— Et que vous a dit notre future Majesté ?
— « Bouchou Madame. Vous gètes bien cholie ! » Je crois qu’il vient de perdre une dent et son élocution s’en ressent, fit Lorenza en riant. Grâce à Dieu, il tient de son père, brun, vigoureux et pétulant comme lui... mais j’ai l’impression que sa mère ne l’aime guère.
— Elle n’en aime aucun, à l’exception du jeune duc d’Anjou, Gaston, qui tient assez des Médicis. C’est plutôt triste parce que Louis adore sa mère. Je me demande vraiment pourquoi elle est si froide avec lui !
— C’est parce qu’elle n’aime qu’elle-même... et le duo Concini qui font d’elle ce qu’ils veulent ! Cela aussi est triste ! Drôle de mère ! Drôle de Reine que nous avons là ! Fasse le Ciel que notre Henri nous soit conservé longtemps encore ! Dieu sait alors ce qu’il adviendrait au royaume de France !
Une phrase qui devait revenir, malheureusement, très souvent à l’esprit de Lorenza dans la suite des temps !
Chapitre III.
Rencontres sur le pont du Louvre...
Le lendemain matin, quand le petit carrosse de la duchesse Diane déposa Lorenza à l’entrée du pont dormant qui enjambait les anciens fossés du Louvre, elle se trouva prise comme d’habitude dans le flot incessant qui, dès l’ouverture des portes, envahissait la vieille forteresse devenue palais. Seuls, en effet, les équipages princiers pouvaient pénétrer dans la grande cour. Elle allait franchir le corps de garde quand une femme essoufflée la rattrapa.
— Par grâce, Madame la baronne, écoutez-moi !
Elle la reconnut aussitôt. Petite, un peu bossue, un peu boiteuse, avec sa figure intelligente mais pour l’instant proche du désespoir... c’était la dariolette de Mme de Verneuil.
— Mademoiselle d’Escoman ? Que vous arrive-t-il ?
— Vous allez chez la Reine ?
— Bien entendu mais...
— Alors emmenez-moi s’il vous plaît ! J’ai à révéler une foule de choses graves à Sa Majesté !
— C’est impossible, voyons ! On n’entre pas ainsi chez Sa Majesté, même accompagnée d’une de ses dames. Seul son confesseur aurait ce pouvoir et...
— Je me suis rendue à la maison professe des Jésuites où je crois bien qu’on m’a prise pour une folle ! Mais je ne le suis pas ! Je le jure !
— Je ne l’ai jamais pensé mais puisque vous appartenez à la maison de Mme de Verneuil...
— Oh non, je ne lui appartiens plus ! Je suis fidèle sujette de Leurs Majestés, moi, et quand j’ai compris ce qui se tramait au château et à celui de Malesherbes... Savez-vous que l’un comme l’autre sont des nids de conspirateurs d’où partent - ou arrivent ! - de nombreux messages pour l’Espagne ou pour Bruxelles ?
— Mon Dieu, comment voulez-vous que je le sache ?
— Et cela ne date pas d’hier ! L’an passé, j’ai accompagné Mme la marquise à l’église Saint-Paul où elle a été rejointe par M. le duc d’Epernon qu'elle était censée exécrer. On m’avait postée de façon à ce que j’empêche qu’on les approche mais j’ai entendu... des choses horribles !
— Ne connaissiez-vous pas Mlle du Tillet ? Il me semble avoir entendu cela.
— C’est vrai et elle m’avait promis qu’elle verrait la Reine... mais elle ne m’adresse même plus la parole ! Il faut pourtant que la Reine soit prévenue qu’on en veut à la vie du Roi ! Le couronnement va avoir lieu... et l’homme d’Angoulême est revenu !... Oh, Dieu, vous ne devez rien comprendre à mes propos ! Il faudrait que j’explique...
Cette fois, Lorenza allait lui dire qu’elle savait de qui elle parlait quand elles furent soudain abordées par un officier du guet accompagné de quatre soldats. Le premier salua Lorenza:
— Je vous demande excuses, Madame, mais je dois arrêter cette femme !
Sa main s’abattit lourdement sur l’épaule de la malheureuse qui ferma les yeux en gémissant :
— Oh, mon Dieu ! Ayez pitié !
On l’emmenait déjà. Lorenza s’interposa :
— Je suis la baronne de Courcy, dame de la Reine ! De quoi cette pauvre fille est-elle accusée ?
— Elle a abandonné son enfant sur le Pont-Neuf !
— Son enfant ? Elle en a un ?
— Un fils, oui. La nourrice n’en a plus voulu parce qu'elle ne payait plus et elle a dû le reprendre mais elle s’en est défaite ! C’est un crime qui mérite la mort ! Veuillez m’excuser, Madame la baronne !
Le cœur serré, Lorenza regarda s’éloigner le triste cortège. Elle savait d’expérience vers quoi allait cette malheureuse que semblait poursuivre un impitoyable destin : la prison, les interrogatoires - elle-même avait eu la chance que la torture lui soit épargnée ! -, enfin l’échafaud! Et elle admira son courage car elle l’entendit encore crier à son adresse :
— Prévenez le Roi !... Un homme en vert !...
Puis plus rien ! On l’entraînait rapidement mais, heureusement, sans la molester, ce qui rassura un peu Lorenza. Elle était si frêle ! Peut-être ces hommes étaient-ils sensibles à la pitié ? En même temps, elle eut honte de n’avoir pas fait davantage pour elle et, prenant ses jupes à deux mains, elle s’élança à leur poursuite, les rejoignit comme ils allaient aborder le Pont-Neuf.
