— Je l’ai vu et entendu, Sire... dans un petit bois près du château de Verneuil. Il s’y entretenait avec la dariolette de la marquise. Il disait attendre le couronnement et alors...
— Qui est cette fille ?
— La demoiselle d’Escoman.
— Où est-elle ? Pourquoi n’est-elle pas venue me parler?
— Elle l’a tenté en vain... et maintenant elle est incarcérée à la Conciergerie.
— Pour quel motif ?
— Tombée dans la misère parce que personne ne voulait l’écouter, elle a dû abandonner son enfant... sur le Pont-Neuf !
— C’est un crime, cela ! fit Henri soudain assombri.
— Je sais, Sire, mais à moins de se jeter à l’eau avec lui... Et puis elle voulait à tout prix faire entendre sa voix, si faible cependant. Toutes les portes se refermaient devant elle. Ceux à qui elle s’adressait refusaient de l’entendre... parce qu’ils étaient de ce complot qu'elle avait découvert.
— Qui ?
Lorenza n’hésita qu’à peine. Il était vital de le convaincre.
— Les Jésuites, Mlle du Tillet, Mme de Verneuil, le duc...
A cet instant, celui dont elle s’apprêtait à prononcer le nom entra dans la galerie, tout sourire.
— Ah, Sire, vous êtes là ! s’exclama d’Epernon. Je vous cherchais afin de vous proposer ma compagnie pour aller chez le grand maître ! Le temps est si radieux ! Veuillez me pardonner, Madame de Courcy, je ne vous avais pas vue !
Henri s’esclaffa.
— Ne pas remarquer une aussi jolie femme ? Il faut soigner vos yeux, mon cher duc ! Venez donc avec moi ! C’est une bonne idée... Voyez, chère baronne ! Je vais être solidement escorté. En comptant Montbazon et deux ou trois autres, je serai bien entouré !
Il s’empara d’une de ses mains pour y poser un baiser.
— Elle est froide ! Il est vrai que, dans ce cas, on dit que le cœur est chaud ! Je vous verrai à mon retour, ma belle enfant... et nous causerons tout à loisir ! Venez, duc !
Vaincue, elle s’affala presque dans sa révérence en murmurant :
— Ce sera avec... bonheur, Sire !
Les larmes aux yeux, sans savoir pourquoi, elle regarda les deux hommes s’éloigner dans la galerie. Le pourpoint noir du Roi, en soie « égratignée », contrastait avec le pourpre abondamment brodé de l’ancien mignon d’Henri III et elle frissonna : il lui semblait voir du sang coulant de cette silhouette funèbre...
Pour se remettre, elle respira à plusieurs reprises avant de retourner chez la Reine qu’elle trouva étendue sur son lit de repos et bavardant à bâtons rompus avec son amie Mme de Montpensier qui, pour une fois, ne donnait pas l’impression de souffrir d’un de ses multiples maux qui la « martyrisaient » sans cesse... L’atmosphère était même particulièrement détendue. On était d’excellente humeur en évoquant les fastes de la veille et le véritable triomphe que seraient ceux du surlendemain ! Mme de La Châtre faisait chorus et ce groupe joyeux contrastait avec la solitude de Mme de Guercheville qui se tenait debout près d’une fenêtre donnant sur la cour.
Lorenza la rejoignit et vit qu’elle regardait le Roi monter dans son carrosse dont il avait fait relever tous les mantelets de cuir afin de mieux respirer. Il s’installa au fond entre Epernon et le duc de Montbazon. MM. de Lavardin et de Roquelaure s'assirent près de la portière de droite et MM. de Mirebeau et de Liancourt à celle de gauche. Liancourt, Premier Ecuyer, demanda où l’on allait.
— Menez-moi hors de céans ! répondit le Roi bizarrement et, de façon plus étrange encore, il fit un grand signe de croix...
La voiture s’ébranla et disparut aux yeux des deux observatrices. Lorenza se signa presque furtivement. Mme de Guercheville le vit et fit de même.
— Vous avez peur ? murmura-t-elle.
— Oui. Je sais que l’homme en vert existe. Je l’ai vu de mes yeux l’an passé.
— Où cela ?
— A Verneuil.
— Ah !
Elles se regardèrent un instant sans plus parler : elles s’étaient comprises...
Cependant, le carrosse disparaissait sous la voûte après qu’on eut renvoyé M. de Praslin revenu à ses fonctions habituelles de capitaine de la seconde compagnie des gardes du corps qui aurait dû l’escorter. Seuls quelques valets furent autorisés à le suivre à pied. Il fut allégué qu’il y avait déjà suffisamment de monde dans les rues de Paris où les badauds allaient contempler les arcs de triomphe et autres splendeurs destinées à la « joyeuse entrée ».
Le Roi avait demandé que l’on passe par la Croix du Trahoir mais, arrivé là, il décida que l’on irait au cimetière des Innocents. On lui fit remarquer que ce n’était guère le chemin de l’Arsenal mais il déclara qu’avant de s’y rendre, il voulait visiter certaine demoiselle Reine Paulet que l’on surnommait la Lionne, une superbe rousse dont on vantait partout la beauté et l’esprit.
— Oh, Sire, vous voulez aller chez une femme ? Aujourd’hui ?
