Ou Concini, dont Bertini était proche et qui ne cachait pas à quel point Lorenza lui plaisait ? Sa réputation le disait capable de tout et de n’importe quoi pour assouvir ses convoitises. Le ou les meurtriers de la rue des Poulies pouvaient fort bien être à sa solde comme leur victime, et la dague aux rubis était peut-être chez lui ? Cependant, il est difficile de lui mettre le crime de Florence sur le dos Ce n’était toutefois pas impossible pour lui dont la femme régentait la Reine et ne lui laissait sans doute rien ignorer de ses projets les plus secrets.
Restait Antoine de Sarrance qui l’avait poursuivie d’une haine meurtrière dans laquelle il englobait Thomas, jadis son plus cher ami. Mais l’imaginer assassiner - ou faisant assassiner ! - son propre père était tout de même un peu fort. Certes, il était tombé amoureux d’elle au premier regard échangé mais il s’était hâté ensuite de demander à quitter la France pour éviter d’être témoin du mariage avec le vieil homme qui ferait d’elle sa belle-mère... Il était donc en Angleterre au moment où Lorenza vivait son cauchemar.
En dehors de ces trois-là, elle ne voyait pas qui aurait eu intérêt à s’acharner ainsi sur elle !
Autre mystère : le pseudo-capitaine de Vitry qui avait eu l’audace d’aller aux Pays-Bas enlever deux prisonniers en faisant usage d’une lettre - vraie ou fausse ! - de Marie de Médicis. Celui-là avait déjà à son actif la mort d’Henri de Bois-Tracy... et celle de Thomas dont le scripteur de la lettre ne semblait pas douter un seul instant, quelle que soit l’énergie - celle du désespoir peut-être ? - que la jeune femme mettait à en repousser l’idée. Et pourtant... A mesure que passait le temps l’incertitude la rongeait.
Elle savait que son beau-père avait offert une récompense alléchante et dépensait sans compter pour obtenir des renseignements. En dépit de cela, ne s’étaient présentés que des fabulateurs qui se croyaient malins mais que l’esprit incisif d’Hubert avait tôt fait de mettre en déroute. Une chose était certaine : le soi-disant Vitry, sa troupe et ses prisonniers s’étaient volatilisés du côté de Condé-sur-l’Escaut. Le corps sans vie de Bois-Tracy était la seule trace tangible de leur passage. Le châtelain et les soldats défendant la petite cité juraient leurs grands dieux qu'ils n’avaient rien remarqué : ni troupe ni bruit ni écho quelconque ! Rien que ce pauvre jeune homme retrouvé dans les roseaux du fleuve !
Par deux fois, avec l’approbation d’Hubert, Lorenza avait reçu la visite d’un Concini visiblement ravi de ce qu’il s'imaginait être le début d’une belle amitié... ou peut-être mieux ? Dans ces cas-là, Hubert filait au fond de son orangerie sachant que Clarisse, elle, montait une garde vigilante de duègne espagnole qu’agrémentait cependant un sourire de commande. Le mirliflore faisait à la « jeune veuve » - pour lui seul elle s’habillait de noir ! - une cour discrète, apportait des présents de fleurs ou de confiseries - celles-ci pour la plus grande joie des enfants du village ! - et affirmait qu’il était entièrement à son service : il avait promis de tout faire pour que le corps de Thomas pût reposer auprès des siens et qu’on retrouve le faux Vitry. Mais les résultats de ses efforts étaient maigres, presque inexistants, bien qu’il parût débordant de bonne volonté et que son pouvoir allât sans cesse grandissant.
Et là, il ne s’agissait pas de vantardises à la légère. Les lettres de la princesse de Conti avec laquelle Lorenza entretenait une correspondance assidue renseignaient les Courcy sur ce point... Concini passait pour être l’amant de la Régente, et il se comportait de telle façon que la rumeur ne pouvait qu’être accréditée. Ne l’avait-on pas vu sortir de la chambre de Sa Majesté - où il entrait toujours sans frapper ! - dans une tenue négligée et en reboutonnant son pourpoint ? En outre, il possédait maintenant une maison au bord de l’eau qu’une passerelle reliait aux jardins royaux et que l’on appelait le « pont des amours ».
Les gens de Cour en étaient si bien convaincus qu’un jour, ayant entendu Marie de Médicis demander un voile, le comte du Lude osa lancer :
— A navire à l’ancre, point besoin de voile !
La Reine fit comme si elle n’avait pas entendu mais l’intéressé, lui, sourit d’un air fat en retroussant sa moustache. Quant à sa femme, cependant si jalouse, elle ne réagissait pas.
« Il faut dire, raconta Louise de Conti à Lorenza, qu’elle a bien autre chose à faire. Elle tient boutique de tout : argent, prébendes, honneurs, terres et riches demeures, sans oublier de prélever sa part au passage. Son appartement doit déborder d’or et de trésors de toutes sortes. En fait, rien n’est changé : c’est elle et elle seule qui gouverne la Régente et les pouvoirs dont on ne cesse d’investir son époux, c’est elle qui les possède. Quel dommage que vous soyez si belle ! Oh non, je ne ris pas et Bassompierre pense comme moi, mais vous auriez pu vous entendre avec elle. N’êtes-vous pas compatriotes ?... »
— Je lui dois au moins d’avoir été débarrassée de ma tante Honoria, commenta Lorenza pour Clarisse et la duchesse, même si cela n’a pas été pour mon bien. Galigaï la protégeait parce qu’elle était vieille et laide et qu’elle me haïssait...
