Il n’y avait rien à ajouter à cela et Sarrance ne se sentait pas de taille à rompre les lances avec la fille du défunt duc de Guise qui était, en outre, une amie de la Reine. Tandis que les deux femmes se dirigeaient vers l’escalier, il ébaucha un salut en les suivant des yeux puis, quand elles eurent disparu, s’en alla prendre sa part du souper.

Cependant Lorenza remerciait Louise.

— Je crois que vous m’avez tirée d’un mauvais pas, Madame la princesse, dit-elle avec un soupir de soulagement.

— Que voulait-il au juste ? Son visage n’avait rien d’aimable et je l’ai vu se disposer à saisir votre bras...

— Un entretien en tête à tête. C’est pourquoi il voulait m’accompagner. J’ai cru comprendre qu’il tenait plus ou moins à s'excuser.

— La méthode choisie me paraît contestable. Je ne vois pas ce qu’il pourrait avoir à vous dire alors que votre époux est prisonnier, le moment est mal choisi. Ou trop bien ! Prenez garde, Lorenza ! Jusqu’à ce que vous arriviez en France, je l’ai toujours considéré comme un charmant garçon mais depuis ce drame qui a failli vous anéantir je ne sais plus que penser... sinon qu’il ressemble de plus en plus à son père ! Ce qui, de ma part, n’est pas un compliment !

— Réussirait-il à décevoir la difficile princesse de Conti ? Plaisanta Lorenza.

— C’est un peu cela ! Il est beau, séduisant et ne rencontre guère de cruelles. Moi-même, j’ai un instant songé à lui mais cela n’a pas duré. Il connaît trop son pouvoir sur les femmes et je déteste que l’on veuille me dominer. Quant à lui, il devrait se méfier du temps qui passe... et des ravages que peut causer une vie de débauche. La fréquentation de Concini ne lui vaut rien et certains stigmates apparaissent déjà !

— Mais ne devait-il pas se marier ? Je n’ai plus revu sa fiancée parmi les filles d’honneur !

— Pour la bonne raison qu’elle n’y est plus ! Je ne l’aimais pas beaucoup mais j’avoue en être venue à la plaindre. Pauvre La Motte-Feuilly en vérité !

— Que lui est-il arrivé ? Il l’a épousée peut-être et...

Devant la mine inquiète de la jeune femme,

Louise de Conti se mit à rire.

— Et vous pensez qu’elle a eu droit au même traitement que vous avec son père ? Non... mais je crois qu’il a fait pire : il l’a engrossée et ensuite il a refusé d’en faire sa femme. Catégoriquement !

— Et il ne s’est pas retrouvé l’épée à la main en face d’un membre de sa famille ?

— Il n’y en a pas. Le seul qui reste est un oncle valétudinaire et à moitié gâteux. En fait, toute l’énergie de la tribu est concentrée dans la vicomtesse, sa mère. Une forte femme, croyez-moi ! Et devant laquelle notre séducteur a passé, m’a-t-on dit, un assez mauvais quart d’heure... mais le Roi venait de mourir. Elle n’a trouvé personne pour l’écouter.

— Mais... la Reine ? Cette fille lui appartenait ?

Louise considéra Lorenza avec une certaine stupeur.

— Vous êtes, vous, sa filleule, sa cousine, elle vous en a fait voir de toutes les couleurs et vous n’avez pas encore compris qu’elle est totalement hermétique à la plus élémentaire pitié ? Non, elle n’a rien fait sinon recevoir Sarrance à bras ouverts quand Concini le lui a ramené.

— Mais alors qu’est devenue Mlle de La Motte-Feuilly?

— La future mère ? On s'est hâté de lui trouver un époux. Pas très jeune, pas très frais mais très riche et appartenant à la magistrature. Elle est maintenant Mme la Présidente d'Epalainge et ne devrait plus être bien loin d’accoucher. J’avoue que j’aimerais à savoir à qui va ressembler le produit ainsi obtenu car, évidemment, on ne la voit plus. De toute façon, seule la mère garde le droit d’appartenir à la Cour!

— Pauvre fille ! On ne peut que la plaindre...

— Comme vous dites ! Mais si je vous ai raconté tout cela c’est afin de vous prévenir contre les entreprises de séduction du cher Antoine !

— Merci ! Je crois être désormais à l’abri des tentations. Le Ciel m’a donné un merveilleux mari que j’aime trop pour ne pas m’inquiéter de son sort. Et l’attitude de la Reine n’est pas faite pour me rassurer...

— Là, malheureusement, je ne suis guère en mesure de vous aider. Ma mère non plus d’ailleurs, bien qu’avec Mme de Montpensier elle soit sa meilleure amie... française tout au moins car personne, jamais, ne réussira à supplanter la Galigaï... et je vous vois mal aller lui faire des courbettes.

— En admettant que j’en aie envie, je ne m’y risquerais pas. Elle veille sur son conjoint comme un chien sur son troupeau et ne peut supporter qu’il m’adresse la parole ! Ce dont je préférerais qu’il s'abstienne !

— Que cela ne vous empêche tout de même pas de dormir ! Vous voici à destination ! Mes amitiés à votre tante !

Mais il était écrit qu’un sommeil paisible ne serait pas encore accordé à Lorenza et à sa famille,

En rentrant à l’hôtel d’Angoulême, Sauvegrain, le majordome, lui apprit que la duchesse désirait la voir dès son retour.

