L’indignation poussa Lorenza à la faute.
— Il est revenu afin d’occuper à Saint-Denis le rang qui était le sien auprès du Roi. Ses deux compagnons sont restés... sur ordre ! Ils ignoraient que le Roi mourrait le lendemain...
— C’est toujours aisé à dire ! Ils ont saisi l’occasion d’agir de leur propre initiative afin de se mettre en avant... Malheureusement, ils ont été pris la main dans le sac... et les voilà en prison, les pauvres ! Sans grand espoir d’en ressortir, ajouta-t-elle avec satisfaction.
— Ils sont français, Madame !
— Sans doute. Et alors ?
— Leur sort devrait intéresser la Régente de France ! Ils sont ses soldats, il me semble ?
— Non. Ce sont des hommes de peu qui se sont chargés d’une affaire louche d’espionnage et d’enlèvement ! Nous n’allons certes pas réclamer... ça !
Le mot souffleta la jeune femme qui se serait peut-être précipitée sur cette matrone obtuse si son ange gardien ne lui avait envoyé un allié de poids : Bassompierre qui amenait avec lui le colonel de Sainte-Foy, visiblement outré de ce qu’il venait d’entendre.
— Madame, commença-t-il, voici le comte de Sainte-Foy, colonel des chevau-légers de Sa Majesté, qui aimerait beaucoup qu’on lui restitue des officiers dont il apprécie particulièrement les services !
— Hé, que ne les a-t-il gardés par-devers lui au lieu de les envoyer courir des aventures où ils n'avaient que faire ?
— J’en demeure d’accord, Votre Majesté, concéda froidement l’officier, et je m’étais permis quelques considérations mais ils sont comme moi-même de fidèles serviteurs du Roi... et quand le Roi commande, nous obéissons sans discuter. Quel que soit l’ordre !
— Vraiment ? Et s’il vous avait commandé d’aller assassiner quelqu’un, vous l’auriez fait ?
— Non... parce que le roi Henri jamais n'aurait ordonné telle infamie ! Mais donner notre sang jusqu'à la dernière goutte, oui, cent fois oui ! Je ne cesse d'ailleurs de regretter qu’il ait refusé l’escorte à cheval, ce funeste jour : jamais ce monstre ne l’aurait atteint !
— Les voies de Dieu sont impénétrables ! Soupira la Régente en approchant un mouchoir de fine batiste de ses yeux secs. (Puis, considérant la haute silhouette rigide du colonel, elle afficha sur ses traits un sourire :) Nous allons faire droit à votre demande, Monsieur, et nous allons réclamer... M. de Bois-Tracy !
— Seulement ? Lâcha Sainte-Foy qui n’avait jamais su pratiquer l’escrime de cour. Pourquoi pas Courcy ?
— Parce que son cas est assez différent de celui de son compagnon. En d’autres circonstances, le baron de Courcy s’est mis à la traverse d’un jugement de cour ainsi que d’ordres donnés par nous ! Un peu de prison ne pourra que lui faire le plus grand bien car nous n’avons pas confiance en lui !
— C’est l’homme le plus vaillant et le plus loyal qui soit ! Protestèrent en chœur Bassompierre et le colonel.
— Allons, tant mieux si vous le voyez de la sorte ! Quant à nous, notre siège est fait : ce sera M. de Bois-Tracy ou personne ! Voulez-vous prendre acte, Monsieur l’ambassadeur?... Madame de Courcy, nous n’avons plus rien à vous dire !
Elle tourna alors les talons et réintégra le cabinet du Roi avec son visiteur. Les doubles portes se refermèrent sur eux... Lorenza rejoignit alors les deux hommes qui avaient plaidé pour Thomas et les remercia en s’efforçant de retenir les larmes qu’elle sentait monter à ses yeux.
— Nous n’avons dit que ce nous pensions, assura le Lorrain, tandis qu’après un salut, le colonel s’éloignait. Voulez-vous que je vous accompagne à votre voiture ? Je devine à votre air, Madame, que vous n’avez guère envie de rester ici.
— Vous devinez juste, Monsieur. Je ne veux pas demeurer plus longtemps en ce lieu où l’on ne cesse de m’abreuver d’injures ou de sous-entendus cruels. En outre, il faut que j’aille prévenir mon beau-père !
Elle accepta la main qu’il lui offrait pour gagner le Grand Degré mais, avant qu’ils ne fussent sortis des appartements, ils furent rejoints par la princesse de Conti.
— Un instant, cousin ! Juste un mot à la baronne ! Inutile de vous écarter, il ne s’agit pas d’un secret. Pensez-vous revenir ? demanda-t-elle à Lorenza.
— A moins que l’on ne me rappelle, sûrement pas ! Le nom que je porte ne mérite pas de servir aux amusements de ces gens-là !
— Je ne peux que vous donner raison mais assurez le baron qu’il peut compter sur le soutien de tous les membres de notre maison.
— Je crois qu’il en sera heureux mais n’êtes-vous plus l’une des amies de la... Régente ?
— Ma mère, la duchesse de Guise, l’est plus que moi... du moins en apparence. Voyez-vous, ma chère, son principal défaut est la curiosité et l’entourage immédiat de Sa Majesté est un lieu rêvé pour être au courant de tout ! Quant à moi, je regarde et j’écoute. C’est toujours instructif et nous nous reverrons !
Lorenza remercia d’un sourire. Cette amitié qui se confirmait la réchauffait et, en regagnant sa voiture avec Bassompierre dont elle savait qu’il avait été le favori d’Henri IV - en tout bien tout honneur ! -, elle percevait que l’appui de la maison de Guise, assez élevée pour pouvoir prétendre à la couronne, n’était rien moins que négligeable !