— Pourquoi pas ? J’ai vu ce matin mon fils Vendôme qui a tout ce qu’il faut pour plaire aux plus difficiles mais qui leur préfère les garçons. J’ai dans l’idée de la lui donner pour maîtresse. Elle est de celles à qui l’on ne résiste pas !
— En ce cas...
On prend, par la rue de la Ferronnerie, une sorte de boyau coincé entre l’un des murs du vieux cimetière et l’auberge du Cœur Couronné percé d’une flèche. A ce moment précis, un haquet de vin venant de la droite et une charrette à foin débouchant de la gauche obstruent la ruelle. A cette vue, les valets suiveurs décident de passer par le cimetière, sauf l’un d’eux qui va essayer de faire ranger les deux véhicules.
Pour charmer les longueurs de l’attente, Epernon sort une lettre qu’il déplie pour la lire au Roi. Pour mieux l’entendre, celui-ci passe son bras autour de son cou. Il n’y a plus personne autour du carrosse. Alors...
L’homme en vert a sauté sur une borne placée devant l’auberge, s’accroche d’une main à la portière de la voiture et de l’autre, armée d’un long couteau, frappe Henri à la poitrine au-dessus du cœur, mais le coup déchire seulement la peau.
— Ah ! Je suis blessé !
L’assassin frappe une deuxième fois, comme la foudre, puis une troisième. Ces deux coups-là sont mortels...
Après le premier, le Roi a levé le bras. Les suivants ont percé le poumon et l’aorte. Le dernier a également traversé la manche du duc de Montbazon qui n’a rien compris.
— Qu’est-ce, Sire ? demande-t-il benoîtement6.
— Ce n’est rien, murmure Henri d’une voix qui s’éteint.
Aussitôt, il vomit un flot de sang. Tout est fini !
Ravaillac, lui, n’a pas bougé. Son exploit réussi, il semble en extase : il a enfin réussi à tuer l’Antéchrist. Des gentilshommes se sont précipités sur lui : l’un le frappe au visage du pommeau de son épée, un autre lui arrache son poignard pour l’en transpercer, mais la voix soudain impérieuse d’Epernon retient son geste :
— Ne le tuez pas ! Il y va de vos têtes !
Certains, furieux, se préparent à passer outre mais alors il crie :
— Le Roi n’est que blessé !
Les spectateurs du drame réclament un chirurgien, du vin pour laver la blessure et ranimer le Roi, mais le duc ne laisse personne lui voler la vedette.
Il ordonne que l’on rabatte les mantelets et que l’on regagne le Louvre sur-le-champ. La lourde voiture sort de la ruelle et repart non sans laisser une trace sanglante. On retourne au Louvre au milieu d’une rumeur qui grandit jusqu’à devenir clameur furieuse. Le peuple qu’Henri aimait tant et qui le lui rendait bien est prêt à se soulever, emporté par sa colère et son indignation. On avait beau crier qu’il n’était que blessé et non mort, personne ne voulait le croire. Les bruits annonçant la tragédie n’avaient que trop couru !
Tandis que l’on transporte au Louvre le corps du Roi, son épouse toujours étendue sur sa chaise longue a fini par s’assoupir, bercée par les paroles de Mme de Montpensier. De nouveau à la fenêtre, Mme de Guercheville et Lorenza voient revenir le carrosse entouré d’une agitation indescriptible. Une même épouvante se lit dans le regard qu’elles échangent mais elles n’ont pas le loisir de revenir près de la Reine : la porte de sa chambre vient de s’ouvrir d’un coup de pied qui réveille Marie. C’est Concini.
— E ammazato 7! lance-t-il avant de disparaître.
En même temps, un vacarme assourdissant se fait entendre dans la petite chambre du souverain qui est de l’autre côté.
— Allez donc voir, ma bonne, ce qu’il se passe ! dit Marie à Mme de Montpensier qui se précipite, ouvre les portes qu’elle referme violemment après une exclamation horrifiée.
Marie s’est alors levée d’un bond en s’écriant :
— Mon fils !
Elle se rue vers la modeste chambre malgré les efforts de la Montpensier qui lui assure qu’il ne s’agit pas de son fils. En y entrant, elle bute sur Praslin qui lui déclare :
— Madame, nous sommes perdus !
Il éclate alors en sanglots. Elle l’écarte brutalement, voit le corps livide étendu sur le lit et manque s’évanouir. Madame de Montpensier et Catherine Forzoni essaient de la ramener à sa chaise longue mais elle est trop lourde et elles ne peuvent que la traîner. La femme de chambre appelle à l’aide. Bellegarde et le duc de Guise se précipitent mais Epernon les a précédés... pour se contenter de s’agenouiller... en disant que le Roi n’est peut-être pas mort !
Les trois autres se récrient en s'agenouillant à leur tour pour baiser la main de celle qui est maintenant la Régente.
Aussitôt, elle explose en sanglots désespérés, se livrant à des manifestations de douleur excessive et versant des larmes abondantes qui s'apaisent immédiatement quand arrivent le chancelier Bruslart de Sillery, le duc de Villeroy et le président Jeannin qui viennent régler avec elle les mesures à prendre, les ordres à donner, les lettres à dicter.
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