— Et vous n’avez jamais essayé de savoir ce qu’elle était devenue ?
— Si, lorsque j’ai été nommée dame de la Reine, mais je n’ai rien pu apprendre sinon qu'elle a dû repartir pour Florence afin de récupérer ce qu'elle pouvait de mes biens là-bas... Cela ne prédispose guère à tenter le moindre des rapprochements avec la Galigaï. Outre que je me voie difficilement la cajoler. Elle m’inspirerait plutôt de la répulsion...
— Cela vous amuse beaucoup de recevoir son époux ? demanda Mme d’Angoulême.
— Dieu ! Non !... Et vous le savez bien ! Pourquoi poser la question ?
— Pour savoir jusqu'à quel point vous êtes capable d’avaler des couleuvres afin de parvenir à votre but. Vous êtes trop séduisante pour que la Galigaï souhaite vous voir. D’ailleurs on dit qu’elle est souvent malade ces temps-ci...
La cause était entendue. Provisoirement tout au moins, car, en dépit d’elle-même, Lorenza gardait dans un coin de sa mémoire l’idée d’une entrevue avec la précieuse amie de la Médicis... Une nouvelle lettre de la princesse, qui parlait cependant de tout autre chose, la ramena à la surface.
« Voilà bien d’une autre ! écrivait la princesse. Je me retrouve au centre d’une espèce de querelle de famille ridicule qui menace d’enflammer tout Paris si ce n’est la France ! Figurez-vous que, dans je ne sais plus quelle rue encombrée- elles sont d’ailleurs toujours encombrées ! -, le cocher de mon époux s’est pris de querelle avec un autre qui s’est trouvé être celui du comte de Soissons, son propre frère. Lequel était dans la voiture et s’amusait de la scène. Ce qui a fort déplu à Conti qui n’a pas beaucoup de cervelle et qui, en outre, est à moitié sourd. Il a voulu traîner Soissons sur le pré. Celui-ci, qui trouve l’affaire plutôt drôle, la raconte à la Régente et la prie de s’entremettre en envoyant mon frère Guise en ambassade auprès de mon furieux pour le calmer, mais au lieu de venir chez nous tout seul ou avec un ou deux amis, voilà qu’il se laisse entraîner par ses gentilshommes qui tiennent à l’escorter en le proclamant en danger. Et les voilà partis... à soixante ! Cela fait un bruit du diable, surtout lorsqu’ils passent près de l’hôtel de Soissons et cette fois Soissons prend feu, fait prévenir Condé. Intelligent comme il est, cet imbécile qui ne rêve que plaies et bosses voit là une magnifique occasion de faire du vacarme, rassemble quelque deux cents partisans, va chercher Soissons qu’il emmène au Louvre afin d’obtenir de la Régente qu’elle en finisse avec “ces affreux Guise" qui ne cessent de fomenter des révoltes, comme au beau temps de la Ligue, afin de s’assurer le pouvoir. Une heure plus tard, la Cour était coupée en deux : les Guise rejoints aussitôt par Vendôme, Nevers, Epernon, Bellegarde, Rohan avec, en face, Condé, Soissons... et Concini, ce qui dit bien de quel côté penche le cœur de Madame ! Pour un incident mineur, nous voilà à la veille d’une insurrection parisienne ! Et comme je vous envie le calme de votre belle demeure, je crois que je vais suivre ma mère - la duchesse de Guise - qui aspire à la paix de son château d’Eu ! Comme Mme de Montpensier, dont la fille doit épouser mon frère Guise, va rejoindre Saint-Fargeau, notre aimable souveraine va perdre d’un coup toutes ses amies et se retrouver en la seule compagnie de sa Galigaï ! La pauvre Guercheville ne va pas avoir la vie belle ! Elle déteste Condé, comme tout le monde d’ailleurs, sans oublier la Galigaï... et je me demande si vous ne devriez pas profiter du grand vide que nous allons laisser pour tenter une entrevue avec la dame en question ?... D’autant qu’on la dit aux prises avec ses crises, que la Régente déteste la maladie et ne doit pas trop l’approcher ces temps-ci. Il se peut même qu’elle aille passer quelques jours dans son château de Monceaux ! Ah ! J’allais oublier ! Galigaï aurait fait appel à ce médecin de votre ami Giovanetti qui opérerait des miracles... Croyez-moi tout à fait votre amie !... »
Sans un mot, Lorenza tendit la lettre à Clarisse qui, non sans impatience mais en silence, avait suivi sur le visage de sa nièce les reflets changeants de sa lecture. Quand elle eut fini, elle se mit à rire.
— Eh bien, dit-elle, c’est ce qui s’appelle prendre des chemins détournés pour en arriver à une seule mais précieuse information ! Qu’allez-vous faire ?
— Dans l’immédiat, envoyer le jeune Flagy à Verneuil s’assurer discrètement que nos deux Florentins n’y sont plus et, si c’est le cas, demain matin je me rendrai rue Mauconseil. Il faut absolument que j’aie un entretien avec Valeriano Campo !
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