— Et où se situe Florence dans tout cela ?

— Mais... du côté des gagnants! Le nouveau grand-duc, marié à une Habsbourg, comme vous le savez, n’avait aucune sympathie pour Henri IV dont il n’a jamais cru la conversion sincère et il se veut catholique jusqu’au bout des ongles.

— Autrement dit, ses sujets peuvent être assurés d’un accueil amical aux Pays-Bas ?

— Je le pense !

— Alors... si vous en faisiez l’expérience? Vous m’avez encore dit récemment que vous désiriez, m’aider !

L’ancien ambassadeur s’accorda le plaisir de contempler sa visiteuse plus ravissante que jamais dans ses atours légers de faille azurée et de dentelle blanche, une amusante toque assortie mais ponctuée d’une plume d’autruche neigeuse, en parfait accord avec les jours chauds de ce début d’été mais pas tout à fait avec l’anxiété qu’elle avait avouée ! Jamais il ne l’avait autant aimée qu’à cet instant où elle venait lui demander de se dévouer en faveur de celui à qui elle s’était donnée... Finalement, il se mit à rire.

— Je ne me dédis pas. Je vais me rendre à Bruxelles où j’ai quelques relations et j’essaierai de savoir ce qu’on a fait de votre époux...

— Et de M. de Bois-Tracy ?...

— Pourquoi ? Vous l’aimez lui aussi ?

— Non, voyons ! S’exclama-t-elle, sensible à une soudaine dureté du ton de Giovanetti. Mais ils ont été embarqués ensemble dans cette galère et, de surcroît, ils sont liés par une solide amitié !

Il faillit lui demander si cette amitié ressemblait à celle qui unissait jadis Thomas de Courcy à Antoine de Sarrance, mais elle l’aurait peut-être regardé de façon moins amène s’il lui avait rappelé ces mauvais jours.

— Où en êtes-vous de vos relations avec la Reine ?

— Oh ! Rien de changé. Elle exige toujours ma présence parmi ses dames pour le seul plaisir de me dire des choses désagréables. J’ai beau essayer de lui donner le change, elle sait que je me tourmente pour mon époux et elle s’en pourlèche ! Je crois que je la hais !

— Vous n’en êtes pas sûre ? Elle fait pourtant le nécessaire pour cela. Et... personne parmi tous ces gens qui vous entourent ne se porte à votre secours ?

— Si ! Mais cela ne me cause aucun plaisir, au contraire !

— Qui ?

— Le signor Concini ! Les plaidoiries qu’il semble tenir à prononcer pour moi m’exaspèrent d’autant plus que la Galigaï ne les apprécie pas davantage que moi !

— Cela peut se comprendre. Mais ne vous êtes-vous pas fait des amis ?

— Trois, je crois. La princesse de Conti, son frère, le prince de Joinville, et Mme de Montalivet. Sans compter Mme de Guercheville qui ne dit rien mais dont les sourires encourageants me sont précieux !

— Voilà qui est bien. Nulle à la Cour n'a plus d’expérience qu’elle des Médicis puisque, dans sa jeunesse, elle a servi la reine Catherine !

— Il lui arrive - rarement ! - d’en parler mais toujours avec des nuances de regret.

— Vous ne m’étonnez pas ! Celle-là était remarquablement intelligente ! Une véritable tête politique. Impitoyable aussi. Pourtant... j’ai entendu, une fois, le Roi l’évoquer non sans une certaine admiration ! Etrange, non ? Dieu sait pourtant qu’elle lui en a fait voir !

Le 16 juillet, le prince de Condé faisait sans gloire son entrée dans Paris au milieu d’un peuple rechigné auquel il n’inspirait visiblement aucune sympathie. Il faut dire qu’il n’avait rien pour l’attirer : tout vêtu de noir, maussade, mâchonnant sa lèvre inférieure et sa barbe, il allait son chemin le dos voûté comme s’il s'attendait à recevoir des coups. La Régente lui avait cependant envoyé une belle escorte : les ducs d’Epernon, de Montbazon, de Bouillon et de Bellegarde à la tête de deux cents cavaliers. Mais de la foule fusèrent quelques quolibets visant les cornes qui se dissimulaient sous son chapeau et beaucoup faisaient des signes de croix, les astrologues ayant prédit qu’au jour de son arrivée le sang coulerait.

Néanmoins, il atteignit le Louvre sans encombre et fut conduit dans la chambre de la Régente afin de souligner le côté familial de l'affaire. Le Roi l’y attendait auprès de sa mère. Il y avait là aussi l’autre prince du sang, le comte de Soissons, qui s'ennuyait à l’évidence prodigieusement, les cardinaux présents à Paris, Sully et une poignée de gentilshommes dont aucun n’était là pour s’amuser.

Si grand que fût le déplaisir qu’il en éprouvait, le revenant dut s’agenouiller devant Louis XIII. En dépit de son âge, sa jeune Majesté avait fort grand air. Sans sourire, il releva Condé de sa génuflexion, le prit un instant dans ses bras avec quelques mots de bienvenue, après quoi le prince remit genou à terre devant la Régente qui, elle, l’accueillit avec un élan qui ressemblait à de l’affection. N’était-il pas l’homme courageux qui avait osé s’opposer ouvertement aux projets libidineux du feu Roi sur sa femme ?

