— Une minute encore, s’il vous plaît ! Je voudrais faire entendre une plainte, moi !

— Laquelle ?

— J’aimerais savoir ce que l’on a fait de mon fils et...

— On vous l’a dit : il est retenu en prison à Bruxelles.

— Justement ! Il ne s’y trouve plus ! Un détachement français est venu, avec une lettre manuscrite de la Régente, réclamer les prisonniers au nom de Sa Majesté afin qu’elle se charge personnellement de leur punition !

— Punition ? Qu’ont-ils fait d’autre qu’obéir aux ordres donnés ?

— Par le défunt Roi ! Mais ce n’est pas tout : l’expédition était commandée par M. de Vitry !

— Vitry ? Mais il n’a pas bougé d’ici !

— Je sais. Il me l’a dit. A présent, marquise, tirez les conclusions que vous voudrez !

Sidérée, Mme de Guercheville resta silencieuse un instant puis murmura :

— Si vous voulez un bon conseil, tenez Lorenza à l’écart de cette affaire qui commence à sentir très mauvais ! Vous devriez la ramener à Courcy avec prière de ne pas s’en éloigner !

— Je ne souhaite que cela... mais je veux aussi retrouver mon fils ! Et vous me connaissez suffisamment pour savoir que rien ne m’arrêtera ! Je... je n’ai que lui !

Sa voix chevrota sur ces derniers mots. S’en rendant compte, il toussa furieusement à plusieurs reprises comme s’il avait un chat dans la gorge. Châteauvieux, alors, murmura :

— Dans l’immédiat, fais ce que te conseille notre amie. Abrite les tiens dans votre beau Courcy ! Je vais essayer de vous aider... (Puis, comme les deux autres le regardaient sans cacher leur étonnement, il sourit finement :) Ce n’est pas parce que, ombre de la Reine, je ne fais jamais de bruit qu’il faut me croire idiot comme plus d’un le pense ! Du coup on ne se méfie pas de moi ! Je possède aussi l’art consommé d’écouter aux portes ! Chuchota-t-il en conclusion.

Mme de Guercheville ne put s’empêcher de rire.

— Décidément, il faut toujours se méfier de l’eau qui dort !

Le soir même, l’hôtel d’Angoulême se vidait de ses occupants. La duchesse regagnait Chantilly où l’appelait l’état de santé de son beau-frère. Le vieux Connétable de Montmorency était malade et, se croyant à l’article de la mort, voulait tout son monde autour de lui. De leur côté, les Courcy se refusaient à occuper son hôtel en son absence, ce qui la priverait ainsi de ses serviteurs les plus proches. L’inquiétude de Lorenza s’apaisa en recevant l’autorisation de « s’éloigner pour un temps de la Cour afin de se soigner » que lui fit porter Mme de Guercheville...

— Vous voilà libre pour un moment, souligna Hubert avec satisfaction.

— Comment l’entendez-vous ?

— Comme il faut l’entendre : il est beaucoup plus ardu de nous surveiller au milieu de notre étang au cas où il nous prendrait la fantaisie de revenir à Paris sous un déguisement discret. Et au moins nous serons chez nous !

Chez nous ? Cela disait tout et la jeune femme admit qu'elle était heureuse de retrouver le château qu'elle aimait et où son bonheur était né. Que l'on fût en hiver n’y changeait rien, bien au contraire : gardé par les bois et les eaux, Courcy trouvait moyen d’être plus confortable et plus chaleureux surtout que n’importe quelle autre résidence parisienne. En outre, à Courcy, tout lui parlait de Thomas, et même si l’interminable absence lui rendait sa pensée douloureuse, s’y mêlait une espérance que l’environnement familier faisait plus vivace. Enfin, échapper à l’atmosphère, pesante quand elle n’était pas empoisonnée, du Louvre était un réel soulagement ! Ne plus entendre la voix criarde de la Médicis la traitant en simple domestique, sans compter les « attentions » trop aimables du sieur Concini, voire les rencontres avec Sarrance, tout cela lui donnait un délicieux sentiment de délivrance.

Avant de quitter la rue Pavée, d’ailleurs, elle reçut un billet de Louise de Conti : le colonel de Sainte-Foy, bravant une tempête qui ne l’impressionnait pas, avait protesté hautement, devant la Régente, de l’usage que l’on avait fait de ses meilleurs officiers et réclamé leur retour quelle que soit l’étrangeté de la mission dont on les avait chargés, puisqu’ils n’avaient pas eu la possibilité de l’accomplir. Ce qui ôtait aux archiducs tout droit de les traiter en prisonniers de guerre ! On ignorait encore la réponse !

