— Il y en a un autre plus loin ?
— Notre-Dame-de-Liesse près du château de Marchais qui appartient au duc de Guise dont Mme de Conti est la sœur, comme vous le savez... Ce sanctuaire-là est célèbre. Le feu Roi et la Médicis s’y sont rendus...
— Alors pourquoi ne m’y avez-vous jamais emmenée ?
— Toujours la même raison. Moins vous sortirez d’ici et mieux cela vaudra jusqu’à ce que Thomas nous soit rendu... où jusqu’à ce que nous sachions enfin qui se dissimule derrière Vitry !
— J’ai l’impression que nous ne le saurons jamais, fit-elle amèrement. Si la Galigaï est à ce point souffrante, je dois être le cadet de ses soucis.
Clarisse se garda sagement de dire qu'elle n’avait pas cru une minute à une aide quelconque de cette femme. Quant à Villars, ou il avait eu une chance inouïe, ou la reine Margot n’était pas si gravement atteinte !
— Voilà que vous mettez en doute la puissance de la Vierge Marie ? Ironisa Hubert. Vous n’allez pas tourner parpaillote au moins ?
— Cessez de proférer des âneries ! Ce que nous pouvons faire, tous les trois - vous aussi mon frère... et ne me regardez pas de cet œil torve ! -, c’est nous engager, entre les mains de notre père Fremyet, à prendre la route de Liesse pour rendre grâces quand Thomas sera revenu au foyer, avec ou sans mémoire ! J’avoue que je ne vivrai pas tant qu’il ne sera pas en sécurité sous nos solides murailles...
— Parce que vous croyez que je vis, moi ? Bien sûr que je le préférerais dans nos murs où nous pouvons aisément soutenir un siège, mais je vous rappelle que si je ne m’étais aperçu à temps de son état et si le Ciel n’avait mis sur mon chemin ce docteur Chancelier à qui je dois d’avoir gardé mes deux jambes, je ne l’aurais pas ramené vivant. Si vous voulez tout savoir, chaque fois que je vais me coucher j’enrage de ne pouvoir aller le récupérer ! Et plus encore de ne pouvoir agir en pleine lumière ! En d’autres temps, je fusse allé droit chez le Roi lui montrer ce qu’on a fait de mon fils !... D’ailleurs, avec notre Henri, il y a beau temps que l’affaire serait tirée au clair, en admettant qu'elle ait eu lieu parce que les archiducs auraient eu d’autres chats à fouetter qu’emprisonner des gentilshommes ! Mais bien qu’il ait atteint sa majorité et qu’il soit sur le point de se marier, notre jeune souverain ne se décide pas à grandir ! Il continue à jouer, à fabriquer des petits gâteaux et surtout à dresser des oiseaux de chasse en compagnie de son ami Luynes !
— Ne le lui reprochez pas ! dit Clarisse. Mal aimé ou pas aimé du tout d’une mère qui ne songe qu’à elle-même et à son cher Concini, le pauvre petit connaît au moins les joies d’une amitié quasi fraternelle...
— Avec un gentillâtre provençal alors qu'il est roi de France ?
— Pourquoi tant de dédain ? Ce garçon est beaucoup plus âgé que lui mais il lui adoucit la vie ! On verra ce qu’il en sera quand, après le mariage, ils reviendront de Bordeaux. Ce qui n’enlève rien aux regrets immenses laissés par le roi Henri.
— Mme de Verneuil elle-même les éprouverait, dit Lorenza. Enfin désabusée, elle aurait confié au prince de Joinville, d’après Mme de Conti : « Ah, si le petit homme était encore là, comme il prendrait le fouet pour chasser les galants et les marchands du temple ! »
— Il est bien temps de se lamenter après avoir tout fait pour le conduire au trépas ! Elle pleurerait des larmes de sang, celle-là, et ce ne serait pas encore suffisant ! Bougonna le baron. Et, à moins qu’il ne nous tombe quelque génie du Ciel, nous avons devant nous de longues années à être la risée de l’Europe - nous qu’Henri avait fait si grands ! - sous la férule d’un mirliflore gorgé d’or et d’une grosse dindonne vieillissante qui l’idolâtre, tous deux protégés par le manteau royal d’un gamin qui n’arrivera jamais à maturité ! Conclusion: la France est foutue !... Qu’est-ce qu’il y a, Chauvin, ajouta-t-il pour son majordome qui venait d’entrer discrètement. Avons-nous un message ? Il me semble avoir entendu le galop d’un cheval...
— Un message, non, Monsieur le baron. Une visite oui: Monseigneur l’évêque de Luçon demande si vous pouvez le recevoir.
— Oh oui ! s’écria Lorenza sans attendre l’agrément d’Hubert, ce dont elle s’excusa aussitôt mais elle était ravie de revoir le jeune prélat qui lui avait été si secourable au moment du procès d’Escoman.
Mais le baron ne s’en offusqua pas. Il se mit à rire.
— Vous avez entendu, Chauvin ? Introduisez !
Celui qui entra d’un pas rapide n’avait d épiscopal que la couleur des vêtements, justaucorps et chausses de drap violet disparaissant dans de hautes bottes de cavalier, ainsi que la plume du feutre gris comme les bottes et les gants à crispin. Sous le chapeau qu’il avait ôté pour le salut d’usage, il portait une calotte violette protégeant la tonsure.
— Que c’est aimable à vous, Monseigneur, d’avoir fait tout ce chemin pour nous voir ! dit Lorenza en s’agenouillant à demi pour baiser l’anneau d’améthyste, immédiatement suivie par Clarisse qui pensait que c’était fort dommage de faire d’Eglise un aussi séduisant cavalier.
