— Le Roi est mort ! Le Roi est mort ! Se met-elle à clamer.
— Non, Madame, rétorque le chancelier. En France, le Roi ne meurt jamais et nous sommes là pour servir Louis, treizième du nom, désormais roi de France et de Navarre !
Tandis que, les larmes enfin taries- elles ne reviendront plus guère ! -, on entamait les discussions, le duc d’Epernon, lui, ne perdait pas son temps et distribuait des ordres destinés à lui assurer le pouvoir... Colonel général de l’infanterie, il mit le Louvre en défense pour que le bruit du décès ne filtre pas, envoya ses consignes au Pont-Neuf, à la rue Dauphine et aux Grands-Augustins où siégeait exceptionnellement le Parlement8. En son nom, Bassompierre patrouilla dans les rues à la tête des chevau-légers sans se soucier de leur colonel et envoya le duc de Guise - son ennemi ! -veiller à l’ordre. Après quoi et avec une forte escorte, Epernon se rendit à l’Hôtel de Ville pour ordonner au Prévôt des Marchands, Jacques Sanguin, de fermer les portes de Paris et de réunir en armes la milice bourgeoise. Ensuite, satisfait de s'être ainsi assuré la puissance militaire, il se rendit au Parlement auquel il intima, sous peine de mettre la ville à feu et à sang, de remettre sur l'heure la régence à la Reine avec les pleins pouvoirs... ce qui annihilait les mesures prises par le Roi défunt afin de limiter le plus possible les décisions de son épouse.
Quant à Sully, il avait reçu un billet lui conseillant de rester chez lui « s’il ne voulait pas qu’il lui arrive malheur ! ». Par trois fois, il tenta de passer outre... et se fit refouler : M. d’Epernon ne voulait pas de lui. Fou de colère et de chagrin, il alla alors s’enfermer à la Bastille qu’il fit mettre en défense afin de protéger le trésor qu’il avait accumulé pour son Roi !
Ainsi, à l’heure même où le Dauphin Louis apprenait la mort d’un père bien-aimé, l’ancien mignon avait réuni entre ses mains tous les pouvoirs du royaume... Du moins le pensait-il !
Cependant, au Louvre refermé comme une forteresse autour du corps sans vie d’un homme qui en débordait encore le matin même, Marie de Médicis, dont le chagrin diminuait à vue d’œil, donnait l’ordre que l’on dresse dans sa chambre le lit de son fils Louis. Non pour apaiser sa douleur et sa révolte - « Ah, si j’eusse été là avec mon épée, je l’eusse tué ! » avait-il crié entre deux sanglots -, elle ne l’aimait pas assez pour cela, mais parce qu’il était désormais le Roi... Un roi de neuf ans que l’on couronnerait bientôt mais qui n’aurait pas plus de poids qu'une image jusqu’à ce qu’il eût atteint sa majorité. Et encore ! De toute façon, cela représentait cinq belles années qu’elle allait employer à sa guise en menant la vie qui lui convenait et en s’entourant de ceux qui lui plaisaient. Ce qui ne faisait pas beaucoup...
Après que l’on eut ramené la dépouille du Roi, Lorenza n’avait pu supporter longtemps la douleur spectaculaire de la Reine. S’excusant auprès de Mme de Guercheville sous le prétexte d’un soudain malaise - ce dont la dame d’honneur, qui s’efforçait de cacher ses larmes, n’avait pas été dupe mais qu'elle avait fort bien compris -, elle s’était enfuie. La vue des amis du Roi venus baiser la main de cette dondon à demi répandue sur sa chaise longue lui donnait envie de vomir.
En traversant l’antichambre, elle avait failli heurter le Dauphin qu’escortait son gouverneur, M. de Souvré. Confuse, elle se laissa tomber à genoux devant ce petit garçon sans trouver autre chose à dire que :
— Sire !... Oh, Sire !
Elle lui avait donné d’instinct le titre qui convenait. Louis posa alors sa main sur sa tête courbée.
— Vous avez beaucoup de chagrin, Madame de Courcy?
La gorge trop serrée pour répondre, elle se contenta de hocher la tête.
— Moi aussi ! murmura-t-il. Je ne sais pas si nous serons nombreux...
Et se penchant, il posa un baiser sur le front de la jeune femme et passa son chemin...
Elle ne sut jamais comment elle avait réussi à rentrer rue Pavée après avoir fendu une foule quasi immobile, qui semblait frappée par la foudre mais d’où fusait une question, toujours la même :
— On dit qu'il vit encore ? Le savez-vous ?
Une main pressant un mouchoir sur son visage, elle ne pouvait que secouer la tête négativement, ce que l'on pouvait interpréter de deux façons : Henri était mort ou alors elle n’en savait rien... Mais, parce qu’elle était belle et appartenait visiblement à la Cour, on lui livrait passage.
Enfin elle parvint à destination. La duchesse Diane et tante Clarisse se tenaient dans le cabinet d’écriture de la première et se levèrent d’un seul mouvement en la voyant surgir, et dans quel état !
— Enfin, vous voilà ! s'exclama Mme de Royancourt qui la prit dans ses bras pour l’aider à s’asseoir. Nous étions dans la dernière inquiétude ! Mme d’Angoulême a dépêché plusieurs valets aux nouvelles mais personne n'est revenu ! Nous avons entendu cependant que le Louvre est fermé et étroitement gardé ! Qu'en est-il au juste ?