— Un instant, Monsieur l’officier ! Où la conduisez-vous ?
Il ne répondit pas d'emblée, surpris de voir resurgir devant lui cette belle dame en robe de cour.
— Je... Madame la baronne ! Pourquoi faites-vous cela?
— Cela me regarde. Répondez-moi plutôt !
— A la Conciergerie ! fit-il en désignant, au bord de l'île de la Cité, les tours en poivrières du vieux palais.
— Pourquoi pas au Châtelet ?
— Je pense que... qu’il n'y a plus de places ! S’il vous plaît, Madame, ne me retenez pas plus longtemps...
— Un mot encore ! L’enfant ? Qu’en a-t-on fait ?
— Ce que l’on fait de ses pareils ! On l’a porté à l'Hôtel-Dieu.
Il eut alors un geste vague du côté des tours de Notre-Dame.
— Je vous remercie. Voulez-vous, s’il vous plaît, donner cela au concierge, ajouta Lorenza en tirant deux pièces d'or de son aumônière. Je désire qu’elle soit bien traitée et nourrie convenablement. Elle est déjà assez misérable, je veux qu’au moins elle garde des forces... (Puis revenant à la prisonnière :) Soyez en paix : je ferai de mon mieux !
— Merci !... Oh merci !... Que Dieu vous bénisse !
On l’entraînait à nouveau et cette fois Lorenza n’insista pas. Elle espérait seulement que le sergent fût un homme honnête et que son argent ne finisse pas dans sa poche.
— Vous avez eu raison d’en donner deux, approuva derrière elle une voix en toscan. Avec une seule la tentation eût été trop forte. Et la deuxième suffira pour que la femme en bénéficie !
Elle se retourna et laissa échapper une exclamation de surprise : Filippo Giovanetti était là qui la regardait en souriant.
— Ser Filippo ! Par quel miracle ? Le grand-duc vous a renvoyé en France ?
— Ma foi, non. Je me suis renvoyé tout seul ! N’ayant jamais été interdit de séjour, j’ai le droit de me promener où bon me semble... mais ne restons pas ici. Je vous ramène au Louvre d’où je vous ai suivie.
— Vous alliez chez la Reine ?
— Tout de même pas ! Mais j’avoue que rencontrer le Roi ne me déplairait pas !
— Je suis sûre qu’il sera ravi de votre retour. Il a été très mécontent de ce que l’on vous a fait !
— Et plus que soigneusement fait, vous pouvez m’en croire. J’ai été escorté jusqu’à Marseille par deux hommes qui ne m’ont lâché que sur le bateau. Mais ne restons pas ici ! Voilà ma voiture ! dit-il en désignant un véhicule à deux chevaux dont les rideaux étaient abaissés et qui était stationné à quelques pas. Il l’y conduisit et l’aida à monter.
— Vous tenez essentiellement à prendre votre service ce matin ? demanda-t-il.
— Que j’assume mes fonctions ou non devrait lui être indifférent. Elle me considère juste un peu moins qu’un meuble... mais comment savez-vous... ?
—... que vous êtes Madame la baronne de Courcy, dame de la Reine. C’est l’enfance de l’art pour un diplomate et, comme je ne suis revenu que pour vous...
— Pour moi ? Avais-je une telle importance ?
Elle crut un instant qu’il allait se mettre en colère tant son visage se contracta.
— Vous en doutiez ? Alors que le grand-duc Ferdinand vous avait placée sous ma responsabilité, je vous ai dirigée droit dans un piège et, pour finir, on vous a enlevée de ma voiture pour vous incarcérer et vous mettre en grand danger d’être condamnée ?
— En danger? J’ai été condamnée et conduite à l’échafaud. Sans l’intervention de celui qui est devenu mon cher époux, je ne serais plus de ce monde.
— Je sais, mais je voudrais savoir si vous êtes heureuse...
Le sourire lumineux qu’elle lui offrit était, à lui seul, une réponse mais elle ajouta tout de même :
— Au-delà de tout ce que je pouvais imaginer ! Sans rien demander il m’a tout donné - même une famille adorable ! - mais surtout le plus bel amour ! En dépit des menaces qui pèsent sur lui, il m’a épousée... et je n’ai aucune honte à avouer que je suis à lui corps et âme !
C’était vrai qu’elle était transformée et, devant l’éclat de son épanouissement, l’ancien ambassadeur sentit un pincement au cœur. Depuis leur première rencontre, il aimait Lorenza et, un instant, il envia férocement l’homme qui avait su cueillir cette fleur sans pareille, mais il était trop fin diplomate pour ne pas savoir cacher ses sentiments et ce fut d’une voix égale qu’il s’enquit :
— N’avez-vous pas mentionné des menaces ?
— Si. La veille de notre mariage, j’ai reçu un billet anonyme sans autre signature qu’un dessin parfait de la dague au lys rouge. L’auteur prédisait la mort à Thomas s’il osait m’épouser parce que je ne serais jamais à un autre qu’à lui ! Et Thomas n'a fait qu'en rire. Il m'a épousée, il m'a fait sienne et ce monstre inconnu n'y peut plus rien !... Mais revenons à vous, ser Filippo ! Vous êtes à Paris depuis longtemps ?
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