— … et notre marquise, laquelle doit être ravie de l’avoir pour lui tenir compagnie.

Naturellement, ils avaient raison tous les deux !


1 Il y a deux ou trois ans, le roi Juan Carlos d’Espagne a conféré le prestigieux collier au président Nicolas Sarkozy pour l’aide apportée à l’Espagne contre l’ETA. Le collier fera retour à Madrid à sa mort, et l’actuel occupant de l’Élysée n’y a aucun droit.

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Les « confessions » de Mme de Sommières

Le lendemain matin, tandis que les hommes s’en allaient veiller à la bonne mise en place de la nouvelle campagne d’affichage, Mme de Sommières décida qu’il était temps pour elle d’abandonner son rôle de spectatrice passive, afin de prendre sa part d’une histoire qui commençait à l’agacer prodigieusement. Son départ rocambolesque de Paris lui avait donné l’espoir que l’on mènerait les choses un peu rondement.

Au lieu de cela, on causait beaucoup, on réunissait des renseignements sur tout et n’importe quoi, on émettait des hypothèses que l’on s’efforçait de vérifier mais qui toutes tombaient les unes après les autres. Le résumé de tout cela était que Plan-Crépin avait maintenant disparu depuis une semaine et que l’on n’en savait pas plus… ou, du moins, son entourage ne lui en disait pas davantage. Sans doute dans les meilleures intentions du monde, afin de la « ménager », une expression qui avait de don de lui taper sur les nerfs parce que, justement, elle avait celui de démolir son moral en lui faisant toucher du doigt, jour après jour, à quel point son « fidèle bedeau » lui manquait ! Avec celle-là au moins, on ne l’obligeait pas à porter son âge en bandoulière. Sa devise à elle étant en quelque sorte : « Bombez le torse, droit sur l’obstacle, toujours au premier rang ! » Or, on en était bien loin !

Aussi, le petit déjeuner avalé, elle monta revêtir un ample manteau de pluie à capuchon – depuis minuit environ, une fidèle copie du crachin breton avait entrepris de noyer le paysage –, enveloppa sa tête d’une écharpe de mousseline, s’arma de son parapluie et, enfilant ses gants, se disposait à quitter le manoir quand Clothilde surgit des cuisines, un papier à la main. Et naturellement s’étonna :

— Mon Dieu ! Mais où courez-vous si tôt et par ce mauvais temps ?

— À l’église simplement ! Je voudrais parler à l’abbé Turpin. Cela ne vous contrarie pas, j’espère ?

— Me contrarier ? Oh, que non ! Bien au contraire ! C’est la bonté même cet homme-là ! Ce qui m’ennuie surtout, c’est de vous voir sortir sous cette pluie. Voulez-vous que je vous accompagne ?… Non, vous n’y tenez pas ? ajouta-t-elle presque aussitôt. Il est des moments dans la vie où l’on éprouve le besoin d’être seule !

Sans commenter, Mme de Sommières se pencha pour poser un baiser léger sur sa joue. C’était décidément une fille selon son cœur !

Une fois dehors, elle constata que le ciel avait cessé de larmoyer et, au lieu de le déployer au-dessus de sa personne, employa son parapluie en guise de canne, ce dont elle obtint un supplément d’assurance.

Quand elle parvint à l’église, la messe matinale s’achevait et elle alla s’agenouiller au plus près de la sacristie pour y attendre la bénédiction finale, sans prêter attention aux quelques fidèles qui se trouvaient là. Avec l’impression bizarre de se glisser dans la peau de Marie-Angéline. Cela tenait sans doute à cette sensation de paix qui l’envahit et dont elle ne se souvenait pas de l’avoir éprouvée… sauf peut-être une seule fois, à la messe de minuit de Saint-Augustin, quand, ravagée d’angoisse pour Aldo, elle s’était agenouillée à même le dallage et, éprouvant quelque difficulté à se relever, elle avait senti la main solide d’Adalbert l’aider à se remettre sur pied !

Cette belle vieille église de campagne lui convenait parfaitement avec son magnifique retable doré aux naïfs personnages. Certains ressemblaient à l’abbé Turpin qui, à cet instant, se retournait pour bénir la poignée de courageux qu’un temps humide ne rebutait pas, assidus sans doute comme l’était Plan-Crépin à sa messe de six heures à Saint-Augustin d’où elle ramassait, il est vrai, une foule de renseignements sur les potins du quartier Monceau. Ce qui n’était évidemment pas le cas dans ce pays de montagne.

Après avoir dispensé sa bénédiction, l’abbé retournait vers la sacristie précédé de l’unique enfant de chœur, lorsqu’il remarqua sa présence, leva un sourcil interrogateur, répondit en hochant la tête à sa muette prière, après quoi il lui fit signe de demeurer où elle était. Deux ou trois minutes plus tard, il la rejoignait et, pensant sans doute qu’elle était restée à genoux assez longtemps, la fit asseoir et s’installa à ses côtés :

— J’ai cru comprendre que vous désiriez me parler… sans témoins, ce qui n’est pas évident au manoir où, à longueur de journée, on entre et on sort comme dans un moulin ?

