— ... N’importe qui ?
— Quiconque m’en faisait demande, corrigea la jeune femme. D’ailleurs, nous n’avons pas eu le temps de converser davantage : le guet la poursuivait et l’a rejointe.
— Vous en savez la raison, j’imagine ?
— Hélas oui ! N’ayant plus les moyens de nourrir son enfant que la nourrice lui avait rendu, elle l’avait exposé sur le Pont-Neuf...
—... Au risque d’être enlevé par les truands des cours des miracles pour y ajouter un sacripant de plus !
Toujours ce ton sarcastique ! N’y avait-il chez cet homme ni cœur ni entrailles ? Elle répondit par une autre question.
— Avez-vous des enfants, Monsieur le Procureur ?
Il eut une moue de dédain.
— Certes ! Mais je ne vois pas en quoi...
— Et savez-vous ce que c'est que la vraie misère, quand on n’a même plus un liard pour apaiser la faim d’un enfant qui pleure et qui pleurera jusqu'au bout de ses faibles forces ?
— Elle n’avait qu’à se faire mendiante ! Aux portes des églises, elle aurait reçu de l’aide ! Elle a préféré cette solution infâme que la loi punit de mort !
— N’est pas mendiant qui veut, Monsieur le Procureur. Aux portes des églises, tout au moins. Elles sont régies par une confrérie qu’une pauvre fille ne peut braver impunément ! Un enfant seul inspire toujours de la pitié !
— Comment le savez-vous ?
— Monsieur le Procureur, intervint le président de Harlay. N’ergotons pas indéfiniment ! Nous savons tous ce qu’il en est des mendiants ! Poursuivez !
Fort peu respectueusement, La Guesde haussa les épaules et revint à la jeune femme.
— De toute façon, vous soutenez cette femme Vous lui avez octroyé une généreuse aumône, m’a-t-on rapporté ?
— On vous a menti. Je ne lui ai rien octroyé. En revanche, j’ai remis quelque argent à l’officier du guet pour qu’en prison elle soit traitée convenablement...
— C’est possible mais vous n’avez pas répondu ma première question. Vous la soutenez ?
— J’admire son courage et je la plains de tout mon cœur !
— Ce n’est pas ce que je vous demande...
Le Président prit le maillet en bois posé devant lui et en frappa quelques coups vigoureux.
— Nous nous en suffirons cependant ! Madame de Courcy, la cour vous remercie et vous salue !
Il inclina le buste, elle plia légèrement le genou mais, avant de se retirer, demanda :
— Pardonnez-moi, Monsieur le Président, mais puis-je rentrer à Courcy ou pensez-vous avoir encore besoin de moi ?
— Non, ce ne sera pas nécessaire ! fit-il avec un sourire. Encore merci !
Elle rejoignit alors les siens qui se tenaient au fond de la salle. Hubert prit son bras pour le glisser sous le sien et lui tapota la main.
— Bravo ! murmura-t-il. C’était très bien... mais vous avez eu de la chance que Harlay soit chargé du procès !
— Il est le Premier président, cela me paraît normal, commenta Clarisse.
— Rien n’est normal en ce moment ! Ainsi La Guesde n’est pas Procureur général... seulement c’est une créature de la Cour et je ne serais pas étonné qu’il réussisse à se débarrasser de Harlay !...
— Il n’en prend pas le chemin... Ecoutez plutôt !
En effet, mécontent sans doute de voir Lorenza échapper à ses griffes, le Procureur entreprenait de protester contre l’aménité dont on avait fait preuve envers elle et, sans transition, se livrait à une sorte de philippique contre l’accusée, adjurant le tribunal non seulement de la confier aux bourreaux pour la faire « bien travailler » afin de lui arracher la vérité, mais encore de la condamner à mort aussitôt.
— Et sous quel chef d’accusation ? S’enquit Harlay.
— Ils ne manquent pas ! Ne voyez-vous donc pas que c’est une sorcière capable de tromper n’importe qui comme elle a trompé Mme de Courcy qui ne cache pas la commisération qu’elle lui inspire ? Ces femmes-là sont capables de tout : envoûtements, commerce avec le diable, conjuration, confection de philtres, de poisons, de fausse monnaie...
— Fausse monnaie ? Et quoi encore ? Vous perdez l’esprit, Monsieur le Procureur, et ce genre d’élucubration n’est pas de mise devant une cour souveraine ! Surtout traitant d’un sujet aussi grave et douloureux que la mort d’un roi envers lequel vous faites preuve de la plus noire ingratitude ! Sortez ! Rentrez chez vous et tâchez de vous remettre les idées en place !
Le duc d’Epernon ayant jugé bon, à cet instant, de reprocher au Président un laxisme intolérable envers une criminelle, ce fut l’avocat Servin qui se chargea de lui en réclamant son arrestation. A quoi l’autre répondit en l’insultant et en menaçant de l'étriper ! D’où le tumulte !
La bagarre menaçait de devenir générale, quand le président de Harlay leva la séance en déclarant qu’il entendrait, dans son particulier, et en apparat réduit, les personnes d’importance. Cela suscita bien quelques murmures mais les hallebardiers entrèrent en action avec le manche de leurs armes, et la salle se vida sans trop de difficultés.
