serait… lui ? souffla-t-elle, éberluée
— Non, tout de même !…
Puis, détournant la tête afin de poursuivre une miette de gâteau du bout de sa fourchette, Marie toussota et lâcha :
— J’avoue pourtant qu’en choisissant cette belle maison j’avais une idée derrière la tête.
— Vous confier à Clothilde ?
— Pas… pas vraiment !… Mais peut-être une tentative auprès de vous, Madame… Vous avez si gentiment proposé de venir à mon secours qu’après ce que j’ai fait je me dois d’en saisir l’occasion. Vous le connaissez mieux que quiconque, celui auquel je pense ! ajouta-t-elle dans un murmure. N’appartient-il pas à votre famille ?
« Miséricorde ! pensa Tante Amélie, accablée par ce nouveau coup du sort. Aldo ! Il a une fois de plus exercé des ravages susceptibles de déchaîner Dieu sait quelles catastrophes ! Il ne manquait plus que cela ! Il faut pourtant que je lui réponde quelque chose ! »
Toussotant à plusieurs reprises pour s’éclaircir la voix, elle reprit :
— Comment est-ce possible ? Vous ne l’avez autant dire jamais rencontré, et ce n’est pas le soir du bal où vous avez reçu un accueil plus que désagréable que vous avez pu concevoir ce… ce sentiment !
— Oh, non ! Mais Pontarlier est une petite ville, vous savez, et, sans qu’il le sache, je l’ai aperçu assez souvent pour ne garder aucun doute : je l’aime, voilà ! conclut-elle avec simplicité.
— Mon Dieu… Vous devriez comprendre qu’il m’est impossible de vous aider ? D’abord, vous n’ignorez sûrement pas qu’il est marié, père de famille de surcroît et que…
— Oh, non ! s’écria Marie. Vous faites erreur ! Il ne s’agit pas du prince Morosini, bien qu’il soit très beau et plein de charme. À vous confier la vérité, il aurait plutôt tendance à m’impressionner ! Et puis, il nous a si mal traités quand nous sommes arrivés à la fête.
— Ce n’est pas lui ? Mais alors…
— Si ce n’est lui c’est donc son frère ! fit en souriant Marie qui, apparemment, connaissait ses classiques. Mais gardez-moi le secret, je vous en supplie ! Au moins pour le moment ! Il me faut d’abord en finir avec cette grotesque affaire de fiançailles. Il faudrait peut-être le lui dire !
— À qui ? balbutia Mme de Sommières, qui sentait le sol se dérober sous ses pieds.
— Mais à lui, voyons ! Cet homme merveilleux. Comme il n’est plus très jeune, il ne doit pas imaginer qu’une fille comme moi puisse l’aimer. Mais vous, Madame, vous comprenez, n’est-ce pas ?
— Oh… tout à fait !
En réalité, elle s’efforçait de réfléchir à grande vitesse sur ce nouvel avatar qui lui tombait sur la tête. Non qu’elle soit surprise qu’Adalbert puisse faire des ravages dans un cœur aussi juvénile, mais il était plus que probable que cela n’allait pas simplifier les relations. Il était établi une fois pour toutes qu’Hugo et son père se disputassent les pensées et la main de la charmante Marie. Or, que celle-ci ne soit pas d’accord et songe même à rompre ses fiançailles, à deux doigts du mariage, lui faisait passer dans le dos des frissons glacés… Et pour quelle raison !
Marie cependant insistait :
— Vous me garderez le secret, n’est-ce pas, Madame ?
— C’est selon ! Comment comptez-vous vous en sortir alors que votre mariage est imminent ?
Marie prit un air concentré :
— Eh bien, d’abord je vais essayer de rester ici le plus longtemps possible ! Celui que j’aime…
— Appelez-le Adalbert ! Ce sera plus court !
— Oh, naturellement ! C’est un si beau nom ! Adalbert, donc, reprit-elle en rougissant furieusement, n’imagine sans doute pas les sentiments qui m’animent, et il serait peut-être préférable qu’il l’apprenne suffisamment tôt pour que nous accordions nos violons et puissions affronter, main dans la main, la colère de mon père – qui se calmera étant donné qu’il s’agit d’un homme illustre ! –, mais surtout le ressentiment de Karl-August. Il ne faudrait pas que cela se termine par un acte de violence comme un duel par exemple.
Le mot sortit la marquise de l’espèce de léthargie dans laquelle la plongeaient les plans d’avenir de cette jeune bécasse, car, il n’y avait plus l’ombre d’un doute sur la question : c’en était une, et des plus réussies. Aussi, après avoir examiné l’idée de lui appliquer quelques bonnes claques pour lui remettre la tête à l’endroit, elle choisit d’entrer dans son jeu :
— Le problème que posent les mouvements de votre cœur est plus ardu que vous ne le supposez ! Pardonnez-moi de le souligner, mais il serait peut-être plus sage de tenter de savoir ce que l’intéressé pense de vos sentiments ?
— Oh, fit-elle sans modestie excessive, il devrait en être agréablement surpris ! Je suis jeune alors qu’il a atteint l’âge mûr. En outre, je suis plutôt jolie, n’est-ce pas ? Enfin habituellement !
Tout en parlant, Marie examinait avec complaisance sa main gauche ornée du saphir des fiançailles. Mme de Sommières assena :
— Personne ne dit le contraire, et c’est visiblement ce que pense l’homme qui a glissé cette bague à votre annulaire. Aussi, avant de vous engager dans une nouvelle aventure matrimoniale…
— Vous pensez qu’Adalbert me demandera d’être sa femme quand il saura ?
— Comment voulez-vous que je vous réponde ? Bien qu’il me soit cher, à égalité avec mon neveu Morosini, j’ignore tout de sa vie sentimentale… À présent laissez-moi aller au bout de mon propos ! Je disais qu’il était important de vous libérer d’une chaîne avant d’en chercher une autre, qui est plus qu’aléatoire ! Adalbert est ce que l’on appelle un célibataire endurci…
— Ce sont ces hommes-là qui font les meilleurs maris !
Cette fois, la patience de la vieille dame était usée jusqu’à la corde :
— Allez-vous me laisser parler, oui ou non ?
— Euh… oui !
— Parfait ! Commencez donc par mettre de côté vos jolis rêves et laissez agir le temps ! Les miens et moi sommes ici afin de trouver une solution à un grave problème dans lequel les orgues nuptiales sont hors de saison, parce qu’il s’agit de vie ou de mort. Alors, ne faites rien, ne dites rien jusqu’à plus ample informé ! Pour le moment, soignez-vous et surtout restez tranquille !
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