— C’est exact. Cette arme m’appartenait quand je suis arrivée en France mais on me l’a volée et je souhaiterais la faire reproduire !

— Cela ne me pose aucun problème à l’exception des pierres qui composent le dessin...

— Ce sont des rubis mais un émail rouge ferait aussi bien l’affaire. Je vous précise que je vous la payerai moi-même et que je vous demande le secret. J’ai l’intention de n’en parler qu’à mon beau-père, mais à lui seul !

— Je ne m’inquiétais pas à ce sujet, Madame la baronne... et j’espère que mon travail vous satisfera.

— J’en suis certaine, maître Servoz, et je vous remercie...

En quittant l’armurier, elle descendit au bord de l’eau pour contempler l’étendue lisse où se reflétait le bleu du ciel et la blancheur du château. La colère qui l’avait secouée en recevant le malfaisant billet s’était apaisée. Quand l’ennemi attaquerait - et ce n’était pas pour tout de suite puisqu’il avait la bonté de lui accorder un peu de temps pour pleurer -, elle ne l’affronterait pas sans défense : la dague ne la quitterait ni de jour ni de nuit ! Restait à savoir de quel côté l’offensive viendrait...

Or, peu avant le retour de la famille, le majordome vint lui apprendre que l’un des jeunes écuyers du baron demandait à lui parler et que ce qu’il avait à rapporter était plus qu’intéressant : au moment où l’émissaire inconnu avait remis son message avec une désinvolture bien proche du mépris, il revenait de promener, au long de l’étang, en main et non sellé, César, l’un des deux chevaux préférés d’Hubert. Sans hésiter, ce garçon avait sauté sur le dos de l’animal et, avec la seule bride, s’était lancé sur sa trace mais en prenant soin de laisser suffisamment d’espace pour ne pas être repéré. Renseigné sur ce qu’il pensait être la destination de l’homme, il avait tout de même attendu un moment avant de revenir au grand galop à Courcy.

Mais Lorenza n’eut pas le loisir de lui demander où sa poursuite s’était achevée, car dans le vestibule, le baron Hubert donnait de la voix :

— Quel est l’abruti qui a arrangé César de la sorte ! Il écume tellement qu’il pourrait faire concurrence à un morceau de savon dans un lavoir un jour de lessive ! Encore heureux que... Mais qu’y a-t-il ?

Lorenza s’était précipitée à sa rencontre et, l’ayant pris par la main, l’entraînait.

— Demandez plutôt à M. de Flagy d’où il vient. Il allait justement me l’apprendre.

— Flagy ? C’est pourtant un garçon sérieux d’habitude! Alors ?

— Je suis allé jusqu’au château de Verneuil et en suis revenu, Monsieur le baron. Je venais de promener César quand j’ai vu le cavalier jeter une lettre aux pieds des gardes... et je l’ai suivi ! Vous voudrez bien me pardonner !

— Sans harnachement ? Bravo ! Et si vous avez réalisé cet exploit pour le service de Madame la baronne, je ne peux qu’approuver ! Allez à présent ! (Puis se tournant vers Lorenza :) Une nouvelle lettre ? demanda Hubert quand le jeune homme se fut éloigné. De la même provenance ?

— Sans aucun doute ! dit Lorenza en la lui tendant. Ne cherchez pas la signature : elle se trouve chez maître Servoz que j'ai prié de recopier la dague en remplaçant les pierres par un émail.

Les paupières soudain rétrécies, il la regarda droit dans les yeux.

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

— Allons, père ! Vous devez vous en douter ! Je ne vais pas attendre les bras croisés les entreprises de ce misérable. S’il réussissait à s’emparer de moi, il ne vivrait pas assez longtemps pour jouir de sa victoire. Je frapperai sur-le-champ sans attendre. Dès que j’aurai l’arme, elle ne me quittera pas un instant.

Il lui sourit, posa une main sur son épaule.

— J’ose espérer que nous n’en arriverons pas à cette extrémité car il faudrait que je sois mort ! C’est à moi qu’appartient la vengeance... mais il faut faire en sorte d’apprendre qui séjourne en ce moment chez notre marquise.

— Oh, il ne doit pas y avoir foule, surtout depuis que le duc de Guise a refusé de l’épouser !

— Détrompez-vous ! Elle a désormais ses grandes entrées chez la Régente dont elle est en passe de devenir l’une des amies préférées !

— Laquelle est devenue folle ? A moins que ce ne soient les deux ?

— Avec la bénédiction de ce cher duc d’Epernon I Rien n’unit davantage qu’un crime partagé.

Quelques pièces d’or judicieusement distribuées apprirent au baron Hubert ce qu’il voulait savoir, c’est-à-dire qui se trouvait alors à Verneuil. En fait, le château était plein à craquer et l’on n’avait que l’embarras du choix... On fêtait l’anniversaire de la maîtresse des lieux. Outre la famille - sauf Auvergne toujours embastillé ! -, il y avait là Epernon, l’inusable Joinville flanqué de ses amis Liancourt et du richissime Sébastien Zamet, Mlle du Tillet, Concino Concini - sans sa femme qui n’allait jamais nulle part ! - et quelques amis comme le marquis de Sarrance, l’ambassadeur d’Espagne et même Filippo Giovanetti accompagné de son médecin Valeriano Campo, arrivé depuis peu et dont Mme d’Entragues avait réclamé les soins dès qu’on l’avait su à Paris.

