— La reine Marguerite porterait-elle perruque ? S’étonna-t-elle quand on eut raccompagné cette dernière à sa voiture.

— Bien sûr, voyons ! répondit Mme d’Angoulême. Jeune, c’était une superbe brune mais elle pense que le blond rajeunit. N’avez-vous pas remarqué que les cheveux de ses pages sont de longueurs diverses ?

— Si, mais...

— C’est parce qu'elle les fait tondre à tour de rôle pour confectionner ses perruques, conclut la duchesse en riant. La reine Margot ne laisse jamais rien au hasard !...

Chapitre IV.

L'assassinat

Quand le baron Hubert revint de la chasse à Vincennes, sa belle humeur habituelle l’avait quitté. Il était même, visiblement, très soucieux.

— Seigneur ! s’exclama Clarisse, que vous est-il arrivé? On dirait que vous portez Dieu en terre.

La duchesse Diane étant absente ce soir, elle et Lorenza se tenaient seules dans le salon où l'on avait coutume d’attendre les repas. Clarisse brodait, sa nièce lisait.

— Ce n'est pas tout à fait ça, marmotta-t-il, mais on n’en est pas loin ! Votre histoire m’inquiétait, Lorie, mais cette fois j’ai vraiment peur ! On prétend que le Diable rend fous ceux qu’il veut perdre et je commence à y croire !

— Si vous essayiez d’être un peu plus clair ? Le Roi ne vous a pas écouté ?

— Si, mais il m’a éclaté de rire au nez et s’est écrié : « Encore ? C’est une gageure ma parole ? Depuis une semaine on me rebat les oreilles d’une folle qui se répand partout en annonçant que Satan, sous l’apparence d’un escogriffe vert, va me faire passer de vie à trépas après le sacre ! »

— Et il n’y ajoute pas foi ?

— Non. Le coup - si coup il y a ! - est monté judicieusement ! Voilà des mois que mages et devineresses prédisent sa fin à l’envi. On a dû lui présenter l’histoire du grand homme vert à la manière d’une bonne plaisanterie...

— Une plaisanterie ? Sa mort ? Cela n’a pas de sens !

— C’est également mon avis ! D’ailleurs, il riait un peu trop fort et je jurerais qu’au fond il a peur. Mais Joinville, avec son sourire enjôleur, a détourné son attention en lui parlant de sa grande passion et j’ai compris que je perdais mon temps !

— Avez-vous évoqué Epernon en spécifiant que l’homme venait d’Angoulême ?

— Le moyen ? L’ancien mignon était au coude du Roi et ne le lâchait pas d’une semelle. Il m’aurait sauté à la figure et comme notre Sire interdit les duels depuis quelques semaines... J’aurais eu contre moi tout ce monde pour qui je jouais les trouble-fête. Quant au Roi, il est tellement épris que la seule évocation de sa bien-aimée suffit à chasser ses idées les plus noires. Songez donc, ajouta-t-il avec un ricanement, qu’il va combattre pour elle, se couvrir de gloire peut-être sous ses yeux et la conquérir de haute lutte !

— Le grand maître était là ? S’enquit Clarisse.

— Sully ? Non. Il a suffisamment à s’occuper avec le départ prochain des troupes. Je suis d’ailleurs passé chez lui en revenant mais il n’y était pas !

— Alors il faut y retourner, l’adjurer d’entendre la d'Escoman et obtenir au moins que l’on ajourne le sacre !

— Il ne demanderait pas mieux parce qu’il le redoute ! Ainsi que le Roi ! J’en suis intimement persuadé. Bellegarde l’a entendu répondre à Bassompierre qui l'interrogeait sur un détail du cérémonial : « Ah, maudit sacre ! Il me fera périr ! »

— Et cette aberration aura lieu quand même ?

— Il le faut bien, s’il veut prendre la tête de son armée ! Le Dauphin n’est que dans sa neuvième année et il faut quelqu’un pour garder le royaume jusqu’à ce qu’il soit en âge de régner ! Si seulement Thomas rentrait !

Clarisse en laissa tomber son ouvrage :

— Voulez-vous nous expliquer ce qu’il pourrait bien faire ?

— Fouiller Paris à la recherche de l’homme en vert. Vous l’ignorez sans doute, Lorie, le doux temps de la lune de miel n’accordant guère de place à la domesticité, mais le valet de Thomas, Gratien, est le garçon le plus curieux et le plus futé qui soit. Il connaît Paris comme sa poche et en fouinant dans les auberges, par exemple, il dénicherait peut-être le personnage, surtout si vous pouvez le lui décrire. S’il le trouve on... l’élimine discrètement et ce serait déjà un souci en moins! Vous n’êtes pas d’accord?

— Et si nous agissions ensemble, vous et moi, père ? Avec des habits appropriés, je fais un garçon tout à fait convaincant... Oh, père, dites oui, je vous en supplie ! Je l’ai vu, moi, l’homme en vert !

— N’oubliez-vous pas votre service chez la Reine ? rappela Clarisse. Elle n’est pas femme à vous accorder des vacances !

— Et la nuit ?

Elle crut que les yeux du baron allaient lui sortir des orbites.

— Vous voulez courir les tavernes avec moi de nuit ? Ma parole, vous perdez l’esprit, Lorie. Si j’acceptais et si Thomas l’apprenait, il m’arracherait la peau avec ses dents !

