— Gageons, dit-il après l’avoir saluée, que vous allez me poser la même question que M. de Sainte-Foy il y a un instant : où sont passés votre époux et M. de Bois-Tracy ?
— C’est cela même... ce dont je demande excuses à un moment où les plus fidèles amis de notre Roi sont dans l’affliction !
— Vous aussi?... En dehors du fait que vous craignez pour votre Thomas ?
— Oui ! Quand Sa Majesté est sortie de la chambre de la Reine pour rejoindre le carrosse fatal, je l’ai suppliée, implorée de ne pas quitter le Louvre... Mais il n’a rien voulu entendre. Je savais pourtant que l’homme en vert n’était pas un mythe et qu’il existait réellement !
— Vous le connaissiez ?
— Non, mais je l’avais vu près du château de Verneuil en conversation avec l’une des femmes de la marquise et, pendant des jours, le baron de Courcy, mon beau-père, l’a traqué à travers les auberges de Paris...
— Pour l’amour de Dieu, taisez-vous !... Ou plutôt non: ma voiture est là ! Montez, je vous ramène chez vous !
— Mais... la Reine ?
— Vous aurez droit à une algarade de plus ? Cela vous fait tellement peur ?
— Oh ! Pas vraiment, le rassura-t-elle avec un sourire. C’est une question d’habitude, je crois.
— Je savais que vous étiez courageuse, fit-il en l’aidant à prendre place dans le carrosse dont un laquais tenait la portière ouverte. Touche à l’hôtel d’Angoulême ! ajouta-t-il à l’intention du cocher. Et maintenant, racontez-moi tout !
Elle refit donc, pour lui, le récit de cet épisode de son séjour chez Mme de Verneuil dans lequel elle mentionna les recherches de son beau-père pour terminer par sa brève rencontre avec Mme d’Escoman, l’arrestation de celle-ci et la récupération du petit Nicolas. Sully l’avait écoutée sans l’interrompre mais, quand elle eut achevé, il ne put retenir un soupir accablé.
— Que n'ai-je su tout cela plus tôt ! A présent, il faut agir de telle sorte que votre rôle - bien léger pourtant ! - dans cette affaire ne soit pas ramené au jour !
— Que dois-je faire ?
— Vous arranger, immédiatement, pour que l’enfant recueilli soit conduit à Courcy... ensuite vous taire !
— Comment l’entendez-vous ? Se cabra Lorenza, vexée. Je n’ai pas coutume de clabauder à tous vents !
— Ne vous fâchez pas, je le sais, mais j’espère que, dans la maison de la duchesse Diane, le personnel ignore d’où vient le petit garçon. De mon côté, je vais me renseigner pour apprendre si sa mère est toujours à la Conciergerie afin qu’elle n’ait aucun contact avec ce Ravaillac. Quand le procès sera clos, nous verrons ce que l’on peut faire pour elle.
— Savez-vous si l’homme a nommé des complices ?... Mais peut-être ne vous informe-t-on plus ?
Il fit une affreuse grimace et bougonna :
— N’exagérons rien ! Même si je sens que cela pourrait venir, on ne m’a pas encore relevé de mes fonctions et je conserve de nombreux fidèles. Etre au courant de ce qui se passe dans les prisons n’est pas un problème. Je conserve des amis au Parlement qui va juger l’assassin. Pour en revenir à cet illuminé, il s’en tient à ses premières déclarations et ne cesse de clamer qu’il a agi seul, spécifiant qu’un envoyé de Dieu n’a besoin de personne pour accomplir sa volonté. En dépit de ses conditions d’incarcération, il est heureux... même à la pensée des supplices qui l’attendent ! Il est persuadé qu’une force surnaturelle lui sera accordée. Il est vrai que, tant qu’il a été enfermé à l’hôtel de Retz, il a reçu la visite des Jésuites... et je donnerais ma barbe pour connaître la raison de cet arrêt d’une journée chez Epernon ! Rien que cela... et le fait qu’il soit venu d’Angoulême signent le crime !
— Vous pensez que le duc...
— ... Trempe dans cette boue jusqu’au cou ? Mais c’est l’évidence, voyons ! De là à le démontrer... C’est un homme habile, vous savez !
— Vous l’êtes au moins autant !
— Mais je ne possède pas sa ruse. En outre, il haïssait le Roi parce qu’il avait succédé sur le trône à son cher Henri III. Enfin, il vient de subir une cruelle déception : après s’être démené comme un diable pour s’assurer du pouvoir, il voit grandir chaque jour celui de Concini ! C’est encore plus dur pour son orgueil que pour son ambition !... Mais vous voilà rendue ! Hâtez-vous de suivre mon conseil ! Je vais essayer de savoir où sont votre époux et Bois-Tracy !
Le soir même, le baron Hubert regagnait son château, emmenant avec lui Bibiena - pas trop contente de se séparer de Lorenza ! - et le petit Nicolas. On dut promettre à la nourrice qu’il s’agissait d’une solution provisoire et que l’on verrait à chercher un couple de braves gens sans enfants qui l’accueilleraient avec d’autant plus d’empressement qu’on les rétribuerait en attendant d’en faire un jardinier ! Le baron tenait à son idée, et le petit était d’ailleurs attachant !
