— Bon appétit ! lança-t-elle. Je suis venue vous annoncer que votre robe vient d’arriver. J’avoue que je commençais à m’inquiéter mais enfin elle est là !

— Comment est-elle ?

— Sublime ! La maison Pèlerin s’est surpassée et il est préférable que la reine Marie ne nous honore pas de sa présence : elle s’en pâmerait de jalousie !

— Pas au point de se la faire « prêter » tout de même afin de la copier ? Elle a déjà oublié de me rendre mes bijoux...

— Ah ! Si l’on parle de bijoux, je crois que c’est mon domaine !

Après un coup léger frappé à la porte, le baron Hubert entrait dans la chambre suivi d’un valet chargé d’une cassette et d’une pile d'écrins.

— C’est l’approche de Noël qui vous inspire, Hubert ? Le taquina sa sœur. Quel dommage que nous ne soyons que deux ! Nous aurions fait une assez bonne imitation des Rois mages !

A la vue de son futur beau-père, Lorenza se hâta de se lever, d’enfiler sa robe de chambre et ses pantoufles. Elle se sentait soudain très émue.

— Ma chère enfant, commença le baron un rien solennel, puisque vous devenez ma fille en ce jour béni, j’estime naturel de vous remettre le petit trésor qui était celui de ma chère épouse Catherine, la mère de Thomas. J’espère que vous porterez ces babioles avec plaisir...

— ... et beaucoup d’émotion, murmura Lorenza à deux doigts des larmes. Mais c’est avec humilité que je les reçois. Comme un dépôt sacré qu’avec l’aide de Dieu, je voudrais transmettre, dans l’avenir, aux enfants qui seront, je pense, la meilleure façon de vous rendre un peu du bonheur que vous me donnez aujourd’hui...

— Ajoutez-y votre affection et nous serons comblés.

La gorge nouée par l’émotion, Lorenza les embrassa tous les deux.

En parlant d’un petit trésor, le baron Hubert avait fait preuve de modestie. Les joyaux dont elle se considérerait désormais comme dépositaire étaient dignes d’une princesse bien plus que ceux qu’elle avait apportés dans ses bagages. Colliers, bracelets, pendants d’oreilles, ornements de tête, ceintures, devants de corsage, broches, agrafes, il y en avait de toutes les couleurs, mais perles et diamants dominaient. Une mignonne couronne de chignon composée de fleurs en diamant semblait faite exprès pour retenir un voile de mariée.

— Vous voyez, dit Clarisse, que, si vous vous rendez à la Cour, vous serez aussi joliment parée que les duchesses.

— Ce qui est normal, appuya son frère, car si les Montmorency sont les premiers barons chrétiens, nous, les Courcy, sommes les deuxièmes et ce depuis des siècles. Mais qu’est-ce donc qui vous rend tout à coup si songeuse ?

Lorenza contemplait en effet l’étalement scintillant qui couvrait une table et auquel le soleil arrachait des éclairs.

— Je me demande justement si les porter à la Cour serait prudent. Il est vrai que je serais fort étonnée d’y être appelée et qu’en toute vérité je n’en ai pas envie !

— Si vous pensez à l’œil glauque et aux doigts collants de notre gracieuse souveraine, vous avez pleinement raison... à ceci près qu’il lui serait plus difficile de dépouiller la baronne de Courcy qu’une petite filleule nouvellement arrivée et dont personne ne savait rien ! Certaines de ces pièces sont célèbres! Et puis dites-vous que notre Dauphin a huit ans, qu’on le mariera peut-être bientôt et que notre Reine à venir ne sera pas affligée de la même passion collectionneuse que sa belle-mère! Bon, trêve de bavardage ! Je crois qu’il est l’heure d’aller nous adoniser et revêtir nos atours ! Et vous, jeune fille, ajouta-t-il en posant ses deux mains sur les épaules de Lorenza pour la tenir à bout de bras, songez seulement à vous, à être belle... et heureuse ! Il n’y a ici que des gens qui vous aiment et sont prêts à vous défendre ! Contre toute menace !

Bien que les fiancés eussent souhaité une cérémonie simple et que l’on eût convenu de n’inviter que les proches, il suffit à Lorenza d’un regard rapide sur la table préparée pour le festin pour constater que les convives seraient nombreux. Comme elle s’en étonnait auprès de la comtesse Clarisse, celle-ci lui répondit, gaiement, qu’on n’avait invité que les amis, c’est-à-dire les châtelains des environs que l’on connaissait depuis toujours à la seule exception des gens de Verneuil qui étaient d’acquisition récente et à qui son frère - et elle-même d’ailleurs ! -ne pardonnait pas l’offensante désinvolture avec laquelle on avait « déménagé » Lorenza.

— Et s’il n’y avait pas eu que les amis, ils auraient été combien ?

— Environ deux mille personnes au nombre desquelles sont les cousins qu’on ne voit jamais, la famille immédiate se réduisant à mon beau-frère, le marquis de Royancourt avec qui je suis brouillée. Je peux vous préciser que le chiffre eût été dépassé si nous avions reçu nos chers souverains et la Cour ! Vous voyez : nous serons dans l’intimité ! conclut-elle avec un regard satisfait sur la centaine de couverts sagement alignés. Evidemment, il y en aura au moins autant dans les granges où viendront festoyer et danser les villageois de Courcy. On y a allumé des braseros depuis hier soir et il vous faudra aller trinquer avec eux !