— Mais enfin, pourquoi Thomas ne rentre-t-il pas ? Gémit Lorenza au bord des larmes. Ce genre d’ambassade destinée, j’imagine, à remettre et à traduire un message ne dure pas si longtemps !

— Là, vous avez entièrement raison ! Surtout lorsqu’elle est composée uniquement de militaires ! Ce tantôt, quand la chasse a regagné le Louvre, j’ai eu l’occasion de bavarder un instant avec le comte de Sainte-Foy, le colonel des deux garçons qui supporte très mal cette récente manie du Roi de lui emprunter ses meilleurs officiers pour les transformer en diplomates. Et il se trouve qu’il a une idée là-dessus...

— Laquelle ?

Le vieux gentilhomme prit un air de conspirateur, regarda autour de lui avec circonspection pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne traînât dans le coin et chuchota :

— Le message à l’archiduc Albert ne serait qu’un prétexte. En réalité, il s’agirait d’enlever la belle Charlotte, exercice pour lequel des soldats jeunes et dûment entraînés se révèlent plus efficaces que ces mollassons de bureaucrates dont se compose en général le personnel d’une quelconque délégation !

— Miséricorde ! fit Lorenza, horrifiée ! Et s’ils se font prendre, l'affreux petit Condé demandera leurs têtes ?

— Tel que je le connais, il demandera plutôt qu’on les lui paie... très cher de préférence. J’ajoute que je suis prêt à débourser n’importe quelle rançon, et vous devriez vous sentir rassurée. Mais revenons à votre projet de traque de l’homme vert ! Vous dessinez agréablement, il me semble ? Seriez-vous capable d’esquisser son portrait ?

— Je peux essayer. Ce n’est pas un visage facile à oublier quand on l’a vu ne serait-ce qu’une seule fois ! Il est de taille plus élevée que la moyenne, roux, le cheveu et la barbe hérissés...

— Attelez-vous tout de suite à cette tâche ! Dès que ce sera fait, j’entreprendrai la tournée des auberges plus ou moins borgnes !

— Pas tout seul, j’espère ? s’écria sa sœur.

— Je ne suis pas fou ! J’emmènerai Poitevin et Buisson, les plus solides de mes valets... ceux aussi qui possèdent les gueules les plus patibulaires !

Après quelques essais maladroits, la jeune femme put enfin remettre à son beau-père un assez bon portrait de l’homme d’Angoulême. Ainsi pourvus, le baron et ses hommes, convenablement déguisés, se mirent à hanter les tavernes et cabarets louches, et une attente anxieuse commença pour « ses femmes » !

Il fallut une semaine à peu près pour retrouver la trace du personnage à l’auberge des Cinq Croissants, rue Saint-Jacques. Malheureusement, il en était parti la veille sans dire où il allait.

— Le patron a d’ailleurs ajouté qu’il n’était pas fâché de le voir filer parce qu’il lui trouvait une drôle de tête et qu’il ne plaisait pas à ses autres clients. Il payait bien cependant mais, en ce moment, ce ne sont pas les voyageurs qui manquent. Toute la province débarque à Paris !

— Mais pourquoi ?

— Le sacre, voyons ! Nous en sommes à une semaine !

— Seigneur, c’est pourtant vrai ! s’exclama Clarisse. D’habitude, cela se déroule à Reims et on va la sacrer à Saint-Denis ? Je me demande bien pourquoi !

— On est pressés ! Or, préparer le faste de la ville et de la cathédrale ne peut pas se faire en cinq minutes. Souvenez-vous que le Roi a reçu l’onction à Chartres !

— On était en guerre et c’était normal ! Au moins la « joyeuse entrée » dans la capitale représentait quelque chose ! Tandis que, là, elle va quitter le Louvre pour gagner les portes de la ville où elle reviendra coucher et fera tout de même, quelques jours après, une « joyeuse entrée » parfaitement grotesque ! Et pourquoi donc pas à Notre-Dame ? C’est encore plus près !

— Il faut tout vous expliquer, Clarisse ! Ronchonna son frère. A Saint-Denis sont enterrés les rois qui ont été sacrés à Reims. Cela donne une sorte de continuité que notre magnifique cathédrale n’offre pas ! Comment ça va au Louvre? interrogea-t-il Lorenza.

— Oh, c’est du délire ! Entre deux essayages - et il y en a une douzaine par jour parce que la Reine n’est jamais satisfaite -, les répétitions dans Saint-Germain-l’Auxerrois et les exercices de mémorisation des textes et prières qu’elle devrait réciter, on nage dans le velours, la soie, l’hermine, les dentelles, les bijoux et l’incohérence. C’est tout juste si les perles et les diamants ne vous glissent pas sous les pieds ! Cela sous l’avalanche ininterrompue des clameurs et reproches de Sa Majesté ! Une horreur !

— Je vous crois volontiers ! En tout cas, nous allons poursuivre notre quête, il faut absolument dénicher l’oiseau vert !

Deux jours avant le sacre, on sut où le gibier avait installé ses pénates en quittant les Cinq Croissants. C’était beaucoup plus proche du Louvre, à l’enseigne des Trois Pigeons, rue Saint-Honoré... Mais on apprit aussi qu’on ne l’y avait pas gardé. Il tenait des propos étranges et décousus et, comme on en était à refuser du monde, on l’avait prié d’aller tenir ses discours ailleurs. Où ? Bien entendu, nul n’en savait rien !