— Venez, chère Lorenza, fit la duchesse Diane, que je vous présente « notre » reine Marguerite qui veut bien m’honorer du titre de demi-sœur et qu’à l’unisson du peuple tout entier, je ne cesse de regretter ! Surtout quand je regarde sa remplaçante !

Ainsi c’était elle, cette fameuse reine Margot, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, mariée de force au futur Henri IV à la veille de la Saint-Barthélemy et dont les nombreuses aventures amoureuses amusaient toute l’Europe ? A cet instant, elle éclata d’un rire plein de jeunesse.

— C’est grand dommage pour vous tous car moi je ne regrette rien ! Et certes pas ces nuits - rares par bonheur ! - où j’ai partagé la couche de ce cher Henri ! Non seulement il faisait l’amour à la va-vite - peut-être ne l’inspirais-je pas beaucoup et d’ailleurs je ne faisais rien pour cela ! - mais, en outre, il empestait et vous savez, ma chère amie, à quel point j’aime les parfums et les garçons soignés ! Mais approchez que je vous voie mieux, petite ! ajouta-t-elle en tendant à Lorenza une main chargée de bagues sur laquelle celle-ci s'inclina. Vous êtes vraiment très belle ! Comment se fait-il qu’en amateur éclairé il ne vous ait jamais jeté le mouchoir ?

La duchesse eut un petit rire :

— Oh, il pouvait espérer que le vieux Sarrance la lui prêterait mais les choses ont tourné différemment. Grâce au Ciel, le voilà coiffé jusqu’à la folie de ma nièce Charlotte et Lorenza a trouvé le bonheur auprès de Thomas ! Ils s’aiment profondément !

— Et au moins ils doivent former un beau couple ! Thomas est l’un des hommes les mieux bâtis que je connaisse et vous êtes faites au tour ! Au fond, c’est une chance pour vous qu’Henri soit tombé fou de la jeune Charlotte. Une rencontre étrange d’ailleurs si l’on considère que cette Montmorency sera assurément son dernier amour et qu’une autre, du même nom, a été à l’origine de notre rupture ! Vous souvenez-vous de la Fosseuse, duchesse ?

— Françoise de Montmorency-Fosseux ? C’est pourtant vrai !

— Et elle aussi avait quinze ans... Moi j’en avais... mon Dieu, c’était en... 1578 ? Il y a donc... trente-deux ans ?

— C’est à n’y pas croire quand on vous regarde, Madame ! La rassura la duchesse avec un sourire en coin à l’intention de Lorenza, mais c’était de la courtisanerie gaspillée, car l’ancienne reine de Navarre était repartie dans ses souvenirs.

— Henri et moi étions mariés depuis six ans quand ma mère Catherine s’est avisée qu’il serait peut-être temps de réunir notre couple afin de mettre un terme à cette situation dangereuse. En effet, chef des protestants, mon époux était entré en guerre ouverte contre mon frère, le roi Henri III.

— Il n’avait pas tout à fait tort, il me semble, Sa Majesté ayant joyeusement oublié de payer votre dot, fit remarquer Diane.

— Je ne dis pas qu’il avait tort, je dis ce qui est. Ma mère donc, sous prétexte de visiter quelques châteaux amis, m’a fait monter en carrosse et conduite à Nérac où Henri tenait sa cour. C’était, je dois le reconnaître, un endroit charmant avec ses plaisants jardins au bord de la Baïse et ses allées couvertes si propices aux promenades à deux par une nuit étoilée...

— J’imagine que le Roi a été heureux de retrouver sa belle épouse ?

— Eh bien, on ne peut pas dire qu’il ait montré une joie extravagante. Sur le moment tout au moins mais ma mère, cette grande politique, qui le connaissait bien, avait pris soin d’emmener dans nos bagages quelques-unes des jolies filles de son « Escadron volant4 ». Il y avait, entre autres, Victoria de Ayala que l’on appelait Dayelle, Anne Le Reboûrs... et la jeune Françoise, surnommée Fosseuse, qui possédait un visage d’ange...

— Tout comme notre Charlotte !

—... et dans ses beaux yeux bleus tous les démons de la sensualité. Naturellement, ce fut sur elle qu’Henri jeta son dévolu et voyez comme les choses se répètent : il n’avait que vingt-quatre ans alors, cependant il traitait cette gamine comme il l’a fait avec Charlotte, l’appelant « ma fille » et se comportant avec elle comme avec un bébé. Il la faisait asseoir sur ses genoux pour la gaver de friandises tout en palpant sournoisement ses rondeurs prometteuses. Ce badinage galant m’a amusée un moment, d’autant que j’avais découvert le magnifique vicomte de Turenne qui me regardait de façon peu respectueuse sans doute mais fort intéressante. Nérac avait énormément de charme à cette époque et notre agréable vie aurait pu continuer longtemps si mon royal frère ne s’était avisé d’envoyer en renfort le plus jeune de la famille, Alençon, afin de conclure une paix définitive.

— Et il n’y a pas eu de paix ? demanda Lorenza que l’histoire amusait.

