— Vous n’aviez pas tout à fait tort. Non seulement vous méritez largement votre réputation, mais vous êtes une mine de renseignements. D’autre part, je ne vous ai pas menti en disant que j’étais persuadé de la présence d’une partie non négligeable, peut-être, du fameux trésor disparu après Grandson et Morat. Et j’ai pour cela la meilleure des raisons !
— Vous en avez trouvé des traces ?
— Il se pourrait, mais, si vous le permettez, nous en reparlerons, seul à seul, plus tard… Je sais maintenant que l’on peut vous confier tous les secrets…
— Et pas à Vidal-Pellicorne ?
— Si, évidemment, puisque vous êtes inséparables et qu’il est votre autre vous-même, mais, par exemple, je ne souhaite pas que ma sœur l’apprenne ! Simplement parce que je tiens à protéger son repos. Elle est le seul être que j’aime en ce bas monde.
— Merci de votre confiance ! Elle m’encourage à vous poser deux questions. La première est : d’où vient cette étrange ressemblance entre Hugo de Hagenthal et le Téméraire ?
— Ah ça, voilà des années que je me la pose, et sans jamais obtenir de réponse entièrement satisfaisante. La loi de Mendel, certes… Encore qu’après plusieurs siècles… Une des maîtresses du duc Philippe, mais il y a aussi le côté portugais qui, lui, ne s’explique pas, la duchesse Isabelle, mère de Charles, ayant été d’une vertu sans faille !
— Alors, un caprice de la nature ?
— Je ne vois pas d’autre explication ! Avec elle, on ne sait jamais…
— De toute façon c’est un problème secondaire. Ce que je voudrais savoir c’est où il est passé ? Cela nous donnerait au moins une chance de retrouver Marie-Angéline… puisque c’est lui qui l’a appelée !
— Non !… Non, ça vous n’arriverez pas à me le faire avaler ! Jouer sur les sentiments d’une pauvre fille pour sauver sa peau, ce ne peut être lui !
— Alors, dites-moi où il est ?
— J’aimerais pouvoir vous répondre… tout ce que je peux avancer c’est qu’il s’absente parfois pendant plusieurs jours sans informer personne du lieu où il se rend !
— Même à ses plus fidèles serviteurs ? C’est difficile à croire !
— Pas pour lui… ni pour eux ! Peut-être parce qu’ils n’appartiennent pas vraiment à notre temps ? Leurs relations ont une connotation… féodale !
— Ou alors il y a quelqu’un dans sa vie, qu’il entend préserver à tout prix !
— À qui pensez-vous ? Une femme ? Si c’était cela, il l’épouserait…
— Même si elle est mariée ?
1 À l’exception des palaces, le téléphone dans les chambres d’hôtel n’était pas encore généralisé.
3
Un homme d’un autre âge
En dépit du temps printanier à souhait qui régnait sur la région depuis une demi-semaine, du grand ciel bleu, sans un nuage mais traversé du vol rapide des hirondelles occupées aux minutieux travaux de leurs nids, bref, de ce superbe paysage étendu sous ses yeux, Aldo ne parvenait pas à se mettre à l’unisson. Il y avait cinq jours à présent que Plan-Crépin avait disparu sans que l’on réussît à relever la moindre trace. La dernière se situait dans la salle des pas perdus de la gare de Lyon où l’un des bagagistes l’avait remarquée à cause de son équipement quasi tyrolien : long loden vert sapin, feutre assorti, orné d’un petit blaireau et retroussé par-derrière façon Louis XI, sur un chignon jaune pâle, elle consultait l’affichage des départs de trains, une mallette déposée entre ses pieds… et son nez pointu était un peu plus conséquent que la normale. Mais ce n’était pas encore ça qui chamboulait Morosini et l’empêchait de jouir de ce temps délicieux, c’était ce que le patron de la Sûreté générale, son ami Pierre Langlois, était en train de lui confier au téléphone :
— Essayez de convaincre Mme de Sommières d’aller faire un tour dans l’un de ses châteaux familiaux : par exemple au Pays basque, chez Mlle de Saint-Adour…
— … on l’appelle Madame, rectifia machinalement Aldo. Elle est chanoinesse…
Naturellement la voix du policier enfla de plusieurs octaves :
— Vous croyez vraiment que cela présente quelque intérêt quand je vous dis que, selon moi, le quartier du parc Monceau me paraît suspect ? Ou alors si vous n’avez rien compris, allez me chercher Vidal-Pellicorne !
— Excusez-moi ! Je me fais tellement de soucis que j’ai tendance à percuter à retardement.
— Aussi, je répète ! Les jardiniers du parc, côté avenue Vélasquez, ont déterré, sous un massif de rhododendrons, le cadavre d’un serpent non venimeux, style couleuvre, mais d’une taille suffisante pour terrifier n’importe qui, et je suis persuadé que c’est la cause de l’arrêt cardiaque de la jeune Mme de Granlieu. Vous, je ne sais pas, mais moi je sais que si j’en voyais un surgir en pleine nuit au pied de mon lit, je serais capable d’un faire autant !
— Il est certain qu’il n’a pas dû atterrir là par l’opération du Saint-Esprit.. Mais si quelqu’un l’a apporté, pourquoi ne pas l’avoir remporté ?
