— Un médecin de cette qualité c'est denrée rare à notre époque ! Que ne vient-il s’installer à Paris où nous n’avons guère que des charlatans ? Il ferait fortune !
— Peut-être ne le souhaite-t-il pas. Le roi Henri désirait se l’attacher mais il a refusé. Il se trouve bien où il est !
— Un homme exceptionnel en vérité mais je peux le comprendre. Son nom est...
— Le docteur Pierre Chancelier.
— Et où le trouve-t-on ?
La toute légère hésitation d’Hubert n’échappa pas à Clarisse qui se mit à rire.
— Voyons, Hubert, ne me dites pas que vous vous méfiez d’un du Plessis de Richelieu ?
— Non. Evidemment que non ! Il exerce à Senlis, qui est d’ailleurs domaine royal. Dès que Thomas sera revenu, je vous le ferai savoir, Monseigneur.
J’ajoute, afin que vous ne gardiez aucune incertitude sur sa personnalité, que vous pourriez demander... l'aval du colonel comte de Sainte-Foy qui commande les chevau-légers et qui connaît parfaitement mon fils !
— Ah, en effet ! C’est une caution plus que valable, un tel homme ! Bon, je pense que je vous ai suffisamment importuné et qu'il est temps pour moi de me retirer.
— Importuner ? Quel vilain mot, entre ces murs où vous n'avez que des amis, fit le baron avec une grâce inattendue. C'est à ce titre que j'oserai une question... à moins qu’elle ne vous contrarie ?
L’évêque eut un léger haut-le-corps cependant qu’une étincelle s’allumait dans son œil profond, mais il corrigea cette réaction d’orgueil par l’un de ses rares mais charmants sourires.
— Je ne vois pas pourquoi. Posez votre question, baron!
— Je vous remercie. A qui M. de Condé a-t-il porté sa plainte ?
— A Sa Majesté la Reine et Régente !
— Qui dit la Reine dit Concini ! Or, les échos de la guerre quasi ouverte que le prince mène contre le favori ne cessent de résonner jusqu’à ce château retiré. Lui faire plaisir doit être la dernière chose que souhaite le Florentin !
— Si vous me permettez d’être franc, je vous confierai qu’en ce qui me concerne je suis quelque peu revenu sur les fortes présomptions qu’il m’inspirait !
— Oh!
— Comprenez-moi ! Ce n'est pas... et de loin et même s’il en est persuadé, un homme d’Etat mais, étant donné son influence sur la Régente, c’est la seule carte que l’on puisse jouer pour barrer la route aux folles ambitions de Condé... Aussi préfère-t-on lui donner l’impression qu’on le tient en grande considération pour des affaires mineures.
— Mineures ? Mon honneur et la vie de mon fils ?
— Pardonnez-moi ce... lapsus ! Je veux dire des affaires qui ne tiennent pas à la sécurité du royaume. Elle est pour moi primordiale !... Quant au... maréchal d’Ancre, ce n'est qu’un beau garçon, un fat gonflé de son importance et qui n’a guère en tête que sa fortune, ses terres, sa puissance même si elle n’est qu’apparente. Tellement même qu’il songerait à se défaire de son épouse...
— Répudier la Galigaï ? Mais c’est à elle qu’il doit sa position ! C’est à elle qu’il doit tout ! Et pour quoi faire ?
— Il songerait à épouser une fille bâtarde du feu Roi !
— Mais il est fou ? s’écria Clarisse.
— S’il ne l’est pas encore, il le deviendra... et malheureusement le jeune Roi en qui je plaçais de grandes espérances semble décidé à ne jamais sortir de l’enfance ! Alors si l’on veut que le royaume soit gouverné par un autre que Condé, il faut diriger, sans trop en avoir l’air, cette marionnette surdorée de Concini. Surtout s’il n’obéit plus à ce que lui souffle une femme dont il ne veut plus et que, d’ailleurs, il voit de moins en moins souvent !
— Et la Reine ? Il la voit moins ? On le dit son amant et elle vieillit !
— Elle y tient et il le sait. Il se conduit au Louvre comme chez lui tandis que la Galigaï se retire de plus en plus souvent dans son hôtel de la rue de Tournon... A présent, souffrez que je vous laisse ! Je n’ai que trop tardé !
— Et pour ce qu’il en est de la plainte du prince de Condé ? S’inquiéta le baron Hubert.
— Elle tombe d’elle-même dès l’instant où vous pourrez présenter le jeune baron. Nombre de personnes le connaissent en effet ! Prévenez-moi quand il sera de retour. D’abord, j’aimerais le rencontrer et, ensuite, je souhaite beaucoup savoir ce qui s’est passé au juste à Condé-sur-l’Escaut. Car, enfin, il y a eu mort d’homme...
— Sans compter l’usurpation d’identité et quelques autres détails sûrement pleins d’intérêt !
On se sépara le plus courtoisement du monde, le baron ayant tenu à raccompagner lui-même son visiteur à sa monture et lui faire compliment de l’élégance avec laquelle il la faisait évoluer.
— Ah ! C’est que j’ai pris des leçons chez le célèbre Pluvinel où se pressent ceux qui veulent devenir de bons cavaliers ! Le jeune Roi y est assidu et le maître qui lui trouve d’heureuses dispositions lui a prédit qu’il serait sans doute possible le meilleur de son royaume. Cela ne suffit malheureusement pas pour en faire un vrai souverain mais ce n’en sera pas moins une belle image ! J’avoue que j’espérais mieux car je lui sais un courage hors du commun !