Elle l’aime tellement qu’elle va le loger à l’ancien hôtel de Gondi dont elle lui fera cadeau plus tard en y ajoutant un modeste appoint de 300 000 livres ! Générosité qui donne tout de suite à penser au comte de Soissons et à certains autres princes méditant des rébellions plus ou moins ouvertes. Pour avoir la paix, Marie de Médicis va les arroser d’or. Quelqu'un a compris ce qui va se passer : Sully, impuissant et navré, sait où iront s’engloutir les beaux millions en or amassés par lui dans la tour du Trésor à la Bastille.

Pour sa part, Concini va se faire attribuer une grosse somme pour acheter le marquisat d’Ancre et les places fortes de Péronne, Roye et Montdidier. La Galigaï devient donc marquise ! Mais on ne s’arrêtera pas là ! Dans l’immédiat, cependant, la grande affaire c’est le sacre du jeune Roi. Il devait, cette fois, avoir lieu à Reims le 17 octobre avec tout le faste qui convient... mais il ne sera jamais aussi beau que celui de sa mère qui, durant les préparatifs, ne cesse de rappeler au premier venu les splendeurs du sien, tellement merveilleux que le paradis ne pouvait être plus beau... C’est du moins elle qui le dit !

En fait, ce sera tout autre chose et pas seulement une grand-messe suivie d’un couronnement mais « l’accomplissement d’un rite venu du fond des âges où le profane et le divin s’imbriquaient étroitement... Ointe et sacrée la personne du monarque était censée renaître à une nouvelle vie ; elle procédait de la majesté divine... car le roi de France n’était point un souverain ordinaire mais le lieutenant de Dieu et son épée. C’était cela la signification du sacre14 ».

Longue, somptueuse, imposante et très émouvante, la cérémonie était éprouvante même pour un adulte en raison du poids des ornements sacrés et de la longueur du rituel. Pourtant, cet enfant d’à peine dix ans la supporta sans faiblir, sans donner la moindre impression de fatigue. Heroard, son médecin qui ne le quittait jamais, se tourmenta en vain. Louis était bien le digne fils de son père. Et quand, ayant reçu des mains du cardinal de Joyeuse les sept onctions, l’anneau de son mariage avec la France et revêtu le lourd manteau aux lys d'or, il se tourna vers la foule, la couronne sur la tête et, en main, le sceptre et la main de Justice, une vibrante acclamation monta vers lui.

— Messieurs ! commenta gravement le baron de Courcy, nous avons là un roi qui sera grand... à condition qu’on le lui permette !

— Que voulez-vous dire ? Murmura d’Epernon.

— Rien d’autre que ce que j’ai dit ! La clique étrangère qui l’entoure, à commencer par sa mère, va confisquer le pouvoir jusqu’à sa majorité... peut-être même au-delà ! C’est à nous, gentilshommes français, de veiller !

— On y veillera ! fit joyeusement Bassompierre. Il me plaît, à moi !

Mais ce n’était pas assez. Louis allait forcer l’admiration des plus indifférents lorsque, quatre jours plus tard, il aborda le plus difficile : le pèlerinage aux environs de Laon, à Corbeny, afin d’y prier saint Maclou et d’y toucher les écrouelles. Avec le sacre, les rois de France recevaient le don de guérir les plaies purulentes des scrofuleux, un mal fréquent à l’époque. Aussi, le lendemain du sacre, de longues files de malades se dirigeaient-elles vers le sanctuaire de leur saint patron... Or, il ne s’agissait pas, pour le Roi, d’effleurer une partie saine de la peau mais bien de poser ses mains sur les plaies en disant : « Le Roi te touche, Dieu te guérit ! »

D’ordinaire, quelques dizaines de malades se présentaient mais, cette fois, il s’agissait d’un enfant, pur de toute souillure et oint par le Seigneur. Il en vint près de neuf cents !

— C’est impossible ! s'exclama Heroard terrifié face à cette multitude le plus souvent loqueteuse et nauséabonde. Il n’y arrivera jamais ! Il est trop jeune pour pareille épreuve !

Et pourtant !

Vitry, le capitaine des gardes, faisait agenouiller les malades les mains jointes à son approche et veillait de près, redoutant on ne sait quel mauvais coup. Mais tout se passa au mieux. Blême, la sueur au front mais tendu par une volonté bien au-dessus de son âge, le petit Roi s'approcha, toucha ces gens qui levaient vers lui des yeux pleins d’espoir, au front, au menton et aux joues. Quatre fois, Heroard le fit asseoir pour qu’il reprenne des forces et, quatre fois, il revint jusqu’à ce qu’enfin il n’y eût plus personne devant lui.

Sa mère, qui n’avait rien compris et continuait à jacasser sur les beautés de son propre couronnement, oubliant les incidents grotesques qu’il avait suscités, lui demanda peu après :

— Eh bien, mon fils, seriez-vous prêt à recommencer ?

— Oui, Madame... Pour un autre royaume !

Elle rit, sottement, mais Concini, lui, n’avait pas ri.

Il n’avait pas aimé non plus l’enthousiasme populaire qui avait porté Louis tout au long de ces journées. Pour la réalisation de ses desseins - son ascension vers le pouvoir ! -, il convenait que Louis ne quittât pas une ombre dont on le sortirait le moins possible. On allait le rendre à ses jeux, à ses soldats et canons miniatures, à ses animaux, ses oiseaux de chasse... et à la confection de pâtisseries pour lesquelles il montrait un réel talent. Rien d’autre! L’arriviste l'avait déclaré « enfant enfantissime » ! Il fallait qu’il le reste. Sa mère - nul plus que lui ne le savait ! - ne s’y opposerait pas, bien au contraire ! C’était tellement amusant, le règne sans partage !