— Oui, car j’ai un autre souci. Tout à l’heure, quand on a évoqué l’enfant abandonné, j’ai vu que la pauvre Jacqueline en souffre cruellement. J’aurais pu d’un mot adoucir sa peine et lui rendre courage.
Il faut vraiment que j’aille prier !
Elle avait peut-être parlé trop fort. Toujours est-il qu’une belle voix grave, mais assourdie, se fit entendre.
— Voulez-vous me permettre de vous assister ? Je pourrais, je crois, vous être utile. Je suis l’évêque de Luçon !
Tous trois le regardèrent sans cacher leur surprise. Grand et mince à la limite de la maigreur dans sa soutane violette, ce jeune homme en imposait. Il était beau aussi avec un visage fin qu’allongeaient encore la « royale » et des yeux magnifiques. Son sourire était charmant.
— Nous ferez-vous la grâce de nous dire qui vous êtes... Monseigneur ? S’enquit le baron.
— C’est trop naturel. J’ai nom Armand-Jean du Plessis de Richelieu...
Le visage de Courcy s’illumina.
— Oh, vous êtes l’un des fils de l’ancien Grand Prévôt de France et votre aïeule était une Rochechouart ? J’ai connu votre père... mort dans la fleur de l’âge malheureusement ! Ma fille, ajouta-t-il en se tournant vers Lorenza, nous pouvons vous confier à Monseigneur de Luçon. Nous vous attendrons ici !
— On pourrait s’étonner. Venez plutôt avec nous. La chapelle est assez vaste pour que l’on puisse s’y confesser sans être entendu... et prier n’a jamais nui à personne ! conclut Richelieu en souriant imperceptiblement.
Tandis que le frère et la sœur s’installaient dans la nef, face au maître-autel, l’évêque entraîna Lorenza à l’écart.
— Racontez-moi ce qui vous tourmente, Madame. Mais, d’abord, souhaitez-vous être entendue sous le secret de la confession ? Après tout, vous ne me connaissez pas ! Et si cela peut vous rassurer !
— Vous êtes d’Eglise ! Cela me suffit !
— De nos jours, ce n’est pas forcément une recommandation...
— Alors, j’accepte la confession.
Elle s’agenouilla devant lui, fit le signe de croix et commença.
— Bénissez-moi, mon père, parce que j’ai péché...
Et non seulement elle vida son cœur mais confia à ce prêtre attentif tout ce qu’avait été sa vie jusqu’à ce moment... Sans oublier ce qu’elle avait vu à Verneuil, le sauvetage du petit Nicolas et ses angoisses incessantes pour Thomas. C’était incroyablement facile et elle éprouva une étonnante sensation de délivrance. Quand ce fut fini, elle récita un acte de contrition et attendit l’absolution. Elle ne vint pas tout de suite. Visiblement le jeune prélat réfléchissait. Enfin, il dit :
— Il est incontestable que vous deviez garder le silence sur ces révélations que vous venez de confier à Dieu à travers moi. Cependant, je vous demanderai la permission de lever le secret concernant l’enfant que vous avez récupéré.
— Pourquoi ? fit-elle, déjà inquiète.
— Pour la seule Mlle d’Escoman. Je l’ai visitée dans sa prison et je sais qu’effectivement, cette mauvaise action que la misère lui a suggérée la tourmente. Vous aussi d’ailleurs ! Permettez-moi de la rassurer. Je vais retourner la voir et je lui recommanderai de garder cela pour elle. Vous êtes d’accord ?
— Oh, bien sûr ! S’exclama-t-elle soulagée.
— En ce cas, allez en paix ! Je vais vous absoudre !
En sortant de la chapelle, Lorenza se sentait transformée, allégée du poids qui l’oppressait. Elle avait tellement envie d’aider la pauvre d'Escoman qu’il lui avait été insupportable de ne pas rapporter devant les juges ce qu’elle avait entendu dans le bois de Verneuil. Elle s’en était tirée avec une pirouette. Plus pénible encore de ne pas la rassurer sur le sort de son enfant... A présent, elle avait déposé son fardeau entre des mains qui, pour lui être inconnues, ne lui inspiraient pas moins une totale confiance. Il y avait, chez ce jeune prélat, outre une incontestable autorité, quelque chose qu’elle ne pouvait pas définir mais qui attirait sous des dehors froids. Sa voix d’abord, modulée et persuasive, mais qui pouvait être cassante et autoritaire. Ses yeux ensuite, profonds, brillant d’intelligence que le charme d’un sourire - bref et rare - faisait étinceler.
— On dirait que cela va mieux, remarqua Clarisse quand elle les rejoignit.
— Beaucoup mieux ! Ce Monseigneur du Plessis de Richelieu est quelqu'un d’étonnant. J’aimerais que nous soyons amis !
— Pourquoi pas ? Opina le baron. On m’a parlé de lui comme d’un esprit fin et cultivé habité même par une sorte de génie mais ces qualités seraient au service d'une ambition extrême !
— Ce n’est pas incompatible ! Soupira sa sœur. Il porte un beau nom et je le verrais sans déplaisir... cardinal ! La simarre pourpre lui irait à merveille. Que faisons-nous à présent ?
