— Dieu vous entende, Monsieur le Grand !
Décidément, elle aimait de moins en moins cette histoire...
Quelqu’un étant venu informer Bellegarde que le Roi le cherchait, il s’excusa et s’éloigna. Lorenza en profita pour glisser sa main sous le bras de son beau-père.
— Avec toute cette agitation, vous ne m’avez pas encore rapporté ce que vous a dit M. de Sully !
— Cela ne valait pas la peine de vous empêcher de dormir vous aussi ! C’est à croire qu’un vent de folie souffle sur nos têtes pensantes, car mes craintes n’ont pas retenu deux minutes l’attention de notre ministre ! Il est tout frétillant à l’idée de partir en guerre avec son roi et m’a déclaré que des menaces d’attentat, il en pleuvait de partout, que le Roi allait ressentir un bénéfice immense à se retrouver au milieu de son armée où il serait gardé mieux que nulle part ailleurs, que « après le couronnement » ne signifiait pas pour autant qu’on l’attaquerait le lendemain même, et qu’on verrait à s’occuper de l’homme en vert quand on reviendrait vainqueurs, avec la princesse dans le cortège triomphal, etc.
— Il devient fou ou quoi ?
— Je pense que la perspective de se couvrir de gloire, lui et sa famille, chatouille agréablement sa vanité. Songez qu’il va prendre part à la guerre comme général et comme trésorier, que son fils va commander l’artillerie et son gendre, le duc de Rohan, les Suisses que l’on a levés dans les Quatre-Cantons et qui viennent de nous arriver ! Il faut dire que nous emmenons une sacrée armée et que, au moins sur le papier, l’Espagne devrait être battue à plate couture !
Suffoquée, Lorenza retira sa main pour regarder le baron en face.
— Mais ma parole, on dirait que tout cela vous enchante ? Vous n’allez pas m’apprendre que vous allez guerroyer vous aussi ?
Il lui offrit un visage faunesque.
— Hé, hé ! J’avoue avoir été tenté ! Ce diable d’homme est entraînant ! Si j’avais dix ans de moins et si le devoir ne me commandait pas de veiller sur vous, je ne sais pas si je résisterais à la tentation de galoper à nouveau derrière le beau panache blanc de « Nouste Henri » ! Mais rassurez-vous, poursuivit-il avec un soupir en reprenant la main de sa belle-fille qu’il fourra sous son bras, avant de voler au secours du « bel ange » du Roi, j’ai à protéger celui de Thomas. Et maintenant nous devrions tous aller nous coucher. La journée a été rude pour tout le monde !
— Pas pour la Reine en tout cas ! Elle rayonne positivement !
— Ah, c'est que, pour elle, la magie continue ! Il lui faut à présent préparer sa « joyeuse entrée » ! Demain nous irons assister aux préparatifs ! Cela vous changera les idées...
— Cela m’étonnerait fort, murmura-t-elle.
En fait, elle eut un sommeil fort agité, ne cessant de penser à son époux pratiquement seul avec Bois-Tracy sur un terrain miné. Et quand elle arriva au Louvre pour prendre son service, elle put constater que l’atmosphère n'était plus celle de la veille. La Reine dormant encore, on parlait à voix basse dans les appartements. Quant au Roi, il s’était levé aux aurores, Morphée s’étant dérobé à cause d’une chouette qui avait hululé toute la nuit aux abords de la chambre royale. Du coup, ses mauvais pressentiments l’avaient repris et, les mains nouées derrière le dos, le dos rond, il arpentait les appartements royaux, échangeant quelques mots avec l’un ou l’autre. Il attendait Sully mais Sully ne vint pas. Il souffrait d’un dérangement d’estomac qui le retenait chez lui.
— Nous avons à parler pourtant ! grogna le Roi. S'il ne peut venir, j’irai le voir ce tantôt !...
Il achevait à peine sa phrase que l’on introduisit le jeune duc César de Vendôme, l’aîné des enfants qu’il avait eus de Gabrielle et qu’il avait marié l’été précédent à Marguerite de Vaudémont-Lorraine.
Henri aimait beaucoup ce magnifique garçon de seize ans auquel il ne reprochait qu’une chose : un goût à peine dissimulé pour les gens de son sexe alors que les filles ne l’inspiraient guère. En dehors de cela, follement brave et follement orgueilleux, César se sentait parfaitement capable d’être roi mais n’aurait jamais rien tenté contre un père qu’il aimait. Ce matin-là, il était visiblement inquiet.
— Je suis venu vous supplier de ne pas sortir aujourd’hui, Sire ! Il y va de votre vie. Un grand devin nommé Labrosse prédit que vous mourrez avant le coucher du soleil !
— Vous, vous avez consulté l’Almanach ! Ce Labrosse est un vieux fou qui appartient au comte de Soissons. On parle tellement de ma mort qu’il veut se distinguer en l’annonçant pour aujourd’hui ! C’est grotesque !
— Non. C’est logique puisque, avant votre départ pour Bruxelles, c’est le seul jour où vous ne serez pas en représentation. C’est-à-dire trop entouré pour que l’on puisse vous atteindre !
— Expliquez-vous.