— Ce sera avec plaisir mais je voudrais savoir... est-ce que ce sera comme à Chantilly ?

— Vous voulez rire ? Il n’y avait même pas les proches et nos paysans seront bien mieux servis que nous ne l’avons été ! On est avare ou on ne l’est pas ! Et nous sommes les Courcy, que diable !

Il y eut pourtant, dans l’après-midi - le mariage devait avoir lieu à la nuit close ! -, un léger moment d’affolement quand le duc de Bellegarde fit son apparition avec un petit groupe de gentilshommes. Envoyé par le Roi qui, le matin même, pensait venir surprendre ses fidèles Courcy et conduire la mariée à l’autel, il était chargé de remettre un présent au futur couple - une paire d’aiguières de vermeil et de cristal ornées d’améthystes, de quatre roses et de petits diamants - et de remplacer le souverain dans le rôle qu’il espérait assumer lui-même, ce qui eût été un fort grand honneur mais eût obligé le baron Hubert à un exercice de diplomatie. Celui qui devait figurer le père de la mariée était en effet le vieux Montmorency et on le savait susceptible. Mais la Providence errait décidément du côté de Courcy. Au lieu de se vexer, le Connétable poussa un soupir de soulagement : une sournoise crise de sciatique s’était emparée de sa jambe droite - la meilleure des deux ! - et la perspective de la marche à l’autel le tourmentait d’avance !

Ce fut donc la main sur celle du Grand Ecuyer de France, somptueusement accommodé de drap d’or, de velours noir et de martre sous le collier de l’ordre du Saint-Esprit, que Lorenza fit son entrée dans la chapelle du château illuminée de plusieurs centaines de cierges et fleurie de lys, les mêmes qui se reproduisaient en perles et en fil d’or sur le brocart irisé de sa robe. Des perles encore mais semées de diamants sur la haute collerette de fine dentelle semblable au voile retenu par la petite couronne reçue le matin même. Aucun bijou ne coupait la ligne gracieuse de son cou orné de longues girandoles assorties à la couronne.

Elle irradiait la lumière, si différente de la mariée désespérée de l’an passé que Bellegarde, cependant blasé, mit un genou en terre pour recevoir la main qu’il allait guider et s'exclama :

— Par tous les anges du paradis, Madame, dites-moi que vous êtes l’un d’eux et je vous croirai ! Jamais mes yeux n’ont contemplé beauté plus rayonnante que la vôtre !

— C’est peut-être parce que je suis heureuse, Monsieur le Grand. Tout simplement !

Les mots étaient venus spontanément et Lorenza les découvrit en même temps qu’elle les pensait en dépit des menaces de la veille. Parce qu'elle était persuadée que rien ne pouvait l’atteindre, protégée comme elle l’était par ce château, l’affection de ses habitants et l’amour qu’exprimaient si clairement le regard et le sourire de Thomas qui, à présent, la regardait venir à lui au son triomphal de l’orgue et des violons. Et c’est de tout son cœur qu'elle lui jura amour et fidélité jusqu’à ce que la mort les sépare.

C’était un sentiment nouveau pour elle, différent de ce qu'elle avait éprouvé pour Vittorio, cet élan joyeux encore un peu enfantin venu soudain sur un air de danse et qui s'était dissous aussi vite. Plus encore de l’attirance charnelle ressentie pour Antoine de Sarrance quand leurs regards s’étaient croisés. Avec lui, elle se fût sans doute laissé emporter par tous les excès, toutes les fureurs de la passion mais la froide cruauté, l’acharnement qu’il avait mis à réclamer sa mort avaient brisé le sortilège et c’était sans restriction aucune qu’elle se donnerait tout à l’heure à son époux, simplement heureuse, après tant de périls courus, de pouvoir lui offrir un corps vierge de toute souillure.

Quand il eut passé le lourd anneau d’or à son doigt, il baisa sa main avec une émotion qui le fit trembler. Alors, spontanément, elle lui offrit ses lèvres et ce fut, dans la chapelle, à la face de tous et sous leurs acclamations qu’ils échangèrent leur premier baiser d’époux...

Dans la cour du château, les paysans revêtus de leurs plus beaux habits ovationnèrent le jeune couple qui les rejoindrait tout à l’heure pour boire à leur santé dans la salle basse où ils allaient festoyer. La nuit de décembre était belle, claire et pleine d’étoiles comme en été et il ne faisait pas vraiment froid grâce peut-être aux pots à feu disposés un peu partout. Cependant, une main discrète avait posé une cape d’hermine sur les épaules de Lorenza au moment où, appuyée sur le bras de Thomas, elle quittait la chapelle. L’usage aurait voulu qu’ils se tinssent par la main mais, après leur baiser, Thomas, irradiant de bonheur, avait gardé celle de sa femme pour la glisser sous son bras et l’y maintenir d’un geste tendre. Une extraordinaire atmosphère de joie régnait sur Courcy et personne n’y échappa, sans même savoir pourquoi, y compris les moins gracieux des invités, ceux pour qui un mariage n’était qu’une corvée mondaine de plus !