— A cette heure-ci ? Il est déjà tard...

— Sans doute. J’ajoute cependant que Mme la duchesse n’est pas seule. M. le baron et Mme la comtesse sont avec elle ainsi que M. l’ambassadeur Giovanetti !

La jeune femme tressaillit.

— Il est là ? Je n’ai pourtant vu aucun carrosse dans la cour.

— Il a fait le trajet à cheval, Madame la baronne, et il me semble avoir parcouru une longue route ! Je dirais même...

Mais Lorenza ne l’écoutait plus. Saisie d’une soudaine angoisse, elle ramassa ses jupes et s’élança dans l’escalier menant aux appartements d’honneur.

Giovanetti était là, en effet. Assis dans un fauteuil au coin de la cheminée face à celui de la duchesse Diane, il paraissait transi, ce qui n’avait rien d’étonnant compte tenu du temps, froid et humide, qui s'était abattu sur la France. Quand Lorenza entra, il tentait de retrouver une couleur normale à l’aide d’une copieuse bolée de vin chaud aux épices qui fumait encore et dont les effluves emplissaient la pièce où régnait le silence. Les trois autres se contentaient de le regarder d’un air accablé auquel, tout de suite, la jeune femme fut sensible. Au joyeux « Ser Filippo ! Enfin vous voilà ?... » Succéda :

— Mais quelles nouvelles rapportez-vous donc ? Thomas n’est pas...

— Non ! s’écria Courcy en quittant vivement son siège pour lui laisser sa place. Il ne faut pas pensa à cela ! Le cher garçon est en bonne santé !... Du moins, nous l’espérons !

— Vous... l’espérez ? Et vous estimez que cela va me rassurer ? Ser Filippo ! Que leur avez-vous dit ? Et d’abord pourquoi ne pas m’avoir parlé en premier puisque c’est moi qui vous ai demandé d'aller à Bruxelles ?

Il reposa le récipient, s'essuya la bouche et réussit à esquisser un demi-sourire.

— Mais c’est vous que je venais voir, donna Lorenza ! Seulement, vous n’y étiez pas...

— C’est juste ! Pardonnez-moi !... Alors qu’avez-vous appris là-bas ? Et pour commencer, qui avez-vous vu ?

— L’infante Isabelle-Claire-Eugénie et aussi l’archiduc Albert ! Avant d’être ambassadeur en France, j’ai accompli auprès d’eux une mission dont m’avait chargé le grand-duc Ferdinand. Ils ont bien voulu s’en souvenir. Cette entrevue n’entrait pas dans mes plans au départ car je voulais seulement apprendre où étaient détenus MM. de Courcy et de Bois-Tracy. Dans ce but, je me suis adressé à un mien ami, le banquier Crivelli, très introduit auprès de Leurs Altesses et de leur entourage pour obtenir les renseignements dont il a besoin. C’est lui qui m’a emmené tout droit au palais de Coudenberg où j’ai donc été reçu avec une certaine grâce...

— Laissez la grâce ! Au fait, Monsieur l’ambassadeur ! grogna le baron Hubert.

— Oh, c’est très simple ! Les deux hommes ont effectivement été dénoncés pour tentative d’enlèvement de la princesse de Condé et emprisonnés illico. On n’en a pas tout de suite averti Paris car la mort du Roi avait tout bouleversé là-bas... Je m’explique, même si c’est difficile à avaler : elle a déclenché aux Pays-Bas et singulièrement à Bruxelles une formidable explosion de joie. On a fêté l’événement pendant des jours.

— Cela nous le savions, coupa la comtesse Clarisse. Après ?

— On a donc averti la Régente... Elle s’est déclarée très satisfaite par retour du courrier ou peu s’en faut. D’où la surprise de Leurs Altesses quand un émissaire de Marie de Médicis est venu deux jours plus tard, nanti d’une petite troupe armée, demandant que l’on veuille bien lui remettre les deux prisonniers. Ses raisons étaient les meilleures puisque c’était elle qu’offensait le plus l’indécente passion de son époux pour la jeune Charlotte. C’était donc à elle qu’il appartenait de châtier ceux qui s’étaient rendus les complices de cette aventure sordide. Son messager était porteur d’une lettre écrite de sa main royale et les archiducs - plutôt soulagés d’ailleurs ! - n’ont vu aucun inconvénient à lui faire ce plaisir. On a donc extrait les deux hommes de leur prison et on les a remis à ceux qui venaient les chercher...

— Et qui étaient ? demanda Lorenza.

— C’est là que cela devient intéressant, grinça le baron.

— Monsieur de Vitry, capitaine de la deuxième compagnie des gardes, accompagné d’une douzaine d’hommes!

La jeune femme considéra un instant avec étonnement le visage convulsé de fureur de son beau-père,

— Je ne vois pas ce qu’il y a là d’extraordinaire ! Monsieur de Vitry, que je n’ai pas l’honneur de connaître...

—... N’a pas quitté le Roi, qu’il surveille comme la mère poule son poussin parce qu’il lui est tout dévoué et cela depuis le couronnement ! Voulez- vous me dire alors comment il a pu filer à Bruxelles s’emparer de mon fils et de son compagnon et cela au nom d’une Régente qu’il n’aime pas ?...