— Laissez-la souffler, conseilla la duchesse qui était allée verser de l'eau-de-vie dans un verre à liqueur. Buvez, mon petit ! Cela vous remontera mais attention ! C'est un tord-boyaux !
Lorenza trempa ses lèvres, toussota puis l'avala d'un trait, eut un long frisson et finalement se moucha.
— Ah, ça va mieux ! Merci infiniment !
— Laissez donc et dites-nous ce qu’il en est ! Il vit, oui ou non?... Ah! Ne recommencez pas à pleurer !
— Non. Il est mort ! Il l'était déjà quand on l’a amené ! J’ai vu ceux qui l’accompagnaient s’agenouiller devant la Reine pour lui rendre hommage !
Pendant un instant, un silence absolu régna dans la pièce élégante et intime, fleurie de lilas, puis Clarisse murmura avec une profonde tristesse qui se changea soudain en colère :
— Mort ! Notre si bon Roi !... Et au lendemain même du couronnement de cette grosse... vache !
— Inutile de demander d’où vient le coup ! reprit la duchesse. La voilà heureuse ! Elle a obtenu ce qu’elle voulait !
— Et je suppose qu’elle étale un chagrin spectaculaire ?
— C’est peu de le dire ! Soupira Lorenza. Un chagrin à l’italienne ! Chez nous, on paie des femmes pour gémir, s’arracher les cheveux et répandre des torrents de larmes. Ce sont les pleureuses. A l’exception de ses cheveux que la Reine ne martyrise pas, c’est tout à fait cela ! Savez-vous où est père?
— On ne l’a pas vu depuis ce matin, répondit Clarisse. Et encore : il est passé en coup de vent ! Il semblait fort pressé et nous avons pensé qu’il rejoignait peut-être le Roi.
— S'il avait été au Louvre, je l’aurais vu !
— Alors Dieu sait où il est allé ! Il avait sa tête des mauvais jours et j’ai appris à redouter ce qu’il concocte dans ces moments-là.
— Il finira bien par rentrer, fit la duchesse Diane, indulgente. Un jour comme celui-ci, l’étonnant serait qu'il soit resté assis dans un fauteuil toute la journée.
Mais le baron Hubert ne rentra pas ce soir-là...
Le lendemain matin, le petit Roi et sa mère - celle-ci sous les voiles noirs du deuil... qu’égayaient tout de même quelques perles ! - étaient conduits au Parlement à travers une foule silencieuse et quasiment prostrée. Le peuple de Paris savait à présent qu’il ne reverrait plus « Nouste Henri » et en était encore au stade de l’accablement.
Raidi par une volonté rare à cet âge, l’enfant prononça, sans écorcher un mot, un bref discours aux termes duquel il chargeait sa mère de poursuivre son éducation et de pourvoir au gouvernement du royaume.
Cela fait, les choses traînèrent un peu en longueur. Après les multiples formalités d’usage, la harangue du président Servin n’en finissait plus. Alors, une voix impérieuse clama :
— Cela suffit ! Il est temps de faire descendre la Reine!
C’était Concino Concini qui, debout et une moue arrogante aux lèvres, se permettait d’interrompre le parlementaire. Presque aussitôt le Premier président de Harlay riposta :
— Il ne vous appartient pas de parler en ce lieu, Monsieur ! Sortez !
Avec un haussement d’épaules et un sourire moqueur, l’autre s’exécuta mais le duc d'Epernon, lui, pâlit. Il venait de surprendre le demi-sourire et le regard un peu trop tendre de la Régente et il avait compris : tout le mal qu’il s’était donné, croyant œuvrer pour lui-même, ne lui rapporterait rien. Sans le savoir, c’est pour ce bellâtre qu’il avait travaillé.
Deux jours plus tard, Sully en fera l’amère expérience. Venu enfin se mettre à la disposition de la Régente, que le couple Concini entourait, il alla jusqu’à parler à ces gens d’alliance et même d’amitié... Alors, la Galigaï lui lança :
— Nous n’avons besoin de l’aide ni de la faveur de personne pour obtenir des biens et des honneurs car Sa Majesté nous affectionne pour l’avoir bien servie. Si Monsieur de Sully désire quelque chose, il aura plus besoin de nous que nous de lui. Ceux de qui nous dépendions dépendront désormais de nous !
On ne pouvait être plus claire !
La France, comme l’avait prédit le grand maître, tombait dans d’étranges mains...
DEUXIÈME PARTIE
LE TEMPS DES VAUTOURS
Chapitre V.
Les lendemains d'un crime...
— Si on voulait chercher la petite bête, grogna le baron Hubert, on pourrait considérer comme nulle la nomination de la Régente parce qu’elle ne dépend pas, normalement, du Parlement.
— De qui alors ? demanda Lorenza.
— Des princes du sang, ma chère. Or, ils ne se sont pas manifestés...
— Ils auraient eu du mal, fit Clarisse. Vous avez raison de mentionner « en cherchant la petite bête » ! Condé est toujours en fuite, le comte de Soissons9 s’est retiré sur ses terres pour une stupide question de préséance. Quant au troisième, le prince de Conti, il est sourd, bègue et à moitié idiot ! Jolie famille en vérité ! De toute façon, ils auraient dit amen sans la moindre difficulté !
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