Le 16 mai, jour où la « joyeuse entrée » aurait dû dérouler ses fastes, s’ouvrit le procès de Ravaillac, mené par le président de Harlay. Trois autres jours d’interrogatoires suivirent sans qu’il soit possible d’obtenir l’aveu d’une complicité quelconque, même quand on menaça de faire venir d’Angoulême son père et sa mère pour les mettre à mort. Toujours aussi fier de lui, l’accusé ne cessa de proclamer qu’il avait frappé pour obéir à la volonté de Dieu et pour le bien du peuple dont il était persuadé qu’il lui en était certainement très reconnaissant.
Aussi fut-il décontenancé quand, le 27 mai, on le conduisit à la mort en place de Grève au milieu d'une foule hurlante que les cordons de soldats avaient bien du mal à contenir et qui se calma un peu au spectacle de l’effroyable supplice qui l’attendait.
Le nonce Ubaldini le relata brièvement à l’intention du pape Paul V : « On a fait justice du malheureux qui a assassiné le Roi. On lui brûla la main qui commit le parricide, on lui coula de la poix et du plomb sur ses plaies11 et enfin il fut écartelé en quatre morceaux par quatre chevaux. Il a été constant à assurer n’avoir été poussé par autre cause que par le zèle de la religion ; de quoi enfin il s’est repenti et a reconnu son erreur et sa faute et il est mort " saintement ” et avec constance... »
Après de pieuses louanges à Dieu, Ubaldini ajoutait curieusement :
« Chose étrange, des lettres particulières écrites le 13 mai ont été portées à la Reine venant de Flandre : elles indiquaient que le roi de France avait été assassiné... »
Quelques jours avant de recevoir l'épître du nonce, Paul V, donnant audience à l’ambassadeur de France, lui disait avec tristesse :
— Vous avez perdu votre bon maître et moi mon bon fils aîné.
Aucune hypocrisie là-dedans ! Le pape, s’il craignait que la religion réformée ne prît trop de place en France, redoutait encore plus l’hégémonie des Habsbourg, qu’ils soient d’Espagne ou de l’Empire, et il s’était attaché à maintenir l’équilibre entre Paris et Madrid. Le meurtre l’avait épouvanté d’autant plus qu’il avait été commis plus ou moins au nom de l’Eglise. Apprenant que le prince de Condé était à Milan où il couvait une ambition démesurée, il lui envoya l’abbé d’Aumale pour l’empêcher d’émettre ses prétentions au trône et le persuader d’adresser à Louis XIII une protestation de loyauté... Ce à quoi d’ailleurs Condé obéit sans trop rechigner.
En France, cependant, les bruits gênants continuaient à courir. Le prévôt de Pithiviers avait été découvert pendu avec les cordons de ses caleçons dans la cellule de la Conciergerie où il avait été jeté après avoir annoncé, en jouant aux boules, et le jour même de la mort du Roi, que celui-ci devait être assassiné à ce moment-là. Ce qui n’empêcha pas les gens de Pithiviers et aussi des environs de conclure avec un ensemble parfait « que la mort de cet homme venait bien à point pour Monsieur d’Entragues, sa fille la marquise de Verneuil et toute sa maison ».
Restait Jacqueline d’Escoman mais, avant d’y transférer Ravaillac, on l’avait extirpée de la Conciergerie pour l’enfermer jusqu’à nouvel ordre dans un couvent sévère. Tout était donc pour le mieux et l’on allait pouvoir conduire le défunt à Saint-Denis, premier roi Bourbon à y reposer.
Le 29 juin, le cercueil quitta le Louvre pour se rendre à Notre-Dame... où le clergé dut en découdre avec ces Messieurs du Parlement qui le revendiquaient. Sous l’œil impassible du petit Louis XIII, on échangea quelques horions et les chanoines de la cathédrale firent même parler la poudre en braquant quelques arquebuses. Chez les parlementaires d’ailleurs, on n’était pas d’accord entre membres de la Cour des aides et ceux de la Chambre des comptes. Finalement, à 9 heures du soir, le corps reposait dans le chœur où il fut veillé par les chanoines vainqueurs, les bourgeois et de pauvres gens.
Le lendemain, un imposant cortège se forma où étaient tous les hommes qui comptaient à la Cour comme à la Ville, y compris les princes, les hauts dignitaires de l’Eglise et les ambassadeurs étrangers parmi lesquels personne ne songea plus à attaquer son voisin. Par la rue Saint-Denis dont toutes les maisons étaient tendues de noir - une torche était allumée devant chaque porte et les armes de France alternaient avec celles de Paris -, on prit le chemin de la basilique. La foule qui se pressait était si dense qu’on s’y entretuait. Enfin, à la porte Saint-Denis, la dépouille fut remise aux moines de l’abbaye royale. L’inhumation étant pour le lendemain, une partie du cortège s’en alla coucher sur place, quand l’autre regagnait l’intérieur de Paris.
Le matin suivant, 1er juillet, eut lieu le rituel final. Après la messe chantée, le corps fut déposé dans la fosse ouverte au milieu du chœur où descendit un héraut d’armes. Des profondeurs, il appela l’un après l’autre tous les insignes royaux et ceux qui les portaient vinrent les jeter sur le lourd cercueil. Lorsque ce rituel fut terminé, le héraut, toujours du fond du caveau, cria par trois fois :
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