Le soir même, Harlay convoquait à son hôtel Mme de Verneuil et l’interrogeait pendant cinq heures avec une sévérité qui affola l’ancienne favorite. Elle partit sur-le-champ se plaindre à Epernon.
Déjà fort inquiet, celui-ci l’écouta en s’efforçant de masquer l’angoisse qui lui venait et même la rassura.
— Ces robins se croient tout permis pour peu qu’on leur laisse quelque pouvoir ! Ce vieux bonhomme veut se donner de l’importance... mais je vais lui rabattre son caquet... et de belle façon !
Quand sa visiteuse fut repartie, il s’équipa comme au soir de la mort du Roi. Et c’est botté, éperonné, l’épée au côté et à cheval, escorté de quatre laquais, qu’il s’en alla à l’hôtel de Harlay.
Le Président, qui l’avait vu arriver et que cet appareil guerrier scandalisa (il n’y manquait que la cuirasse), ne le laissa pas entrer plus avant que le vestibule.
— Que me vaut votre visite ?
— Il me semble que nous avons à parler, vous et moi, et même qu'il en est grand temps !
— Je n’ai rien à vous dire. Je suis votre juge !
Désarçonné par la rudesse de l’accueil, le duc baissa le ton.
— Mais... c'est en ami que j’ai pris la hardiesse de venir.
— Je n’ai pas d’amis. Je vous ferai justice. Contentez-vous de cela !
Et le haut magistrat tourna les talons pour regagner son cabinet.
D'autant plus furieux qu'il lui fallait bien ravaler sa colère, l'ancien mignon, sans même passer chez lui revêtir une tenue plus conforme, fila au Louvre où, comme presque chaque soir, il y avait concert, et demanda à parler à la Reine seul à seule...
Dérangée, cette dernière lui envoya Concini lequel ouvrit des yeux étonnés devant un équipage aussi martial.
— Vous partez en guerre, Monsou le douc ?
— Toujours quand il s’agit du service de Sa Majesté ! Il faut que je la voie !
— Dites à me ! Ye transmettrai !
— C’est impossible !... Après tout j’y vais !
Ecartant l’Italien, il voulut passer outre mais, à cet instant, Marie de Médicis parut.
— Que de bruit ! On ne s’entend plus ! Que voulez-vous, duc ?
Le courtisan se plia en deux.
— Quelques mots, Madame ! Juste quelques mots ! Mais d’une telle importance !
— Alors dépêchez-vous ! fit-elle avec un signe à Concini pour qu’il s’éloigne...
Le lendemain, elle envoyait M. de Châteauvieux chez Harlay pour lui demander ce qu’il pensait de ce procès.
— Vous direz à la Reine que Dieu m’a réservé de vivre en ce siècle pour voir et entendre des choses que je n’eusse jamais cru pouvoir voir, ni ouïr de mon vivant !
— Mais enfin, Monsieur le Président, cette femme, la D’Escoman, parle sans preuves !
— Des preuves ? S’exclama-t-il en levant les bras au ciel. Il n’y en a que trop !... Beaucoup trop !
Il y eut un silence auquel le chevalier d’honneur de la Reine mit un terme en murmurant, visiblement gêné :
— Cependant, Monsieur le Président, Sa Majesté apprécierait qu'eu égard aux services qu’il a rendus à la Couronne, vous vouliez bien traiter Monsieur le duc d’Epernon avec moins de rudesse !
— Dites à Sa Majesté que je ferai de mon mieux ! Si elle le souhaite, les interrogatoires seront tenus secrets désormais17...
En sortant de la salle d’audience, Lorenza se sentait le cœur lourd. En dépit du billet qui gisait maintenant au fond de sa poche, elle s’en voulait de ne pas avoir mentionné l’entrevue de Ravaillac avec Jacqueline dans le bois de Verneuil. Se tournant vers sa tante, elle demanda :
— Je suppose qu’il y a une chapelle ici ? Je voudrais aller prier !
Ce fut le baron Hubert qui lui répondit.
— Si vous vous reprochez de ne pas avoir parlé de l’entrevue du petit bois, vous avez tort !
— On a toujours tort de mentir ! Mais on m’a fait parvenir cela, dit-elle en sortant le morceau de papier que le vieux gentilhomme lut en fronçant le sourcil avant de l’enfouir dans sa propre poche.
— Même sans ça, il fallait se taire. Vous n’auriez aidé en rien cette pauvre femme et auriez attiré la suspicion sur vous. La Médicis aurait été trop contente de pouvoir vous impliquer dans ce bourbier... Le Roi est mort et nul ne doit savoir...
— Monsieur de Sully le sait ! Je lui avais tout confié ainsi d’ailleurs que vos investigations, père !
— Outre qu’on lui a retiré toutes ses charges, Sully est un tombeau. Que vous a-t-il répondu ?
— Il m’a conseillé - pour ne pas dire ordonné -de garder le silence. Le mal évidemment était fait !
— Vous voyez bien. Mettez votre âme en paix, Lorie ! Vous avez montré beaucoup de présence d’esprit... Vous voulez toujours aller à la chapelle ?
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