Les Courcy étaient à peine rentrés chez eux qu’un vent de frayeur s’abattit sur la Cour et souleva dans le peuple une vague de curiosité passionnée et d’indignation... De la Conciergerie où elle était enfermée, Jacqueline d’Escoman attaquait maintenant sans plus ménager personne, accusant ouvertement Mme de Verneuil et le duc d’Epernon d’avoir conspiré avec l’Espagne qui était, par eux, renseignée sur tout ce qui se disait au Conseil, et ainsi d’avoir, avec son aide, concocté la mort du Roi. Par la même occasion, l’ancienne dariolette accusait la marquise d’avoir fait assassiner le prévôt de Pithiviers qui avait trop parlé... Elle disait aussi avoir rencontré Ravaillac chez Mme de Verneuil - où on lui avait fait l’aumône - et chez Mlle du Tillet à plusieurs reprises. Lors d’une confrontation, cela donna lieu à une violente querelle entre les deux femmes que l’on eut toutes les peines du monde à empêcher de se crêper le chignon... Tant et si bien que le Parlement que présidait Achille de Harlay décida le procès public. Il ne pouvait agir autrement bien qu’il se souciât de préserver à la fois l’autorité de la Justice et celle de la Régente dont le nom était apparu plusieurs fois. En outre, le peuple menaçait sans cesse d’entrer en ébullition, aussi décida-t-il prudemment d’ajourner les débats vu la qualité des accusés. Bien entendu, Jacqueline d’Escoman resterait incarcérée jusqu’à l’ouverture du procès. Cependant, elle n’était pas au secret et il était possible de la visiter, de façon discrète toutefois et en graissant plus ou moins la patte des geôliers.

C’est ainsi qu’elle reçut, un soir, la visite d’un prêtre qu’elle jugea de haut rang puisque, sous la longue cape noire qui l’enveloppait, elle avait pu apercevoir une soutane violette. Il ne cacha d’ailleurs pas sa qualité.

— Je suis l’évêque de Luçon, dit-il en offrant aux lèvres de la prisonnière une main où brillait une améthyste. Et je suis venu vous aider dans la mesure de mes moyens.

— Vous voulez m’entendre en confession, Monseigneur ?

— Sans doute... mais plus tard. Pour l’heure, je souhaiterais que vous me racontiez votre histoire aussi précisément que possible. J’entends par là : ne mentez pas !

— Je n’ai jamais menti ! Pourquoi l’aurais-je fait puisque je sais qu’on me mènera au gibet ?

— Par esprit de vengeance peut-être envers ceux qui vous ont rejetée après vous avoir employée ?

— Non. Je n’ai agi que pour sauver le Roi que je savais en grave danger...

— Il est mort à présent. Alors pourquoi, à peine sortie de prison, vous êtes-vous mise à accuser tout le monde ?

— Pas tout le monde, Monseigneur. Les coupables uniquement parce qu’il est injuste qu’ils puissent jouir impunément de leur forfait et des bénéfices qu’il leur apporte. L’homme d’Angoulême qui a été exécuté en place de Grève n’était qu’un instrument entre des mains trop habiles pour lui.

— Pourtant il est mort - et de quelle mort ! - sans livrer un seul nom !

— Parce qu’il se croyait l’instrument du Seigneur. On l’avait persuadé sans relâche qu’il était son envoyé ! On ne dénonce pas le Tout-Puissant ! Il faut dire aussi qu’il n’avait pas l’esprit bien solide, que c'était un exalté persuadé d’agir pour libérer les peuples du règne d’un faux catholique, lubrique et adonné autant aux femmes qu’à Satan !...

— Il paraît qu’en marchant au supplice, il était persuadé d’aller à son triomphe, que le peuple l'acclamerait. Alors pourquoi s'être tu jusqu’au bout ?

— Parce qu’on avait inlassablement enfoncé dans sa pauvre cervelle qu’il ne devait prononcer aucun nom sinon la récompense que lui réservait le Seigneur Dieu en serait considérablement amoindrie ! Qu'étaient quelques heures de souffrance en regard de l'auréole des élus et d'un siège à la droite de Dieu ?

— Je vois ! Racontez-moi votre histoire maintenant.

Sauf pour préciser un détail ici ou là, il l'écouta avec une profonde attention et sans l'interrompre. Elle révéla alors ce qu’elle avait découvert : les courriers vers l’Espagne ou les Pays-Bas partant du château de Verneuil, les relations entre la marquise et le duc d’Epernon, les liens avec Mlle du Tillet, les « voix » que Ravaillac disait entendre et le travail de sape des « bons pères ».

— Et la Reine ? demanda enfin l’évêque. Pensez-vous qu’elle était au courant de ces menées ?

— Je n’en ai pas la preuve... mais j’en suis persuadée. Je sais qu’il existe des lettres envoyées non à elle mais à sa favorite, la noiraude qui guide toutes ses actions. Le Roi ne devait surtout pas mourir avant le couronnement !

— Ce qui signifie que la Galigaï trempait dans la conspiration ?

— Pas elle seulement ! Son mari aussi ! Il entretient depuis longtemps des relations avec l’Espagne dont il perçoit de l’argent...

Rien d’étonnant à cela ! Monseigneur de Luçon eut un mince sourire mais garda sa réflexion pour lui et reprit :

— Vous avez mentionné, tout à l’heure, la baronne de Courcy ?

— En effet ! Elle n’a pas voulu me conduire à la Reine mais elle a été si bonne pour moi quand elle a vu que le guet m’emmenait !

— Vous l’aviez connue chez Mme de Verneuil ?

— C’est juste, mais j’ignore si elle sait quelque chose de la conspiration. Peut-être ! Elle est intelligente et les courriers devenaient de plus en plus fréquents. On s’est d’ailleurs débarrassé d’elle assez rapidement, ce dont je ne crois pas qu’elle ait été fâchée. Il était évident qu’elle gênait !