Ce fut aussi l’avis du baron Hubert quand Bassompierre - qui avait finalement tenu à lui ramener sa belle-fille - lui fit le récit de ce qui venait de se passer. Il l’en remercia avec cette dignité derrière laquelle il s’abritait quand il était touché, en se gardant cependant d’aucun commentaire sur l’attitude de la Régente tant que le jeune homme fut à l’hôtel d’Angoulême. Mais à peine était-il sorti qu’il donna libre cours à sa colère - qui pouvait être violente - tout en conservant suffisamment de lucidité pour éviter de casser les meubles et objets d’une demeure qui n’était pas la sienne. Inquiètes malgré tout, Clarisse et Lorenza le regardaient aller et venir en mâchonnant dans sa barbe des paroles incompréhensibles. Finalement, Lorenza se risqua à murmurer :
— Même si la distinction que l’on fait entre eux est profondément injuste et dure pour nous, ce sera peut-être une bonne chose de voir revenir M. de Bois-Tracy. D’abord, c’est un ami et ensuite il aura probablement à cœur de nous apprendre où mon cher époux est retenu prisonnier et...
Courcy arrêta net ses déambulations.
— Vous pensez à quoi ?
— A favoriser son évasion, évidemment ! Père, vous possédez d’immenses domaines sur lesquels se trouvent une multitude d’hommes. Ne serait-ce qu'à Courcy où vous disposez de soldats expérimentés. Il ne devrait pas être insurmontable pour vous d’organiser une expédition pour tirer Thomas de sa prison lorsque nous saurons où il est retenu ! Et j'irai avec vous !
— C’est la révolte ouverte que vous prêchez là, Lorie ? S’inquiéta sa tante.
— J’en ai conscience, soyez-en certaine ! Mais je connais aussi trop la malveillance de la veuve du Roi. Elle n’a pas dû pardonner à Thomas de m’avoir arrachée au bourreau et fait de moi sa femme. Elle ne me supporte dans son entourage que pour le plaisir de m’humilier et de me faire souffrir. Et je n’ai à attendre d’elle ni secours ni la moindre empathie. Dieu sait ce qu’il peut advenir à Thomas quand son ami ne sera plus avec lui pour en témoigner ! Et moi, je veux retrouver celui que j’aime ! Sinon ma vie n’a plus de sens ! Vous comprenez ?
— Ô combien ! Soupira Clarisse. Et vous avez l’intention de retourner au Louvre ?
— Ce n’est pas à elle que cela incombe, coupa son frère. C’est à moi ! N’ayez crainte ! Se hâta-t-il d’ajouter. Quelque envie que j’en aie, je n’assènerai pas à cette femme ses quatre vérités mais je veux lui faire entendre la voix de la plus ancienne noblesse d’un pays sur lequel elle prétend régner !
— Elle vous fera embastiller ! fit Lorenza amèrement.
— Je ne crois pas !
En effet, les craintes de la jeune femme ne se vérifièrent pas. La Régente, qui reçut Hubert à la sortie du Conseil entre Villeroy et Sully, l'écouta même presque aimablement. Il ne devait pas prendre au sérieux ce qu'elle avait dit à sa jeune cousine qui méritait une leçon pour sa tendance à dépasser trop souvent les bornes de l’insolence. Bien entendu, on allait demander le retour des deux prisonniers ! Cela ne devait guère poser de problème, les relations avec les Pays-Bas ayant pris une tournure toute nouvelle pour le bien commun à deux peuples...
Mais, en dépit de ses sourires, elle ne réussit pas à convaincre son visiteur.
— Je demeure persuadé qu’elle n’a réclamé que Bois-Tracy ! Fulmina-t-il sans ajouter qu’il espérait de tout son cœur que l’on ne ferait pas disparaître discrètement son fils. Mais Clarisse l’avait deviné.
— Alors nous reviendrons à notre projet primitif dès qu’Henri sera de retour.
Mais Bois-Tracy ne réapparut pas.
Chapitre VI.
L’accusatrice
— Voilà où nous en sommes ! s’exclama Lorenza. Je ne voudrais certes pas vous mettre dans une mauvaise passe mais je ne vois personne à qui confier mon angoisse. Parmi ceux qui pourraient être qualifiés tout au moins...
Filippo Giovanetti sourit en s'inclinant légèrement.
— Vous me faites beaucoup d’honneur, donna Lorenza! Je ne suis pas sûr d’en être digne.
— Oh, de grâce, ne jouez pas à ce jeu-là avec moi ! s’écria-t-elle. Vous n’êtes plus ambassadeur mais vous êtes toujours diplomate. Ce n’est pas un titre, c’est une aptitude... ou un talent, comme vous voudrez ! Et cela ne s’oublie pas. Si quelqu’un peut comprendre quelque chose à l’imbroglio politique actuel, c’est bien vous !
— Où voyez-vous un imbroglio ? Les choses, au contraire, sont fort claires : nous assistons à un retournement d’alliances et à un allègre balayage des plans conçus par le roi Henri. Plus de guerre de Troie pour récupérer une belle princesse et s'emparer de Juliers !... A moins que le maréchal de Lesdiguières qui n’en est pas loin ne prenne sous son bonnet de s’en emparer en faisant la sourde oreille aux échos parisiens13." Le petit Roi devait épouser une Savoyarde, il épousera une infante, que cela lui plaise ou non, et l'archiduc Albert - que je soupçonne de n’être pas totalement étranger à un assassinat qui fait si opportunément son affaire - doit dormir tranquille. Vous voyez, c’est clair !
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