— En effet, mais notre chère Clothilde est la délicatesse même…

— Et vous a laissée venir seule ! Alors, profitons-en ! Que puis-je pour vous, en dehors de mes prières pour le retour prochain de Mlle du Plan-Crépin ?

— M’obtenir un entretien avec Hugo de Hagenthal ! Pour vous avoir vus ensemble, je sais que vous êtes liés d’amitié.

— C’est peu de le dire ! Sous des dehors facilement arrogants derrière lesquels il s’abrite, c’est un homme foncièrement malheureux et…

— Je m’en doutais mais je vous supplie de croire je ne n’ai nulle intention d’ajouter à ses tourments, quels qu’ils soient… Seulement il a promis à mon neveu de faire de son mieux pour retrouver Marie-Angéline, et je voudrais savoir s’il a réussi à apprendre quelque chose ?

— Je sais qu’il a vu son père mais il ne m’a pas confié comment cela s’est passé entre eux. Je redoute pourtant que la réponse ne nous soit venue hier sur ces affiches délirantes que l’on a placardées quasiment partout dans la ville et ses entours !

— Elles ont sans doute été enlevées à l’heure qu’il est…

— Mais je crains que le mal qu’elles ont suscité ne soit rédhibitoire. Il n’est jamais bon d’éveiller les mauvais penchants qu’abrite parfois l’âme de gens à la conduite par ailleurs digne d’éloges !

— Sur ce sujet, je peux vous dire que ces torchons doivent être remplacés à cette heure – ou vont l’être en cours de journée – par d’autres dont les injures auront disparu, avec, à la place, une offre de prime de vingt mille francs à qui la ramènera vivante. Rien dans l’autre cas !

L’abbé ouvrit de grands yeux :

— Il est certain qu’une telle somme a de quoi faire réfléchir, sinon rêver !

— Nous en donnerions plus encore pour être sûrs de la retrouver vivante, mais le temps passe et rien ne vient ! Rien ne bouge surtout, et c’est ce qui m’effraie parce que je redoute de voir ce drame étouffé lentement par le silence. Ni mon neveu, ni son ami ne peuvent s’installer ici à demeure. Ils ont leur vie à eux, occupée ô combien  ! Moi, évidemment, je suis libre de rester en attendant d’aller la rejoindre si elle a quitté ce monde ! Ma vie est derrière moi mais je refuse jusqu’à l’idée de me rendre sans combattre, et il faut que je fasse quelque chose. Mais quoi ?

— Attendons déjà ce qui va découler de ces nouvelles affiches ! C’est peut-être une arme à double tranchant ! Nous pouvons nous attendre à être noyés sous une avalanche d’informations plus ou moins fiables qui nous enverront aux quatre coins de la Comté à la chasse au fantôme ! Mais n’avez-vous pas, parmi vos amis, le grand patron de la police ? Qu’en pense-t-il ?

— Rien pour l’instant ! Je sais qu’il ne nous oublie pas mais il est aux prises avec cette histoire de terrorisme qui fait la une de tous les journaux. Je ne suis même pas certaine que les inspecteurs Lecoq et Durtal soient encore à Pontarlier. On ne les aperçoit plus !

L’abbé Turpin ne put s’empêcher de sourire :

— Vous ne me ferez pas croire, Madame la marquise, qu’il vous faut voir la police s’agiter pour être convaincue de son activité ? Ce serait un peu… simple, non ?

— Pour ne pas dire stupide ! N’ayons pas peur des mots ! Il n’empêche que j’en reviens à mon premier propos : je souhaite toujours autant m’entretenir avec Hugo de Hagenthal !

— Je suis là, Madame !

Il y était en effet, et ni l’un ni l’autre ne l’avait vu ou entendu venir. Naturellement sombre avec ses murs épais et les ouvertures étroites que nécessitaient les hivers rudes, l’église, par mauvais temps comme ce matin, générait plus d’ombres que de lumières, et le long manteau noir de l’homme lui permettait de s’y confondre. Il s’inclina légèrement devant elle :

— Me voici, puisque vous désiriez me voir, mais je ne suis pas certain de pouvoir vous apporter une aide quelconque. J’ignore – j’en fais le serment ! – où se trouve Mlle du Plan-Crépin !

Mme de Sommières considéra un instant le visage – plus impressionnant que vraiment beau en raison de l’espèce de majesté qu’il dégageait. Seulement, aucune tête – couronnée ou non – n’était capable d’en imposer à « Tante Amélie » :

— Et cela vous suffit ? dit-elle.

— Bien obligé de m’en contenter puisque je n’ai relevé sa trace nulle part !

— Encore faudrait-il l’avoir cherchée ? Cela signifie quoi, pour vous, ce nulle part ?

— Partout où je pensais avoir une chance de la situer ! Cela allait du couvent des Annonciades au château de Granlieu chez le baron von Hagenthal !

— N’est-il plus votre père ?

— Il l’est selon la chair, ce que je n’ai cessé de déplorer, mais pas selon le cœur ! Même si je ne cesse d’en demander pardon au Seigneur-Dieu, je hais mon père et n’y peux rien !

— Je n’aurai pas l’outrecuidance de vous demander pourquoi : cela ne me regarde en aucune façon…