— Je n’ai aucune réponse à cela. Quoi qu’il en soit, je serais beaucoup plus tranquille si vous consentiez à la convaincre d’aller respirer l’air pur de la campagne !
— Je croyais que vous pouviez assurer sa protection à cent pour cent ?
— Plusieurs affaires me tombent dessus et je ne peux pas déléguer en permanence deux de mes hommes ! Si ce n’est chez la cousine, elle pourrait aller à Rudolfskrone. On serait ravi de la recevoir !
— Sans aucun doute ! Et je pense qu’ici même…
— Je ne suis pas certain que ce serait une bonne idée dès l’instant où l’on ignore toujours où est Marie-Angéline !
Adalbert, qui s’était emparé de l’écouteur pour ne rien perdre de la conversation et, au besoin, y mettre son grain de sel, ouvrit des yeux ronds :
— Il l’appelle par son prénom ? chuchota-t-il. Un de ces jours il va demander sa main !
— Idiot ! souffla Aldo en protégeant le micro de son mieux. Ce n’est pas le moment de plaisanter !
— Dis-lui qu’on s’en occupe, qu’on le tiendra au courant, et raccroche ce machin ! Je vais filer la chercher. Cinq cents bornes ne sont pas la mer à boire, et Mademoiselle Clothilde a déjà réclamé sa présence. Maintenant, tu rappelles Tante Amélie et tu lui dis que j’arrive !
Au fond, c’était la meilleure solution, et Aldo discuta d’autant moins que, tandis qu’il attendait sa communication, Clothilde, à qui il convenait, au moins, de demander son accord, lui sauta littéralement au cou :
— Et moi qui n’osais pas vous le demander ! Elle… elle m’impressionne un peu, voyez-vous ! Je fais préparer tout de suite sa chambre !
Hélas ! Une heure plus tard, quand Aldo obtint la rue Alfred-de-Vigny, ce fut Jules, le concierge, qui lui répondit : Mme la marquise venait de partir, environ trente-cinq minutes plus tôt, accompagnée de Lucien, son chauffeur, parce qu’elle avait pris sa voiture !
— Partir ? Mais pour où ?
— Elle n’a pas voulu me l’apprendre parce qu’elle n’était pas certaine de la durée de son absence. Elle pourrait aussi bien revenir demain mais ne manquerait pas de nous le faire savoir si son séjour devait se prolonger ! C’est tout ce que je peux dire à Monsieur le prince et je le prie de croire que j’en suis désolé ! Mais Monsieur le prince connaît assez Madame la marquise pour savoir qu’il n’est pas toujours aisé de discuter avec elle.
— Oh, Dieu, non ! Et a-t-elle emporté beaucoup de bagages ?
— Une valise et un nécessaire de toilette !
— Bon ! Rappelez-moi quand vous aurez des nouvelles, mon pauvre Jules… Et ne vous tourmentez pas trop !
— J’essaierai, Monsieur le prince ! J’essaierai…
Téléphone raccroché, Aldo s’assit et alluma une cigarette, ce qui était, pour lui, le meilleur moyen de réfléchir. Là, il y avait du travail et il commençait à se sentir désorienté. Où pouvait bien aller Tante Amélie avec sa propre voiture : une Panhard et Levassor, vénérable quoique entretenue avec un soin extrême, et qui faisait tellement voiture de collection que l’on ne pouvait que l’admirer sans la moindre envie de rire. Pour passer inaperçue, ce n’était pas l’idéal, même si elle en imposait comme Tante Amélie elle-même… Voyageuse impénitente, « notre marquise », comme l’appelait Plan-Crépin, savait qu’il existait des moyens de locomotion infiniment plus rapides et plus discrets. Alors ?
Il alla en référer à Clothilde, déjà occupée à préparer l’appartement qu’elle lui destinait avec l’aide de deux femmes de chambre.
— Je crois, commença-t-il, que vous vous donnez du mal pour rien, Mademoiselle Clothilde. Il semble que Tante Amélie soit partie en voyage…
— Cela lui arrive souvent ?
— Assez souvent depuis que Plan-Crépin est avec elle, mais, en général, elle emploie du matériel plus moderne que son automobile qui est une vraie pièce de musée, et nettement plus de bagages. C’est même une grande voyageuse devant l’Éternel, mais où a-t-elle pu aller en pareil équipage ? Et Adalbert qui est parti la chercher ? Comme faire pour l’avertir ?
— Cela, je n’en sais rien, mais si vous voulez mon avis, autant le laisser continuer jusqu’au bout ! Sur place il trouvera peut-être la solution du problème ?
— Il est certain qu’il n’en est pas à cinq cents kilomètres près. Cela lui permettra en outre de faire un tour chez lui, de voir Langlois et de nous ramener peut-être une ou deux pistes…
— De toute façon, sa chambre sera prête et elle n’aura qu’à y prendre ses aises…
La laissant à ses devoirs de maîtresse de maison, Aldo descendit au bord du lac pour une lente promenade, qu’il entama, naturellement, en allumant une cigarette, mais pour s’apercevoir bientôt qu’elle ne lui apportait aucune détente. Il luttait, en effet, contre l’étrange impression d’être perdu, seul au bout du monde, sans plus savoir de quel côté se tourner.
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