— Oh non ! Et si, d’abord, j’avais été ravie de recevoir François que j’aimais beaucoup, j’ai senti que nous allions vers de graves difficultés quand il est tombé, lui aussi, amoureux de Fosseuse. Laquelle, sachant les égards que l’on doit à un prince du sang, lui a peut-être un peu trop souri pour la tranquillité de mon époux qui est venu se plaindre à moi et a exigé que je parle à mon frère afin de le dissuader de piétiner ses plates-bandes. Ce que j'ai fait avec toute la diplomatie dont j'étais capable. J’avoue à ce propos que j’avais d’autant moins envie de voir partir François qu’il avait avec lui un certain baron de Champvallon qui me plaisait assez. Ayant réussi dans mon entreprise, nous avons tiré les Rois fort joyeusement. Henri a eu la fève et l’a offerte à Fosseuse qui l’en a remercié d’une voix mourante tandis que moi, pauvre innocente, je dansais éperdument avec Champvallon à la grande fureur de mon pauvre Turenne. C’est là que le paradis allait se changer en enfer... S’il vous plaît, donnez-moi quelque chose à boire, ma chère Diane !

— Oh ! Je vous supplie d’excuser ce manque à mes devoirs d’hôtesse !

— Ce n’est rien ! fit Margot après avoir avalé d’un trait le verre de Malvoisie que Lorenza lui servit. Un beau soir, poursuivit-elle, Mme de Duras qui dirigeait les filles d’honneur vint m’annoncer le plus calmement du monde que Fosseuse était enceinte de plusieurs mois, qu’elle espérait donner le jour à un fils, ce qui permettrait à Henri de me répudier pour l’épouser elle !

— Oh!

— Cette fois, il fallait se battre. Contre Henri, en premier lieu, qui est venu la mine pateline me confier que sa « fille Fosseuse » souffrait de ballonnements d’estomac et qu’elle aurait grand besoin d'un petit séjour aux Eaux-Chaudes où il serait utile que je l’accompagne ! Comme je comptais, moi, faire une cure à Bagnères, je l’ai envoyé promener. Les Eaux-Chaudes n’ayant produit aucun effet, quand nous nous sommes retrouvés à Nérac en juillet, il était évident, même pour les plus myopes, que les ballonnements tenaient bon. Prise de je ne sais quelle pitié stupide, j’ai proposé alors à cette fille de l’emmener passer les deux derniers mois dans un château éloigné, le Mas-d’Agenais, mais elle m’a répondu qu'elle était très bien à Nérac et qu’elle n’était pas grosse. Je l’ai donc abandonnée à son sort jusqu’au jour où Henri est venu me supplier de la loger dans une chambre écartée de celle des filles d’honneur. Il était temps : la nuit suivante cette petite dinde accouchait d’une fille qui mourut à peine née tandis qu'Henri chassait dans les environs.

— Vous deviez être soulagée ? avança la duchesse.

— Même pas ! Henri n'est revenu que pour me transmettre les plaintes de l'accouchée qui voulait être transportée dans mon propre appartement afin de « préserver sa réputation » ! On croit rêver, n’est-ce pas ? Naturellement, j'ai refusé avec indignation mais, de la sorte, j'avais déchaîné les fureurs de l’enfer sur moi. Cette idiote n'a cessé de me dénigrer auprès d’un époux qui buvait ses paroles comme les évangiles. C’en est venu au point que j’ai écrit à ma mère. Elle m’a répondu : « Revenez et prenez avec vous cette Fosseuse ! Navarre suivra ! »

— Et il a suivi ?

— Non. Je crois qu’il craignait un peu l’hospitalité de sa belle-mère mais surtout il avait changé d’amour : cette fois il s’agissait de la belle Corisande, la comtesse de Guiche, qui menait Henri à la baguette. Altière et cruelle, c’était un véritable danger. Je m’en suis aperçue quand je suis rentrée à Nérac : elle a tout simplement tenté de m’empoisonner avec un bouillon. C’est une pauvre servante qui est morte à ma place. J’ai alors décidé de m’enfuir. D’autant plus qu’à ce moment, la mort de mon frère Alençon faisait d’Henri l’héritier présomptif de la couronne de France. Je me suis réfugiée à Agen qui m’appartenait et jamais je n’ai revu Nérac.

Sa voix se fêla sur une petite note triste. Alors Lorenza osa poser la question :

— Qu’est devenue la Fosseuse ?

— Ma mère s’est chargée de la marier à un certain François de Broc, seigneur de Saint-Marc, et on n’a plus entendu parler d'elle.

— A quoi ressemblait-elle ? interrogea Mme d’Angoulême.

— A votre Charlotte justement ! Même peau laiteuse, même chevelure d’or roux, même âge aussi. Depuis que cette histoire a pris les proportions que nous savons, je me suis demandé à maintes reprises si son souvenir n’entre pas pour une part dans cette folle passion d’Henri qui met le royaume au bord de la guerre et qui fait si peur à la Reine ! Je ne dirais pas que je l’aime celle-là, bien qu'elle me reçoive toujours aimablement, mais j’ai vécu ce qu’elle vit et je la comprends !

— Il y a pourtant une sérieuse différence, fit doucement la duchesse. Le Dauphin Louis va avoir neuf ans, elle est sa mère... et elle va être sacrée ! C’est Henri, plutôt, qui devrait avoir peur !

— De quoi, mon Dieu ? Le peuple l’aime et il a déjà échappé à je ne sais combien d’attentats ! C’est un atout inappréciable que la chance !

En se levant pour prendre congé, Margot eut un geste maladroit qui remonta soudain sa collerette et fit basculer légèrement sa coiffure, qu’elle se hâta de remettre en place. Lorenza ouvrit de grands yeux.