— Ce qui peut réserver des surprises ! De toute façon, Monseigneur, le royaume d’Henri IV ne saurait tomber au niveau d’un Concini ! Nous serions déshonorés à la face de l’Europe ! Un Condé serait à peine préférable, d’ailleurs, en dépit de son nom !
— Il en sera ce que le Ciel voudra !
Ayant dit, M. du Plessis de Richelieu fit volter son cheval, piqua des deux et sortit du château au grand galop. Songeur, Courcy le regarda disparaître puis retourna rejoindre ses « femmes » qu’il trouva en discussion animée. Pour sa part, Clarisse était rouge de colère.
— Depuis quand un prince de Condé se mêle-t-il de porter jusqu’au trône la revendication d’un de ses paysans ? Comme s’il s’en était jamais soucié !
— Il pense ainsi s’attirer la confiance du peuple et je ne suis pas certain que ce soit un aussi mauvais calcul ! répondit son frère. Comme il n’est pas intelligent, on peut se demander qui a pu le lui souffler !
— Quelqu’un qui nous déteste, soupira Lorenza. Oh, père, je ne serai vraiment tranquille qu’une fois Thomas revenu ici !
— Moi aussi, approuva celui-ci. Et j’ai une furieuse envie d’aller à Senlis le récupérer. Les dernières nouvelles étaient assez rassurantes pour que l’on nous confie, à nous, les soins de sa convalescence ! J’irai demain !
Mais il n’eut pas à se déranger. Peu avant midi, le matin suivant, Gratien arrivait porteur de la nouvelle tant attendue.
— Le docteur Chancelier invite Monsieur le baron à venir reprendre Monsieur Thomas à la fin de la semaine...
— Pourquoi pas tout de suite ?
— Afin qu’il en termine avec son traitement que lui seul peut appliquer mais il m’envoie aujourd’hui pour que la maison soit prête à le recevoir !
— Cela fait des mois qu'elle est prête ! Ronchonna Courcy. Et il le sait bien !
— Je crois, suggéra Gratien en regardant Lorenza, qu’il pense surtout à Madame la baronne. Il y a si longtemps qu’elle n’a vu son époux !
— Il a tout de même meilleure mine que lorsque je le lui ai laissé ?
— C’est sans comparaison !
— Eh bien, alors ? Sa mémoire est revenue ?
— Non, hélas... C’est pourquoi le docteur a pensé à une période de préparation et...
— Je vois ce qu’il pense, sourit la jeune femme. Dites au docteur que j’attends mon époux depuis le jour de son départ et que je l’aime assez pour prendre patience jusqu’à ce qu’il me rende le même amour...
Chapitre XII.
La maison des bois
Il avait beau faire un temps affreux - l’un de ces temps d’automne gris, tristes, froids et brumeux qui ne donnent guère envie de sortir mais au contraire de se pelotonner au coin du feu dans un bon fauteuil, les pieds sur les chenets, un verre dans une main et un livre dans l’autre -, le baron Hubert se sentait heureux comme il ne l’avait pas été depuis longtemps. Il voyait tout en bleu azur et, par la portière de son carrosse de voyage - abondamment garni de coussins car il avait jugé plus prudent pour son convalescent d’effectuer la route à l’abri et non à cheval ! -, il souriait aux arbres en train de perdre leurs feuilles, au ciel pleurard, aux maisons dont les toits dégouttaient d’eau, aux rares passants qu’il avait ordonné à Aurélien d’éviter d’éclabousser, enfin à tout ce qui faisait partie de cette belle journée qui lui rendait son fils !
Il avait eu un mal énorme à empêcher Lorenza de l’accompagner, mais à force d’arguments la jeune femme avait fini par comprendre que les retrouvailles seraient plus frappantes dans le cadre chaleureux du château et dans une jolie robe plutôt qu’abritée sous un capuchon dans une chambre, confortable certes, car Chancelier tenait à soigner ses malades dans les meilleures conditions, mais au décor beaucoup moins flatteur !
Midi sonnait à l’église de l’abbaye quand l’attelage à quatre chevaux bais suivi des six de son escorte s’arrêta devant la maison dans un assourdissant bruit de sabots ferrés, de sonnailles et de voix masculines qui attirèrent aussitôt au-dehors le visage de Godeliève.
— Monsieur le baron ? s’écria-t-elle. Mais je croyais...
Elle n’en dit pas plus long... Son maître la repoussait pour se porter au-devant du visiteur.
— Comment ? Vous n’êtes pas dans votre lit ?
— Comment ça dans mon lit ? En voilà un accueil ! Vous saviez pourtant bien que je...
— Venez ! dit le médecin en le prenant par le bras pour le faire entrer dans le vestibule.
Il avait pâli et Hubert, saisi d’angoisse, en fit autant. Sans le lâcher, il l’entraîna dans son cabinet et le poussa dans un fauteuil qu’Hubert quitta aussitôt.
"Le Couteau De Ravaillac" отзывы
Отзывы читателей о книге "Le Couteau De Ravaillac". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Le Couteau De Ravaillac" друзьям в соцсетях.