— Nous sommes le 14. Demain, samedi 15, il y a grande chasse. Dimanche 16, la Reine fait sa « joyeuse entrée ». Lundi, ce sont les noces de ma sœur Catherine avec Montmorency5 dont les réjouissances dureront jusqu’au soir du mardi 18 et, le lendemain, vous serez à la tête de l’armée !
— Mais je veux sortir ! Sully est malade et...
— Vous le verrez plus tard, voilà tout ! Par pitié, Sire mon père, écoutez-moi !
— Vous êtes un enfant et si vous attachez du crédit à tous les mauvais bruits, vous ne ferez jamais rien !
Désolé mais certes pas découragé, César s’en alla chez la Reine. Il ne l’aimait pas mais ce jour-là il aurait fait n’importe quoi pour empêcher son père de quitter le Louvre. C’est à peine si elle y prêta attention. Elle avait mille choses à faire, voyons ! D’ailleurs, elle essayait une robe quand il se présenta mais, superstitieuse à l’excès, elle se signa à trois reprises en l’écoutant d’un air effrayé puis le congédia en disant qu'elle ferait ce qu’elle pourrait et n’y pensa plus au bout de cinq minutes. Découragé, le jeune duc rentra chez lui sans être parvenu à mettre un terme à son angoisse. Et pourtant...
Et pourtant, l’homme en vert n’était pas loin. César passa devant lui sans même s’en apercevoir quand il franchit les guichets du Louvre. Renseigné - par qui ? -, l’homme avait fait le même calcul que Vendôme et attendait son heure, assis entre les deux voûtes sur un montoir à chevaux que le porche dissimulait. Et là, il patientait...
Tandis qu’une activité intense régnait chez Marie, le Roi, indécis, et malgré tout inquiet, continuait à faire les cent pas dans son cabinet... Lorsque vint l’heure du repas, il mangea de bon appétit et sembla retrouver sa bonne humeur habituelle bien qu’il n’eût guère participé aux propos échangés.
Le repas achevé, il recommença à tourner en rond, décida de s’accorder une sieste et s’étendit sur son lit mais n’y resta pas. Incapable de se reposer, il demanda l’heure à un garde.
— Quatre heures, Sire ! répondit cet homme. Le temps est magnifique. Votre Majesté devrait prendre l’air. Ce n’est pas bon de rester enfermé.
— Tu as raison. Il faut que j’aille chez Monsieur de Sully. Va dire que l’on apprête mon carrosse.
Et le voilà parti chez la Reine... où le doute le reprit.
— Ma mie, irai-je ou n’irai-je pas ? demanda-t-il en l’embrassant.
Marie le fixa de ses yeux ronds.
— Si vous n’en avez pas envie, restez !
— Certes... mais Sully est malade et j’ai promis d’aller le voir...
— Vous le verrez demain !
— Vous savez bien que ce ne sera pas possible. Je sors!
Et il disparut... pour revenir peu après.
— En vérité, je ne sais pas ce que j’ai mais je n’arrive pas à me décider.
Là-dessus, il embrasse à nouveau sa femme en murmurant :
— Ma mie, irai-je ou n’irai-je pas ?
Une troisième fois, il répéta la question et... donna un autre baiser, qui fit rire la vieille maréchale de La Châtre auprès de qui Lorenza était assise, un livre qu’elle ne lisait pas dans les mains. Etranglée par une émotion qu’elle contenait à grand-peine, elle regardait ces deux êtres unis par le mariage, la couronne, des enfants... mais non par l’amour. Son attention se concentrait surtout sur cette grosse femme molle, qui, au lieu de trancher le dilemme angoissant de son époux en l’obligeant à rester auprès d’elle, répondait sans chaleur :
— Faites à votre idée ! Restez si l’envie de sortir vous a quitté !
La jeune femme brûlait de l’empoigner à deux mains et de la secouer en lui disant de se remuer un peu et de le retenir de toutes ses forces. Mais non : finalement Henri se dirigea vers la porte en disant qu’il rentrerait tôt et ne serait dehors qu’à peine une heure. Tandis que Mme de La Châtre s’exclamait qu’en vérité le Roi était plus amoureux de la Reine que jamais, Lorenza s’éclipsa et rejoignit Henri dans l’antichambre.
— Sire ! supplia-t-elle, différez votre visite, je vous en conjure ! C’est Dieu, j’en suis certaine, qui vous souffle votre indécision !
Il se mit à rire mais ce rire sonnait faux.
— Vous aussi, ma belle ? Savez-vous que c’est fort agréable de susciter une inquiétude dans ces beaux yeux ? M’aimeriez-vous un peu en dépit de...
— N’en parlons plus, Sire ! Vous ne pouviez pas savoir et à présent je suis heureuse... et je voudrais que mon Roi le soit aussi. C’est pourquoi je l’implore... de faire n’importe quoi sauf de mettre le nez dehors !
— J’étouffe entre ces murs ! J’ai besoin d’air !
— Le Roi, pour une fois, ne pourrait-il se contenter des jardins ? Le temps y est plus agréable que dans les rues... et cela sent moins mauvais ! N’allez pas dans la ville, Sire ! Un homme venu d’Angoulême y guette sa proie. Un homme roux habillé de vert qui a juré votre mort !
— Comment le savez-vous ?
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