— Dommage que Ravaillac soit mort ! Ricana le baron. Il aurait sa place au milieu de ces gens qui ont manigancé l’assassinat du Roi. Cet anniversaire est plein d’enseignements!

— On peut se demander aussi ce qui a pris à la Verneuil de commémorer sa naissance ! Quand vient l’âge mûr on aurait plutôt tendance à mettre un voile pudique dessus, non ? Persifla Clarisse.

— Oui ! En tout cas, une chose est certaine : l’ennemi est là-dedans ! Reste à savoir lequel... Qu’en pensez-vous, Lorie ?

Semblant émerger d’un songe, la jeune femme eut un sourire machinal.

— Je le crois aussi. Ce qui me surprend le plus, c’est la présence de Giovanetti ! Que fait-il dans ce nid de serpents ?

— Oh, je ne veux pas la rendre plus blanche qu’elle n’est, soupira Clarisse, mais, faisant appel à son médecin, la Verneuil ne pouvait décemment éviter de l’inviter aussi. Ne fût-ce que pour épargner le montant des soins ! De plus, s’il n’en a plus la fonction, il a toujours rang d’ambassadeur. Enfin, il se peut que vous vous montriez ingrate envers lui, mon enfant, car c’est tout de même lui qui est allé à Bruxelles poser certaines questions ! Qui vous dit qu'au milieu de tous ces gens, il ne cherche pas à en savoir plus ?

— Vous croyez ?

— Pourquoi pas ? reprit Hubert. Nous verrons bien s’il donne de ses nouvelles prochainement.

Mais Giovanetti ne donna pas signe de vie... Et l’humeur de Lorenza s’assombrit. La Verneuil était-elle en train de lui voler celui qu’elle croyait un ami si fidèle ? Hier encore c’était impensable, mais qui pouvait encore être sûr du lendemain dans un pays où, depuis la disparition d’Henri, tout semblait tourner à l’envers et où violence et trahison faisaient partie du quotidien ? Une chose était certaine : la lettre était sortie de Verneuil. C’était donc un de ses habitants qui l’avait rédigée. Mais lequel ?

Un peu de réconfort lui vint quelques jours plus tard quand maître Servoz lui remit son ouvrage. En tout point parfait ! La dague ressemblait à s’y méprendre à celle dont on l’avait dépouillée. Même les petits rubis dessinant l’emblème de Florence étaient en place en dépit de sa demande de les remplacer par de l’émail... En outre, le fourreau brodé d’or était plus riche. Le baron Hubert y avait évidemment mis son nez et elle l’en remercia avec émotion.

— Je me sens désormais prête à affronter l’ennemi d’où qu’il vienne ! dit-elle en glissant l’arme dans une poche de sa jupe.

— Nous ferons ce qu’il faudra pour que vous ne soyez pas obligée d’en venir là ! Et, à ce propos, je voudrais de vous une promesse.

— Laquelle ?

— Que vous ne la retourniez pas contre vous si nous obtenions la certitude que... que nous ne reverrons jamais Thomas.

— Je vous le promets, répondit-elle en le regardant au fond des yeux. J’espère seulement qu’elle me permettra d’abattre l’assassin. Quel qu’il soit ! Après il en sera ce que Dieu voudra !

TROISIÈME PARTIE

L’ÉPREUVE

Chapitre IX.

Face à face

Qui avait bien pu écrire la lettre ?

Depuis que l’on avait détaillé devant elle la liste des invités de Mme de Verneuil, Lorenza se posait la question. Sous quel visage se cachait l’âme d’un assassin ? Celui qui avait abattu Vittorio Strozzi, le marquis de Sarrance et maintenant... Thomas ? Il fallait que ce soit le même puisque la dague au lys rouge signait chacun de ses forfaits. Pourtant, elle savait à présent qu’il ne frappait pas de sa propre main mais manipulait un... ou même plusieurs pantins meurtriers. Comment croire que l’exécuteur de Florence soit le même que celui du vieux Sarrance ? Le dernier à se servir de l’arme, ce Bruno Bertini, avait payé son crime en se faisant trancher la gorge chez la Maupin sa maîtresse que, pour faire bonne mesure, on avait accommodée de la même façon. Or, arrivé en France avec Marie de Médicis, il ne pouvait pas être à Florence pour y assassiner le beau fiancé blond ! Il appartenait à la bande turbulente de Concini. Certes, il aurait pu effectuer l’aller et retour mais comment aurait-il pu deviner que Filippo Giovanetti allait être chargé d’une mission délicate par sa royale compatriote ? Encore que dans le monde trouble des ambassades, avec ses émissaires occultes, ses menées tortueuses et ses messages chiffrés, on ne puisse jurer de rien ! Etait-ce Giovanetti qui avait mené le jeu ? Il ne fallait pas oublier la tentative d’assassinat à la veille du mariage à l’aide de la dague rapportée en France par Lorenza et volée quand elle avait quitté l’ambassade pour le Louvre. Mais Giovanetti était son ami à elle et il était difficile d’imaginer cet homme charmant, élégant et courtois, sous le masque sombre d’un chef de bande. Etait-ce lui qui se dissimulait derrière l’homme quand la dague s’était brisée sur la cotte de mailles du vieux guerrier ? L’idée lui faisait horreur... pourtant, il pouvait parfaitement connaître Bertini. Mais pourquoi tout ce sang alors que, s’il avait agi par amour pour elle, rien ne lui aurait été plus facile que la ramener quand elle l’en suppliait ? Non, ce ne pouvait pas être Giovanetti !