— Pardonnez-moi, baron, et vous aussi Mesdames, d’arriver à l’improviste, mais je devais me rendre à l’abbaye de Royaumont et j’ai pensé pousser jusqu’ici. Je désirais vous parler et vous trouver tous trois ensembles m’enchante.
— L’accueil de ces dames vous montre à quel point ce plaisir est partagé ! Et nous sommes toujours d’accord, fit Hubert, courtoisement. Enfin... presque toujours, rectifia-t-il avec son sourire de faune. Holà, Chauvin !
Mais le majordome apparaissait déjà, portant sur un plateau d’argent des verres d’épais cristal, un flacon dans un rafraîchissoir et un plat de craquelins.
— Du vin de Chablis ! commenta le baron Hubert. Rien de mieux pour faire digérer les poussières de la route !... et boire à votre santé, Monseigneur. Bien que devenus campagnards, il nous est revenu par un ami - en fait il s’agissait d’une lettre de la princesse de Conti ! - qu’à la suite de ce magnifique discours prononcé par vous aux états généraux où vous étiez rapporteur du clergé, vous avez été nommé aumônier de Madame la Régente ? Une très bonne nouvelle en un temps où elles se font de plus en plus rares !
— En effet et j’en suis très heureux car j’espère, en veillant à la santé morale de notre souveraine, pouvoir être de quelque utilité dans un royaume où les choses ne vont pas au mieux ! Cependant, ce n’est pas de l’Etat dont je viens vous entretenir mais d’une affaire - désagréable, pardonnez-moi ! - qui vous touche de près.
— Nous ?
— Vous allez en juger. Le prince de Condé est venu porter plainte contre un coup de force commis par vous sur ses terres et plus exactement sur l’un de ses vassaux ! Vous auriez enlevé le neveu d’un certain Blaise, le nommé Colin, fiancé à sa fille Jeannette...
— Quoi ? Explosa Lorenza. Fiancé à...
— Paix, ma fille ! Intima le baron. Ce n’est qu’un détail sans importance. Ce qui en a, Monseigneur, c’est qu’un croquant malfaisant ait osé se plaindre et qu’un prince du sang des Bourbons se soit fait son écho ! Si quelqu'un devait se plaindre, c’est moi... et ma famille, car le Colin en question n’était autre que mon fils, Thomas, victime d’une tentative d’assassinat à Condé-sur-l’Escaut avec son ami Henri de Bois-Tracy qui, lui, n’en a pas réchappé. Ce forfait a été perpétré par je ne sais quel forban qui les avait enlevés de Bruxelles en se faisant passer pour le capitaine de Vitry !
— Cela n’a pas de sens ! Comment est-ce seulement possible ? Ce jeune homme a dû tout de même dire qui il était?
— Non, car il a perdu la mémoire ! Il ne sait plus qui il est. Blessé à la tête, il a oublié tous les événements antérieurs à son repêchage dans le fleuve...
— C’est à peine croyable !
— Peut-être mais c’est ainsi. En outre, pour un « oncle », ce Blaise a eu un comportement étrange pour ne pas le qualifier d’ignoble. Il l’a fait travailler comme une bête de somme en le nourrissant plus que chichement... J’ajoute qu’ils ne parlent pas le même langage.
— Comment cela ?
— Le soi-disant Colin s’exprime comme vous et moi, avec la même politesse, tandis que Biaise et sa fille usent du langage des paysans qu'ils sont. Au surplus, il suffit de faire mander le père Athanase, une manière d’ermite qui gîte dans la forêt de Raisme : il a aidé Blaise à sortir mon fils de l’eau et lui a prodigué quelques soins. Lui sait tout !
Monseigneur de Luçon fronça un sourcil qu'il avait aisément impérieux.
— Le père Athanase, dites-vous ? Vous m’en faites souvenir : il a en effet été question d’un anachorète retourné à la divine pauvreté et que l’on apprécie dans les environs. Malheureusement pour vous, il vient de mourir...
Le baron garda son calme mais ses mains se crispèrent sur les accoudoirs de son fauteuil.
— Mourir ? Et... comment ?
— Je ne sais trop. Il semblerait que ce soit en essayant les vertus d’une herbe sauvage...
Cette fois, Hubert explosa.
— Et il se serait bêtement empoisonné, lui qui en savait plus dans toute la Picardie que n’importe qui sur l’usage des simples ? Décidément, on nous en veut car il ne fait aucun doute pour moi qu’il a été assassiné. Et certainement peu après notre départ !
— C’est ce que j’ignore mais je m’informerai... Cela paraît étrange mais, j’y pense, le mieux ne serait-il pas de me conduire dans la chambre de votre fils ?... S’il est en état toutefois de répondre à quelques questions ?
— Je vous l’aurais déjà proposé, Monseigneur, mais il n’est pas à Courcy. Tandis que je le ramenais à la maison, son état m'est tout à coup apparu... inquiétant. Il était fiévreux et ses blessures avaient mauvaise apparence. Par chance, notre route passait près de la demeure d'un médecin dont j’avais pu moi-même expérimenter le talent alors que, chassant aux côtés du roi Henri, un sanglier m’avait embroché la cuisse. J’aurais pu mourir ou rester infirme mais, grâce à lui, mes deux jambes fonctionnent à merveille comme vous pouvez le constater. Thomas est resté chez le docteur. Il n’a toujours pas recouvré la mémoire mais il va de mieux en mieux et j'espère le ramener bientôt ici.
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