— Si vous en êtes d’accord, je serais heureuse de rentrer à la maison ! dit Lorenza en les prenant chacun par un bras. Je ne respire bien qu’au bord de notre étang ! J’ai conscience que ce n’est pas raisonnable et que nous n’avons guère de chances d’avoir des nouvelles de Thomas ! Et Dieu sait que je me tourmente pour lui mais...
D’un geste qui lui était devenu naturel, le baron recouvrit de sa main celle de la jeune femme posée sur sa manche.
— C’est moi que cela regarde et même si je n’en parle pas, soyez certaine que je ne reste pas inactif ! En attendant, vous avez raison de vouloir passer un moment à Courcy. Vous en profiterez pour aller admirer ce que donnent nos semis...
Elle fut si surprise qu'elle s'écarta de lui pour le regarder.
— Vous ne venez pas avec nous ?
— Ma foi, non... mais je vous rejoindrai sous peu !
— En ce cas, nous pouvons peut-être vous attendre ? proposa sa sœur.
— Dans une auberge ? Vous plaisantez ! Partez tranquilles : une bête affaire à régler mais pour laquelle je préfère vous savoir à Courcy...
— Vous allez vous battre ? C’est cela ?
— Mais non ! Sacrebleu, Clarisse ! Cessez de vous mettre la tête à l’envers dès que je m’éloigne de quelques pas ! Pour vous rassurer, je dirai... une simple réunion avec des amis, un colloque si vous préférez...
— Un quoi ?
— Colloque! Une discussion, un débat... Mon Dieu ! Quand donc nos beaux esprits se décideront-ils à réunir tous les mots de la langue française dans un ouvrage avec leur signification !
— Et qui participera à ce... débat ?
— Ne m’obligez pas à vous dire que ce ne sont pas vos oignons ! Lorie, emmenez votre tante et veillez à ce qu'elle se tienne coite !
— Je pourrais partager son avis, fit la jeune femme, amusée.
— Eh bien, faites comme si vous ne le partagiez pas ! Et promettez-le-moi sinon je vous ramène chez nous et je reviens illico ! Après avoir ordonné que l’on verrouille les portes à double tour derrière moi !
Il était devenu rouge vif. Comprenant qu’elle et Clarisse le gênaient, elle posa un baiser léger sur sa joue.
— Ne vous tourmentez pas ! Nous serons sages comme des images !
Une heure plus tard, elles quittaient la capitale.
Pour rien au monde il ne leur aurait dévoilé ses intentions. Le lendemain matin, élégantissime en velours noir assorti à la plume d’autruche moussant à son chapeau et retenue par une agrafe en diamants, une fraise neigeuse au cou et le ruban bleu du Saint-Esprit sur la poitrine, il rejoignait dans la cour du Louvre le colonel de Sainte-Foy et le capitaine de Vitry. Après s’être salués, tous trois gravirent le Grand Degré d’un pas accordé et se présentèrent aux huissiers de la Porte en déclarant que la Régente les attendait à 11 heures... Et l’heure sonnait tout juste à Saint-Germain-l’Auxerrois.
Les portes du cabinet royal s’ouvrirent. La grande pièce était déserte à l’exception d’un secrétaire qui s’éclipsa en marmottant des paroles indistinctes et, l’instant suivant, Sa Majesté, vêtue de brocarts violets sous un déluge de perles et d’améthystes, fit son apparition. Comme dans un ballet savamment réglé, les plumes des trois chapeaux balayèrent le tapis.
— Vous avez demandé à m’entretenir, Messieurs ? Glapit-elle en fronçant les sourcils. Il faut que ce soit important pour que vous m’ayez priée de vous recevoir tous ensemble !
Au même moment, Concini surgit derrière Marie dont il écarta le fauteuil pour lui permettre de s’asseoir, et trois regards réprobateurs à l’unisson le fixèrent... Courcy n’hésita pas à traduire.
— Nous avons en effet prié Madame la Régente de nous entendre en même temps puisqu’il s’agit de la même affaire mais nous souhaitons la voir... seule ! fit-il après avoir détaché le dernier mot prononcé fermement.
— Pourquoi ? Le marquis d’Ancre est l’un de mes conseillers les plus écoutés !
— Mais Votre Majesté n’a pas besoin de conseils pour connaître un délit où son honneur est en jeu !
— Mon honneur ? Quoi, mon honneur ?
— Quel autre mot employer quand, agissant en son nom mais sous une fausse identité, on se permet d’aller enlever des sujets français dans une cour étrangère. Cela ne regarde que la Reine... et elle seule !
Renfrognée tout à coup, elle regarda successivement ces trois hommes alignés en face d’elle, droits comme des I, avec, sur leur visage, la même détermination. Alors, d’un geste, elle renvoya son favori, attendant qu’il soit sorti pour grogner :
— Une fausse identité ? Laquelle ?
— La mienne, Votre Majesté ! répondit Vitry en s’inclinant.
— Et de quelle cour étrangère est-il question ?
— Celle des Pays-Bas, reprit Courcy. Un homme se faisant passer pour M. de Vitry s’est présenté aux archiducs Albert et Isabelle-Claire-Eugénie pour leur réclamer deux prisonniers français. Il était muni, pour l’occasion, d’une lettre écrite et signée de la main même de Votre Majesté !
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